Entrevues

Entrevue avec le président de l’Association des médecins omnipraticiens des Bois-Francs

changements à venir dans la médecine familiale

Emanuèle Garnier  |  2015-08-03

La nouvelle entente qu’ont conclue la FMOQ et le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) pour améliorer l’accès à un médecin de famille est très prometteuse, selon le Dr Sylvain Labbé, président de l’Association des médecins omnipraticiens des Bois-Francs. Elle pourrait changer le visage de la première ligne, mais aussi de la deuxième.

M.Q. — Comment avez-vous accueilli la nouvelle entente que la FMOQ a signée avec le ministère de la Santé concernant l’accès à la première ligne ?

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S.L. — Les médecins avaient beaucoup d’inquiétudes concernant le projet de loi no 20. La nouvelle entente, au contraire, rallie tous les intervenants. C’est un accord qui peut assurer la pérennité de la médecine familiale dans les prochaines années étant donné que la Fédération a obtenu à la fois la cogestion des activités médicales particulières (AMP) et celle des plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM), autant dans les établissements qu’en dehors des hôpitaux. Le fait d’avoir notre mot à dire sur la gestion des PREM dans les différents territoires selon la réalité locale hors établissement est très intéressant. Cela nous donne des outils que nous n’avions pas avant cette entente. C’est un accord important qui apporte des gains non pécuniaires sur des principes de base. Nous sommes à un tournant dans la façon dont la profession va évoluer dans les prochaines années et les prochaines décennies.

M.Q. — Le but de la nouvelle entente est d’augmenter l’accès de la population aux médecins de famille. Que pensez-vous de cet aspect-là ?

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S.L. — Cette entente a été conclue pour ne pas avoir à subir le projet de la loi n8 20. Maintenant, il faut livrer la marchandise. Nous avons trois ans pour le faire. Nous avons une obligation de résultat. Un effort collectif est demandé à tous les médecins de famille, de même qu’un effort individuel.

M.Q. — L’entente prévoit que les médecins de famille inscrivent 85 % de la population québécoise. Que va faire votre association pour aider vos membres à y parvenir ?

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S.L. — D’un côté, l’Accès adapté est encouragé dans chacun de nos territoires dans sa forme la plus pure ou dans une forme hybride. C’est une méthode de travail de plus en plus populaire. Nous avons eu plusieurs séances de formation données entre autres par la FMOQ et le Collège des médecins du Québec.

D’un autre côté, nous avons organisé les guichets d’accès pour la population orpheline (GACO) dans chacun de nos sous-territoires. Une mise à niveau de ceux-ci a été effectuée par nos responsables. Les guichets fonctionnent maintenant plus rondement. Ainsi, dans ma région, à Victoriaville, le nombre de patients du GACO pris en charge, qui était de 82 du 1er janvier au 1er avril  2015 – avant l’arrivée des nouveaux coordonnateurs –, est passé à 167 au cours des deux mois suivants. On continue à demander à chacun des membres de l’association d’inscrire plus de patients sans causer de bris de service en deuxième ligne.

M.Q. — Pensez-vous qu’il est réaliste d’inscrire 85 % de la population d’ici 2018 ?

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S.L. — Dans la région des Bois-Francs, près de 75 % de la population est déjà inscrite. Nous espérons recruter de nouveaux médecins qui nous aideront à prendre en charge plus de patients. Nous avons bon espoir d’y arriver. Notre région est très intéressante. Elle est située entre les différents pôles importants du Québec, offre une bonne qualité de vie et permet une pratique variée. En outre, nous faisons de l‘enseignement auprès d’externes et de résidents en médecine familiale de l’Université de Sherbrooke depuis plusieurs années. Je crois qu’avec l’ajout de nouveaux collègues l’objectif de 85 % est réaliste. Nous ne sommes toutefois pas à l’abri de la maladie ou de départs inattendus.

M.Q. — Vous, personnellement, avez-vous adopté des mesures pour répondre à l’engagement qu’a pris la FMOQ auprès du gouvernement ?

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S.L. — Je pratique l’Accès adapté depuis février dernier. De plus, à notre clinique, mes collègues et moi avons toujours continué à inscrire de nouveaux patients. On le fait au rythme que l’on nous a recommandé, c’est-à-dire un ou deux patients par semaine pour accroître notre clientèle de 50 à 100 patients par année. Je pense que c’est ce que tous les médecins essayent de faire dans les Bois-Francs.

M.Q. — La nouvelle entente ne risque-t-elle pas de mettre en péril la pratique des médecins de famille dans les hôpitaux ? Comme des AMP seront accordées dans les GMF, les omnipraticiens ne seront plus obligés d’aller en deuxième ligne. Ils pourraient donc délaisser cette pratique.

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S.L. — Je crois que les médecins de famille continueront leur pratique hospitalière sans que les AMP ne les y obligent. Ils le feront par choix, à la fois pour leur formation et pour le bien de leurs patients. La pratique à l’hôpital a été acquise difficilement, et il ne faut pas la perdre. Je crois sincèrement qu’elle est importante pour notre compétence professionnelle. La médecine familiale était, est et doit demeurer une médecine polyvalente. Nous avons des collègues qui ont milité dans les débuts de la Fédération pour avoir leur place dans les hôpitaux. Nous avons la nôtre et nous devons la garder. Je pense que la deuxième ligne va peut-être subir certains changements, mais demeurera intéressante pour le médecin de famille. Ma pratique hospitalière est appelée à changer, et j’envisage cela avec optimisme.

M.Q. — Quels changements pourrait-il y avoir dans la deuxième ligne ?

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S.L. — Je crois que nos collègues spécialistes devront collaborer différemment avec les médecins de famille et les autres intervenants du réseau. Sinon, on pourrait assister à des crises dans certains établissements.

Quand un cas est très complexe et qu’une prise en charge par un spécialiste est nécessaire, pourquoi le patient est-il systématiquement admis au nom du médecin de famille ? Nos collègues spécialistes s’occupent déjà du patient lorsque les problèmes médicaux sont très pointus. S’ils pouvaient le prendre en charge, cela libérerait les omnipraticiens qui doivent déjà gérer deux ou trois lieux physiques de pratique.

Dans de telles situations, le médecin de famille pourrait devenir un médecin consultant. Le spécialiste pourrait avoir accès à notre expertise. Il s’agit souvent d’un patient que l’on connaît de longue date. On sait, par exemple, qu’il vit dans tel environnement psychosocial, voit les choses de telle façon et a telle vision sur l’intensité de soins désirée. Un cas de spécialité moins intéressant n’est pas nécessairement un cas de médecine familiale.

M.Q. — Dans votre région, les omnipraticiens exercent beaucoup en deuxième ligne.

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S.L. — Ils sont, en général, polyvalents et actifs en première et en deuxième ligne pendant une bonne partie de leur carrière. C’est une longue tradition. Les présidents qui m’ont précédé étaient de fervents défenseurs de cette médecine polyvalente, que ce soit le Dr Pierre Jutras, le Dr Jean-Pierre Despins, le Dr Jean-Guy Gervais, le Dr Ghislain Lacroix ou la Dre Lyne Thériault. Je m’inscris, moi aussi, dans cette lignée.

M.Q. — L’un des facteurs qui pourraient menacer l’objectif d’inscrire 85 % de la population dans votre région serait la retraite massive de médecins de famille en fin de carrière. Y a-t-il des solutions pour prévenir ce problème ?

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S.L. — Je crois qu’il pourrait être intéressant de permettre aux médecins en fin de carrière de prendre progressivement leur retraite. Il faudrait mettre sur pied un plan pour inciter nos jeunes collègues à se joindre aux omnipraticiens qui veulent diminuer progressivement leur pratique. Il faudrait des mécanismes pour que la prise en charge de la clientèle d’un omnipraticien en fin de pratique ne devienne ni trop lourde, ni trop décourageante pour un nouveau médecin. Il pourrait y avoir un genre de jumelage. Pour un nouveau médecin, c’est beaucoup plus rassurant de penser « Le Dr Untel veut prendre sa retraite d’ici trois ou quatre ans et je vais commencer peu à peu à prendre en charge sa clientèle » que « Le Dr Untel s’en va, et il faut que je prenne sa place ». Le jeune omnipraticien pourrait, en plus, compter sur une personne-ressource qui connaît bien les patients et serait capable de l’aider. Ce serait positif pour les deux médecins. Dans certaines provinces, de tels mécanismes existent.

M.Q. — Comment mettre sur pied un tel système ?

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S.L. — Une réflexion sur le sujet par la FMOQ et le MSSS serait souhaitable. Il faut penser au départ de nos boomers, à l’arrivée de nos nouveaux collègues, voir ce qui se fait à l’extérieur de la province dans le même contexte et peut être l’adapter à notre réalité. Un tel projet pourrait éviter qu’un nombre important de patients deviennent orphelins à cause du départ soudain de leur médecin.