Droit au but

Le rôle des infirmières en première ligne

comment partager efficacement les responsabilités ? – II

Christiane Larouche  |  2015-04-30

Si elles ont en commun le titre d’infirmière, l’infirmière auxiliaire, l’infirmière clinicienne et l’infirmière praticienne spécialisée (IPS) en soins de première ligne n’ont pas toute la même formation, le même champ d’exercice professionnel, les mêmes activités réservées ni autorisées ni les mêmes compétences. Le médecin doit donc s’y retrouver pour bien comprendre le rôle que peut jouer chaque type d’infirmière dans une équipe de soins en première ligne.

Après avoir décrit le champ d’exercice et les activités de l’infirmière auxiliaire dans un premier article, nous tenterons cette fois-ci de mieux comprendre les différences entre l’infirmière, l’infirmière clinicienne et l’IPS en soins de première ligne et de cerner le rôle optimal de chacune au sein des équipes de première ligne.

Me Christiane Larouche, avocate, travaille au Service juridique de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

L’infirmière, l’infirmière clinicienne et l’IPS en soins de première ligne : quelles sont les différences ?

L’infirmière, l’infirmière clinicienne ou l’IPS en soins de première ligne sont toutes membres de l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec. Elles ont en commun le même permis d’exercice, le même champ d’exercice et les mêmes activités réservées, conformément à l’article 36 de la Loi sur les infirmières et les infirmiers.

Ce qui les distingue est leur formation respective et les activités additionnelles que certaines d’entre elles sont autorisées à exercer.

Formation de l’infirmière

L’infirmière possède un diplôme d’études collégiales (DEC) en soins infirmiers. Le programme est d’une durée de trois ans. Sa formation la prépare à exercer en soins généraux, tels que les services de chirurgie et les soins de longue durée. En 2013-2014, 53,3 % des infirmières du Québec possédaient une formation de niveau collégial1.

Formation de l’infirmière clinicienne

L’infirmière clinicienne possède un baccalauréat en soins infirmiers. D’une durée de trois ans, le baccalauréat prépare la titulaire à exercer à titre d’infirmière clinicienne en soins complexes, tels que les soins intensifs, la traumatologie, la santé communautaire et la santé mentale ou à titre de conseillère en soins infirmiers. En 2013-2014, 34,4 % des infirmières exerçant au Québec étaient titulaires d’un baccalauréat en sciences infirmières1.

Encadré

Formation de l’IPS en soins de première ligne

L’infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne possède une expérience clinique dans un domaine spé­cifique et a reçu une formation de 2e cycle en sciences infirmières et en sciences médicales. Elle détient un certificat de spécialiste délivré par l’OIIQ et est habilitée à exercer certaines activités médicales selon les conditions établies dans un règlement du Collège des médecins du Québec. Cette formation lui permet de prescrire des tests diagnostiques et des traitements, en plus d’effectuer certaines interventions effractives1.

L’IPS en soins de première ligne exerce dans différents milieux cliniques, notamment dans les GMF, en CLSC ou en cliniques médicales, dans les cliniques-réseau et dans les dispensaires en régions isolées.

Au 31 mars 2014, il y avait 232 infirmières praticiennes spécialisées (IPS) exerçant au Québec, dont 173 en soins de première ligne (encadré).

champ d’exercice et activités réservées communs à toutes les infirmières

Le champ d’exercice infirmier commun à toutes les infirmières est défini comme suit à l’article 36 de la Loi sur les infirmières et les infirmiers :

« L’exercice infirmier consiste à évaluer l’état de santé, à déterminer et à assurer la réalisation du plan de soins et de traitements infirmiers, à prodiguer les soins et les traitements infirmiers et médicaux dans le but de maintenir et de rétablir la santé de l’être humain en interaction avec son environnement et de prévenir la maladie ainsi qu’à fournir les soins palliatifs ».

Dans le cadre de l’exercice infirmier, les activités suivantes sont réservées à l’infirmière conformément à la Loi sur les infirmières et les infirmiers :

1. évaluer la condition physique et mentale d’une personne présentant des symptômes. Cette activité est l’assise de l’exercice infirmier qui le distingue du champ d’exercice de l’infirmière auxiliaire. La plupart des activités de l’infirmière découlent de cette évaluation qui fait appel au jugement clinique ;

2. exercer une surveillance clinique des personnes dont l’état de santé présente des risques, y compris le monitorage et les ajustements du plan thérapeutique infirmier. Ex. : évaluer l’évolution de l’état de santé, déceler des signes de détérioration ou de complications ;

3. effectuer des examens et des tests diagnostiques et thérapeutiques, selon une ordonnance. Ex. : de­man­der un bilan sanguin, un ECG ou un examen radio­lo­gique, faire une culture de plaie ;

4. effectuer des examens diagnostiques à des fins de dépistage dans le cadre d’une activité découlant de l’application de la Loi sur la santé publique. Ex. : dépistage des ITSS ;

5. effectuer des examens et des tests diagnostiques effractifs, selon une ordonnance. Ex. : tests d’allergie, cytologie cervicale, examens diagnostiques sérologiques, biochimiques ou hématologiques ;

6. ajuster des traitements médicaux, selon une ordonnance. Ex. : ajuster un stimulateur cardiaque ;

7. déterminer le plan de traitement des plaies et des altérations de la peau et des téguments et prodiguer les soins et les traitements qui s’y rattachent. Ex. : évaluer une plaie, déterminer le plan de traitement et les soins requis, notamment les traitements locaux, la scarification, le débridement et les pansements, assurer la surveil­lance clinique et déterminer la fréquence des évaluations ;

8. appliquer des techniques effractives. Cette activité est indissociable de certaines autres activités réservées. Ex. : le lavage d’oreille (selon une ordonnance), le cathétérisme vésical pour un prélèvement d’urine (selon une ordonnance), l’insertion d’un spéculum pour l’examen du col de l’utérus (selon une ordonnance) ;

9. contribuer au suivi de grossesse, aux accouchements et au suivi postnatal. Ex. : éducation prénatale, évaluation et surveillance de l’état physique et mental, examen physique de la femme, monitorage électronique des contractions utérines et monitorage fœtal, examen du nouveau-né ;

10. effectuer le suivi infirmier des personnes présentant des problèmes de santé complexes. Ex. : suivi infirmier du patient atteint de diabète, d’hypertension, de bronchopneumopathie chronique obstructive ;

11. administrer des médicaments ou d’autres substances et ajuster les doses selon une ordonnance. Ex. : décider d’administrer le médicament, l’administrer, surveiller les effets indésirables, ajuster les doses, assurer le suivi requis ;

12. procéder à la vaccination dans le cadre d’une activité découlant de l’application de la Loi sur la santé publique ;

13. mélanger des substances en vue de préparer un médicament, selon une ordonnance ;

14. décider de l’application de mesures de contention ;

15. décider du recours aux mesures d’isolement dans le cadre de l’application de la Loi sur les services de santé et les services sociaux ;

16. évaluer les troubles mentaux, à l’exception du retard mental. Cette activité est cependant réservée à l’infirmière qui possède une formation universitaire et une expérience clinique en soins infirmiers psychiatriques conformément aux exigences du règlement de l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec et qui obtient une attestation à cette fin. Cette infirmière pourrait alors contribuer au suivi d’un patient souffrant de dépression en évaluant et en communiquant au médecin les symptômes liés à la dépression, les événements stressants, le fonctionnement social et l’évaluation du risque de passage à l’acte suicidaire ;

17. évaluer un enfant qui n’est pas admissible à l’éducation préscolaire et qui présente des indices de retard de développement.

Il est important de se rappeler que l’exercice de certaines des activités réservées aux infirmières sont assorties d’une ou de plusieurs conditions, afin de pouvoir être exercées, soit possiblement :

h une ordonnance, qu’elle soit individuelle ou collective ;

h une attestation de formation délivrée par l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec ;

h une formation spécifique déterminée par règlement, comme dans le cas de l’infirmière qui évalue des troubles mentaux ;

h la conformité à un plan de traitement infirmier ;

h l’application d’une loi, comme la Loi sur la santé publique.

Ces conditions doivent donc être évaluées avant de conclure qu’une activité réservée peut être exercée sans plus de formalité par une infirmière.

La figure fait état de la contribution importante que peut apporter l’infirmière en soins de première ligne. Le champ d’exercice de l’infirmière, qu’il s’agisse d’une infirmière ou d’une infirmière clinicienne, est vaste. Il est donc judicieux de tenir compte de la formation respective de ces deux professionnelles lorsque vient le moment de répartir les tâches des unes et des autres. Par sa formation universitaire plus poussée, l’infirmière clinicienne est généralement mieux outillée pour suivre des problèmes de santé complexes. Elle est donc toute désignée pour assurer, en collaboration avec le médecin, des suivis systématisés des patients atteints de maladies chroniques. Elle peut alors vérifier la réponse au traitement, évaluer la capacité d’auto-soins du patient, faire de l’enseignement, ajuster la posologie, etc. L’infirmière non clinicienne pourrait, quant à elle, être fort utile pour effectuer le triage au service de consultation sans rendez-vous et pourrait contribuer aux suivis de clientèle non vulnérables.

Figure

L’infirmière praticienne spécialisée en première ligne

Outre son permis d’exercice comme infirmière, elle dé­tient un certificat de spécialiste délivré par l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec. En plus des dix-sept activités réservées communes, elle est autorisée, par un règlement du Collège des médecins du Québec, à accomplir les cinq activités médicales suivantes :

h prescrire des examens diagnostiques ;

h utiliser des techniques diagnostiques effractives ou présentant des risques de préjudices ;

h prescrire des médicaments ou d’autres substances ;

h prescrire des traitements médicaux ;

h utiliser des techniques ou appliquer des traitements médicaux effractifs ou présentant des risques de préjudices.

L’IPS en soins de première ligne est autorisée à exercer ces activités médicales selon les conditions et les modalités suivantes :

1. elle doit exercer auprès d’une clientèle ambulatoire qui présente l’une des conditions suivantes :

h elle nécessite l’évaluation de son état de santé ou le dépistage d’un problème de santé ;

h elle a un problème de santé courant ;

h elle est atteinte d’une maladie chronique stable ;

h elle nécessite un suivi d’une grossesse.

2. elle doit exercer en partenariat avec un médecin de famille.

Suivant le règlement d’habilitation du Collège, les pro­blèmes de santé courants que peut traiter l’IPS en première ligne possèdent les caractéristiques suivantes :

h ont une incidence élevée dans la collectivité ;

h entraînent des symptômes et des signes cliniques qui touchent habituellement un seul système ou un seul appareil ;

h n’entraînent pas de détérioration de l’état général ;

h ont une évolution habituellement rapide et favorable.

L’IPS en soins de première ligne peut donc suivre la clientèle ambulatoire tout au long du continuum de vie : nouveau-nés, enfants, adolescents, adultes, femmes en­ceintes et personnes âgées dans le cadre d’un partenariat avec un ou plusieurs médecins. Lorsqu’un patient présente un problème de santé qui n’est pas courant ou lorsque la maladie chronique dont souffre un patient n’est pas stable, l’IPS doit diriger ce patient vers un médecin partenaire.

Comme on peut le constater, l’IPS en soins de première ligne a un champ d’exercice beaucoup plus étendu que celui de l’infirmière.

Tableau

Conclusion

Les infirmières sont trop peu nombreuses en première ligne actuellement. Le tableau qui fait état de la distribution de l’effectif infirmier en première ligne en 2013-2014 est éloquent à cet égard. Il montre à quel point il est nécessaire d’intensifier la présence des infirmières si l’on veut augmenter l’accès aux services et répondre aux besoins de santé de la population vieillissante, notamment quant aux mala­dies chroniques. //

Source

1. Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec. Rapport statistique sur l’effec­tif infirmier 2013-2014. Le Québec et ses régions. Montréal : l’Ordre ; 2014.