Dossiers spéciaux

Maladie d’Alzheimer

les moyens de prévention les plus efficaces

Emmanuèle Garnier  |  2014-10-24

Pour mieux repousser le spectre de la maladie d’Alzheimer, il faut avoir à la fois une grande réserve cognitive et un cerveau en bonne santé. Et pour garder celui-ci sain, la maîtrise de certains facteurs de risque, dont les études ont prouvé l’importance, est essentielle.

La victoire contre la maladie d’Alzheimer ne viendra pas des médicaments, mais bien de la réduction des facteurs de risque. Deux stratégies fondées sur cette base ont été mises au point pour prévenir le déclin cognitif : améliorer la santé du cerveau et accroître la réserve cognitive.

Dr Serge Gauthier

Le but de ces tactiques est de diminuer le seuil clinique à partir duquel apparaissent les symptômes cognitifs. Le cerveau peut présenter certains signes de la maladie d’Alzheimer, comme des plaques neuritiques ou des enchevêtrements neurofibrillaires, sans qu’il n’y ait de signes manifestes de problèmes cognitifs. « Il y a des gens qui meurent à 90 ans avec des lésions d’alzheimer dans le cerveau, mais qui n’ont aucun symptôme », souligne le Dr Serge Gauthier, directeur de l’unité de recherche sur la maladie d’Alzheimer du Centre McGill d’études sur le vieillissement.

Préserver la santé du cerveau

L’une des façons de se protéger de la maladie d’Alzheimer est d’avoir un cerveau en bonne santé. « Même si un patient a un nombre de plaques et d’enchevêtrements relativement modeste, il peut présenter une démence s’il est atteint en même temps d’une autre neuropathologie. Un cerveau sain qui n’a pas d’autres formes de problèmes peut tolérer un certain nombre de lésions d’alzheimer avant que le seuil clinique de démence soit atteint », indique le Dr Victor Henderson de l’Université de Stanford, en Californie, dans un récent article1.

Hypertension, diabète et tabagisme

L’un des problèmes à craindre pour le cerveau est l’accident vasculaire cérébral (AVC). « Cela fait longtemps que l’on sait, grâce à différentes études, que lorsque des lésions d’alzheimer sont associées à des lésions vasculaires, elles se potentialisent l’une l’autre. Cela fait qu’on a besoin d’un fardeau d’alzheimer beaucoup moins lourd pour avoir une démence clinique quand on ajoute les AVC au tableau », explique le Dr Yan Deschaintre, neurologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

Quels facteurs de risque faut-il cibler ? Il en existe trois dont la présence augmente de façon certaine la probabilité d’apparition de la démence : l’hypertension à l’âge mûr, le diabète et le tabagisme. Les données d’une relation de cause à effet possible entre ces éléments et la démence seraient « plausibles, constantes, caractérisées par de fortes associations et relativement sans biais ni facteurs confondants », indique le tout récent rapport de l’Alzheimer’s Disease International sur la démence et la réduction des risques. À la lumière des plus récentes études, des chercheurs ont analysé un à un les facteurs de risque protecteurs et modifiables de la démence et évalué la solidité des preuves qui les concernent2.

Dr Yan Deschaintre

On sait maintenant que la présence d’hypertension à l’âge mûr accroîtrait la probabilité d’avoir une démence au cours de la vieillesse, en particulier une démence vasculaire, selon le rapport. Toutefois, phénomène étrange, la pression sanguine diminuerait avant que ne se manifeste l’af­fai­blissement des facultés intellectuelles. Ainsi, chez les personnes âgées, l’hypertension n’est pas liée à l’apparition de la démence ou lui est même associée de manière inverse.

Le diabète est associé, lui, à un risque accru, chez les gens du troisième âge, d’apparition de toutes les formes de démence, en particulier de la démence vasculaire. Sa présence chez les personnes d’âge mûr pourrait aussi être une menace, peut-être parce que la durée de cette maladie endocrinienne est un important facteur de risque.

« Les fortes associations entre le diabète et l’hypertension d’une part et la démence d’autre part donnent bon espoir d’en arriver à réduire de manière notable l’incidence de la démence grâce à la prévention, à la détection et à une meilleure maîtrise de ces facteurs de risque cardiovasculaires », in­di­que le World Alzheimer Report 2014.

Du côté du style de vie, le tabagisme est également un facteur important lié à la démence. Les fumeurs ont un plus haut risque d’avoir la maladie d’Alzheimer que les non-fumeurs. Toutefois, le risque des ex-fumeurs est semblable à celui des personnes qui n’ont jamais fumé pour tous les types de démence.

Obésité et dyslipidémie

Et qu’en est-il de l’obésité et de la dyslipidémie ? Les preuves de leur lien avec la maladie d’Alzheimer sont moins fortes. Ces éléments ne doivent néanmoins pas être négligés. Ils constituent des facteurs de risque importants d’hypertension et de diabète et contribuent de façon indépendante au risque de complications cardiovasculaires. L’obésité, par exemple, doit être ciblée dans les programmes de prévention primaire, estiment les auteurs du rapport.

La perspective d’échapper à la dé­­mence peut être un important argument pour convaincre les patients de modifier leur style de vie, estime le Dr Fadi Massoud, gériatre au CHUM et à l’Institut de gériatrie de Montréal. « Les gens ont peur de la maladie d’Alzheimer. Il peut être utile de leur faire savoir qu’au-delà de tous les autres avantages, le fait d’adhérer à un régime pour diminuer la pression et de prendre leurs médicaments peut leur éviter des problèmes cognitifs graves plus tard. »

Quand ces mesures de prévention seraient-elles le plus efficaces ? À l’âge mûr. À un âge avancé, il pourrait être trop tard. Paradoxalement, la pression sanguine, le taux de cholestérol et l’indice de masse corporel diminuent progressivement avant l’apparition de la démence.

Dr Fadi Massoud

Exercice

L’activité physique semblerait pouvoir réduire le risque de démence par une multitude de mécanismes. Elle aurait une action indirecte en diminuant l’hypertension, l’hypercholestérolémie ainsi que le risque d’apparition du diabète et de l’obésité. Elle aurait aussi une action bénéfique sur la physiologie des vaisseaux sanguins ainsi que sur leur micro- et macrostructure. En outre, la meilleure irrigation qu'en­traîne l’exercice réduit le risque de dommages vasculaires cérébraux diffus et focaux liés aux différents types de démence, mais surtout à la démence vasculaire. L’activité physique pourrait aussi directement diminuer le nombre de plaques amyloïdes, tout en consolidant la structure neuronale et en accroissant la synthèse des neurotransmetteurs.

Le problème, c’est que dans l'en­semble les études ne montrent pas de manière irréfutable une association significative entre l’exercice et la ré­duction de l’émergence de la démence.

Il existe pourtant des données constantes, venant de plusieurs études, montrant que la pratique de l’activité physique abaisse le risque de démence. « Ces associations ne peuvent cependant être considérées comme solides, parce qu’on n’a pas exclu un lien de causalité inverse et que ce dernier est une explication très plausible pour les associations observées », indique le document de l’Alzheimer’s Disease International.

« C’est un peu le paradoxe du coureur sain, explique le Dr Deschaintre, également professeur adjoint de clinique à l’Université de Montréal. Les personnes malades ne s’entraînent pas à la course. Si vous faites remplir des questionnaires à des gens, vous allez vous rendre compte que ceux qui courent sont en meilleure santé. Est-ce le fait de s’entraîner à la course qui est protecteur ou le fait de pouvoir le faire ? » Il ne faut donc pas oublier que la démence est précédée d’une phase d’isolement et de handicaps fonctionnels.

Néanmoins, même si on n’en détient pas la preuve irréfutable, l’activité physique reste un moyen d’intervention prometteur et à notre portée. « Cela ne peut pas être nuisible, in­dique le Dr Massoud qui, pour sa part, voit de nombreuses vertus à l’exercice. Être actif physiquement n’est pas bon uniquement pour le cerveau. Ce l’est aussi pour le corps en général et cela permet de réduire les divers facteurs de risque. » Le gériatre recommande d’ailleurs aux patients de faire des activités physiques comme la marche, s’ils en sont capables. « Ce qui est important, c’est davantage la fréquence et la constance que l’intensité de l’exercice. »

Le Dr Gauthier croit, lui aussi, aux bienfaits de l’activité physique. « Des études ont montré qu’il y a une augmentation de la concentration du facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF) après l’exercice. » Cette protéine favoriserait le développement et la différenciation de nouveaux neurones et de synapses.

L’exercice serait même bénéfique pour les patients très exposés au risque de démence. « Des études ont montré que ceux qui possèdent une mutation APO e4 qui augmente le risque d’alzheimer peuvent le réduire grâce aux exercices physiques et intellectuels », affirme le neurologue du Centre McGill d’études sur le vieillissement.

Accroître la réserve cognitive

La réserve cognitive pourrait elle aussi freiner l’apparition de la démence. Elle permettrait à différentes aires du cerveau d’être plus efficaces et d’avoir la possibilité de compenser leurs lacunes en faisant appel à d’autres régions. « On remarque que pour le même nombre de lésions d’alzheimer dans le cerveau, l’expression clinique de la maladie ne sera pas la même chez deux personnes dont la réserve cognitive est différente », explique le Dr Massoud, également professeur agrégé de clinique à l’Université de Montréal.

Pour accroître la réserve cognitive, le gériatre recommande la lecture, les jeux de société stimulants, les mots croisés et les sudokus. « Le genre de choses qui sont intéressantes, nécessitent un minimum d’efforts intellectuels et permettent idéalement des interactions sociales. »

« Les données les plus fortes concernant une association causale avec la démence sont celles qui touchent le faible niveau de scolarisation au début de la vie, l’hypertension à l’âge mûr ainsi que le tabagisme et le diabète tout au cours de l’existence. »

– World Alzheimer Report 2014

Le contact avec les autres serait important, selon certaines études. « Si vous faites un sudoku tout seul, ce n’est pas aussi bon que si vous jouez au scrabble avec un ami ou êtes en ligne avec d’autres gens ou allez au club de lecture et ren­contrez beau­coup de personnes. Plus il y a d’interactions avec d’autres gens, mieux c’est », précise le Dr Gauthier.

Quelle est la solidité des preuves de l’action protectrice de la réserve cognitive ? Il existe certaines études prospectives de cohortes, mais elles sont limitées. Cependant, un grand nombre d’études d’observation dans lesquelles l’activité cognitive à un âge avancé a été mesurée semblent montrer que la stimulation mentale pourrait être bénéfique à la fois pour la structure et pour le fonctionnement du cerveau.

Toutefois, comme pour l’exercice, la démonstration du lien entre la stimulation intellectuelle et la réduction du risque de démence n’est pas à toute épreuve. Une baisse graduelle du niveau d’activité cognitive est souvent un signe avant-coureur de la démence.

Le monde moderne a vu surgir, par ailleurs, un nouveau type d’activités stimulantes : les jeux vidéo. Ces derniers pourraient peut-être avoir un effet bénéfique sur les fonc­tions cognitives. Certaines études se penchent sur la ques­tion. Comme le nombre de personnes s’adonnant à ces jeux n’a cessé d’augmenter au cours des dernières décennies, même un petit effet pourrait avoir des répercussions importantes en santé publique, indique le World Alzheimer Report 2014. « Il est possible que les jeunes qui ne sont pas très actifs physiquement, mais qui font beaucoup de jeux avec interactions avec les autres compensent ainsi leur sédentarité », mentionne le Dr Gauthier.

Des résultats encourageants

Depuis plusieurs années, dans bien des pays riches, le tabagisme a reculé, le taux de cholestérol, diminué ; la pression sanguine, baissé et l’activité physique, augmenté. Est-ce que tous ces efforts donnent des résultats sur le plan cognitif ? Il semblerait que oui. Les chercheurs constatent que l’incidence de la démence fléchit et que les problèmes cognitifs apparaissent plus tardivement. On trouve de telles données dans des études américaines, britanniques, allemandes, espagnoles, suédoises et néerlandaises.

Certains pays ont fait des mesures contre la démence une politique nationale. « En Australie, depuis deux ans, les autorités font partout la promotion de programmes d’entraînement physique et intellectuel ainsi que de la réduction des facteurs de risque vasculaires. Dans dix ans, on s’attend à ce qu’il y ait un effet sur le nombre de personnes atteintes de démence », mentionne le Dr Gauthier.

Le rôle des médicaments, quant à eux, semble mainte­nant réduit. « Il y a peut-être un certain groupe de personnes plus à risque, parce qu’elles ont une mutation APO e4 sur un ou deux gènes ou ont des cas d’alzheimer dans la famille apparus à 65 ou à 70 ans, chez qui il y aurait des facteurs génétiques à maîtriser. Peut-être qu’elles devraient prendre des anti-inflammatoires non stéroïdiens », précise le Dr Gauthier. Chercheur à l’Institut Douglas, il va par ailleurs bientôt effectuer un essai clinique avec le probucol, un hypolipémiant, chez des patients à risque sans symptômes.

Le salut pour la moyenne des patients ne viendra donc pas des molécules pharmacologiques. « Ce n’est pas par manque d’études. Il y a énormément de travaux pharmacologiques qui se font, mais on n’a pas encore trouvé de médicament efficace. Depuis l’arrivée des dernières molécules, il y a plus de quinze ans, il n’y a pas eu de nouveauté. Je pense que l’avenir de la lutte contre la démence est bien dans la maîtrise des facteurs de risque », estime le Dr Massoud. La maladie d’Alzheimer est ainsi devenue, comme les problèmes cardiovasculaires ou le cancer, une affection que l’on peut jusqu’à un certain point prévenir. //

Bibliographie

  • 1. Henderson VW. Three midlife strategies to prevent cognitive impairment due to Alzheimer’s disease. Climacteric 2014 ; 17 (suppl. 2) : 1-9.
  • 2. Alzheimer’s Disease Intenational. World Alzheimer Report 2014: Dementia and Risk Reduction – An analysis of protective and modifiable factors. Alzheimer’s Disease International : Londres ; 2014. 104 p. Site Internet : www.alz.co.uk.