Entrevues

L’étalement des hausses

Entrevue avec le président de l’association de Laurentides-Lanaudière

Emmanuèle Garnier  |  2014-06-16

Président de l’Association des médecins omnipraticiens de Laurentides-Lanaudière, le Dr Marc-André Amyot est également le premier vice-président de la FMOQ. Il explique la complexité de la question de l’étalement des hausses que devaient normalement avoir les omnipraticiens.

M.Q. — En ce moment, il est beaucoup question du report des augmentations de rémunération des médecins.

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M.-A.A. — Tout ce qui se passe actuellement fait penser à une opération bien orchestrée pour diriger l’attention de la population sur la rémunération des médecins. On fait le lien entre leurs revenus, l’augmentation de leur rémunération et la situation difficile des finances publiques. Ce n’est pas le report des simples hausses destinées aux médecins pour 2014-2015 et 2015-2016 qui va régler le problème du déficit.
La rétribution des omnipraticiens ne représente qu’un faible pourcentage du budget de la Santé. Ce dernier s’élève à 31 milliards de dollars tandis que l’enveloppe des omnipraticiens est de 2,3 milliards. En ce qui concerne les augmentations de 540 millions prévues en 2014-2015, seulement 190 millions sont réservés aux médecins de famille, le reste va aux spécialistes. La hausse des omnipraticiens représente par ailleurs 0,6 % du budget de la Santé. Cette augmentation de notre enveloppe devait par ailleurs servir à des buts importants. Elle était destinée en grande partie à payer les honoraires des omnipraticiens qui arrivent en pratique et à financer de nouvelles mesures, dont celles qui vont permettre d’augmenter l’accès à un médecin de famille.

M.Q. — Qu’est-ce que les omnipraticiens sont prêts à faire ?

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M.-A.A. — On est prêt à faire notre part, mais ce qu’on nous demande doit être réaliste et proportionnel à l’effort collectif. Ce n’est pas vrai que nous allons être les seuls à être pénalisés. Il y a plusieurs secteurs où l’on pourrait économiser en optimisant certaines manières de procéder. Les renouvellements mensuels de certains médicaments, par exemple, pourraient très bien être faits tous les trois mois. Lorsqu’un patient prend un antihypertenseur depuis cinq ans, est-ce que le pharmacien a besoin de renouveler sa prescription tous les mois et de facturer des honoraires alors qu’il pourrait le faire tous les trois ou quatre mois, comme c’est le cas dans d’autres provinces ? Ces renouvellements mensuels coûtent une fortune à la province. Le gouvernement aura-t-il le courage politique de s’attaquer à ce problème ?

M.Q. — Est-ce que la Fédération examine la possibilité d’étaler les hausses ?

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M.-A.A. — — Il est certain qu’on regarde la possibilité d’étaler celles qui étaient prévues en 2014-2015 et en 2015-2016. On a cependant des priorités à respecter. Il y a des domaines d’activités en médecine familiale où il n’y a pas encore eu, contrairement à d’autres secteurs, les augmentations qui ont été consenties dans le cadre de la dernière entente générale. Par exemple, les médecins à tarif horaire ou à honoraires fixes pour lesquels le nouveau mode de rémunération mixte a été élaboré n’en ont pas encore bénéficié. Dans deux autres secteurs d’activité, les urgences et les cabinets, les médecins n’ont également pas touché leurs augmentations pleines et entières.
Avant de commencer à reporter les hausses de rémunération, il est important pour nous de s’assurer que tous les secteurs aient obtenu les mêmes hausses. Il ne faut pas qu’un groupe soit pénalisé par rapport à un autre. Par ailleurs, nous avons aussi comme priorité de mettre en place les mesures nécessaires pour améliorer la productivité des médecins et l’accès à ces derniers.
En ce qui concerne les propositions de l’État d’étaler sur quinze ans ou même dix ans les augmentations, c’est tout à fait inacceptable. Comment le gouvernement actuel peut-il reporter des sommes aussi loin dans le temps alors qu’il ne sera peut-être plus là alors ? On est prêt à faire un effort, mais ce doit être un effort collectif.

M.Q. — Est-ce que l’étalement des hausses pourrait avoir des répercussions dans les prochaines négociations ?

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M.-A.A. — Le dernier accord-cadre a été négocié de bonne foi et l’attitude actuelle du gouvernement soulève un grand questionnement. Ses demandes laissent un goût amer. Elles ébranlent notre confiance dans sa capacité et sa volonté d’honorer une entente convenue de bonne foi. Ce report ne se fera pas sans laisser certaines cicatrices.
Il est sûr, par ailleurs, que le gouvernement peut toujours légiférer dans ce dossier pour le régler à sa convenance. Cependant, c’est toute la confiance du monde extérieur face à un État qui renie ses signatures antérieures qui est en jeu. Quand on signe une entente, il faut être conscient de ses répercussions et ne pas le faire si on pense ne pas être capable de l’honorer.

M.Q. — Certains organismes appuient le gouvernement.

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M.-A.A. — L’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS) a fait une sortie publique pour demander au gouvernement d’étaler les augmentations prévues pour les médecins. Cela m’a profondément mis en colère de voir cet organisme se mêler de ce dossier-là. Comme président de l’Association des médecins omnipraticiens de Laurentides-Lanaudière, je me suis permis d’écrire à chacun des directeurs des établissements de santé de ma région pour leur demander d’intervenir auprès de leur association. Je leur ai dit : « Si l’AQESSS prend cette position, vous la prenez aussi. Elle parle en votre nom. » Si l’on commence à s’attaquer les uns les autres, on va s’enliser dans un climat de travail qui ne sera pas agréable. Par ailleurs, si l’AQESSS veut des économies, elle devrait regarder dans sa cour. Il est clair qu’elle a des choses à revoir.

M.Q. — L’une des priorités de la FMOQ est l’amélioration de l’accès de la population à un médecin de famille. Où en est ce dossier ?

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M.-A.A. — Nous sommes paralysés. C’est l’effet néfaste de toute la question du report des hausses. La Fédération avait un plan pour améliorer l’accès à la première ligne, mais à l’heure actuelle tout est mis sur la glace. Il n’y a plus de discussions avec le gouvernement, que ce soit dans le dossier des groupes de médecine de famille, des unités d’accès populationnel (UAP) ou de l’accessibilité.

M.Q. — Et y a-t-il des progrès du côté des médecins ?

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M.-A.A. — On doit se mobiliser comme groupe pour offrir à la population un meilleur accès aux soins. Certains médecins craignent que pour améliorer l’accessibilité on leur en demande plus. Ce sont souvent des cliniciens qui travaillent déjà beaucoup. Il faut donc mieux structurer le réseau, et là-dessus la FMOQ est très proactive. Néanmoins, est-ce que les omnipraticiens vont devoir en faire plus ? Probablement que certains le devront. Je dirais que le médecin qui ne travaille jamais le soir ou la fin de semaine devra peut-être se poser des questions sur son offre de service. Ces périodes doivent être couvertes, et plus on est de cliniciens à se partager les heures moins intéressantes, moins c’est lourd pour chacun. Les médecins d’urgence travaillent déjà le soir, la fin de semaine et la nuit. Il faut faire un partage équitable des tâches entre les différents omnipraticiens. On ne doit toutefois pas le faire de manière coercitive, mais toujours de façon incitative. L’accès à la première ligne est un dossier auquel on doit accorder beaucoup de temps et d’énergie. Bien sûr, il faudra des négociations avec le ministère pour financer et structurer les UAP.

M.Q. — Y a-t-il d’autres solutions pour améliorer l’accès à un médecin de famille ?

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M.-A.A. — Il faut aussi améliorer la collaboration et les échanges avec les autres professionnels de la santé. Tant les médecins qui voient beaucoup de patients que ceux qui en voient moins pourraient en bénéficier et parvenir ainsi à traiter plus de gens. Il faut cependant une collaboration réelle et non un travail en silo comme ce que l’on voit parfois avec certains professionnels de la santé.

M.Q. — Y a-t-il eu des progrès en ce qui concerne l’accès à un médecin de famille ?

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M.-A.A. — Souvent, ce que l’on voit dans les médias et ce que retient la population, ce sont les exemples négatifs. Mais, il y a aussi des réussites. Il y a des exemples où des médecins sont parvenus à accroître l’accès à la première ligne et à donner des services optimaux à la population. Certains omnipraticiens travaillent fort, s’organisent ensemble pour s’assurer que le patient soit vu au bon endroit au bon moment. Regardez l’intérêt que bien des médecins manifestent pour l’accès adapté. Beaucoup ont adopté cette manière de pratiquer. Il faut davantage souligner les initiatives positives comme celles-là.