Dossiers spéciaux

Clinique médicale

savoir aménager la clinique d’aujourd’hui... pour mieux y travailler demain

Claudine Hébert  |  2016-06-26

Comment doit-on aménager la clinique médicale d’aujourd’hui pour qu’elle demeure efficace et flexible demain. Les solutions peuvent varier, mais certains éléments essentiels s’imposent.

clinique-medicale

M. Serge Falardeau

Avec l’interdisciplinarité qui s’invite dans les GMF, la réduction du nombre d’omnipraticiens qui pratiqueront dans les hôpitaux, le remplacement des salles d’archives par les dossiers numériques... des dizaines de cliniques médicales sont appelées actuellement à revoir leur aménagement intérieur.

Existe-t-il une formule universelle, une norme pouvant aider les médecins de famille à mieux planifier l’aménagement de leur milieu de travail ? En fait, il existe autant de façons de réaliser une clinique médicale qu’il y a de médecins.

Agrandir pour mieux soigner

Créée dans les années 1990, la clinique GMF Saint-Charles, à Terrebonne, en est à son troisième agrandissement. Une deuxième expansion en moins de cinq ans, signale le Dr Jean-Philippe Lebel. « Jusqu’à tout récemment, notre équipe médicale, qui comprend six médecins associés, un pédiatre et deux autres médecins, s’accommodait des huit locaux. On s’échangeait les bureaux en fonction des horaires de chacun. Ce n’est maintenant plus possible avec la diminution des heures de travail à l’hôpital et l’ajout prochain d’un médecin à notre équipe », explique le Dr Lebel.

L’agrandissement, prévu au cours de l’été, comprendra l’ajout de deux autres cabinets de médecins. « Ces salles permettront aussi de recevoir d’autres professionnels de la santé. Il y a aura toujours au moins un local de libre pour une nutritionniste, un travailleur social, un pharmacien, mais ce ne sera jamais le même », ajoute le Dr Lebel.

Les travaux de 2016 incluent aussi le réaménagement des locaux des deux infirmières. « Elles auront désormais chacune une pièce plus spacieuse. On souhaite ajouter une table d’examen dans chacune de ces salles pour permettre aux patients de s’allonger lors des prises de sang », indique le clinicien. Les travaux de réaménagement, qui nécessitent un agrandissement extérieur, prévoient la récupération de l’espace occupé par les archives, une superficie qui équivaut à un bureau additionnel.

« Ça ne fait pas partie du cadre de nos fonctions médicales de suivre de près les travaux d’aménagement et de s’engager dans la conception des plans. Pourtant, nous avons tout intérêt à le faire », considère le Dr Lebel. Le clinicien parle en connaissance de cause. Lors des travaux d’agrandissement de 2012, la clinique avait frôlé la mini-tempête. « C’est bête, nous avions totalement oublié d’insérer dans les plans initiaux une pièce réservée à la pape­terie et aux accessoires médicaux. C’est une de nos adjointes qui, à la lecture des plans, nous l’a signalé quelques jours avant le début des travaux. »

Les médecins associés du GMF Saint-Charles sont conscients que l’aménagement de bureaux personnalisés pour chacun des médecins augmentera les frais de gestion de la clinique. « Néanmoins, les coûts liés à cet agrandissement sont calculés. »

Chaque pied carré a son prix

Compte tenu de la valeur du pied carré, la construction, l’agrandissement ou la rénovation d’une clinique médicale est loin d’être une dépense que l’on prend à la légère. Selon l’architecte Serge Falardeau, dont la firme Groupe Falardeau a été mandatée pour les travaux d’agrandissement de la clinique GMF Saint-Charles, à Terrebonne, le coût de construction par pied carré dans les complexes médicaux modernes un peu partout au Québec s’élève à plus de 100 $, voire à plus de 150 $. Et ce prix, dit-il, ne s’applique qu’au bâtiment. Pour l’aménagement intérieur, qui inclut le mobilier et l’équipement, il faut doubler le prix. La facture s’élève ainsi aisément entre 200 $ et 300 $ le pied carré pour une construction neuve.

Le Groupe Médical GMA, qui a construit et maintenant gère le GMF GMA du Carmel, à Trois-Rivières, ainsi que le GMF GMA de la Rivière, à Sherbrooke, évalue le coût du pied carré, clé en main, à 90 $. Il faut dire que les deux cliniques GMA ont été aménagées dans deux anciens monastères, des bâtiments déjà existants.

Et les dépenses ne sont pas finies. En plus d’avoir à absorber les coûts d’aménagement, plusieurs cliniques doivent également assumer un coût de location ainsi que des frais d’exploitation (électricité, chauffage, entretien). Selon les villes et les régions, cette somme moyenne oscille entre 20 $ et 30 $ le pied carré par année.

« Compte tenu de tous ces coûts et de tous ces frais, les médecins ne peuvent plus s’offrir le luxe de payer pour des pieds carrés en trop », avertit Alain Ferland, président du Groupe Médical GMA. L’inutilisation de moins d’une dizaine de pieds carrés représentera peut-être moins de 300 $ de plus par année. Mais il suffit qu’un, deux, voire trois locaux complets de la clinique soient mal utilisés pour que ces pertes se traduisent par plus de 15 000 $ en frais d’exploitation par année, indique M. Ferland.

Une clinique de rêve

À la Cité Médicale Montréal, au centre-ville de la métropole, le Dr Samer Daher confie, sans hésitation, avoir enfin emménagé dans une clinique de rêve. Salle d’attente moderne, bureaux largement fenêtrés pour près d’une quinzaine de médecins, local de chaque infirmière intercalé tous les trois, voire deux bureaux de médecins, trois portes d’entrée différentes. « Après 21 ans d’expérience, je viens de réaliser une clinique qui répond en tout point aux besoins de la pratique médicale d’aujourd’hui », affirme le médecin responsable du GMF La Cité Médicale Montréal.

Pourquoi trois entrées ? Il y a en a une pour les patients du GMF, une autre pour la petite clinique destinée aux entreprises privées et une troisième réservée au personnel. « De cette façon, les patients n’ont pas l’occasion de croiser et d’aborder le médecin avant leur rendez-vous », explique le Dr Daher.

La clinique accueille également de multiples professionnels, dont une nutritionniste, un psychologue, un travailleur social, un pharmacien, un physiothérapeute ainsi qu’un entraîneur particulier qui prodigue ses conseils tant aux patients qu’aux employés de l’établissement, souligne fièrement le clinicien.

Chaque cabinet de médecin, dont celui du Dr Daher, occupe une superficie de 135 à 140 pieds carrés de superficie. « Tout a été bien pensé pour limiter les coûts d’aménagement. Par exemple, pour réduire les frais de plomberie, les lavabos sont, d’une pièce à l’autre, placés dos à dos au mur qui les sépare. Idem pour les prises de téléphone », explique le médecin.

Dr Samer Daher

La salle d’attente, elle, ne contient qu’une trentaine de chaises. Ce qui en fait un lieu plus chaleureux. Avec l’accès adapté et des agendas bien organisés, pas besoin d’une mégapièce. Et cela indique aux patients qu’ils seront reçus rapidement. Mais si l’attente dure plus longtemps que prévu ? « On s’assoit avec le médecin concerné pour revoir la conception de son horaire », indique le Dr Daher. La clinique n’offre toutefois aucune consultation sans rendez-vous. « Chaque jour, chacun des sept médecins en service offre à ses patients de cinq à six plages horaires pour les urgences. »

Située au 15e étage de la tour 2 de la Place Alexis Nihon, la clinique du Dr Daher profite par ailleurs d’un accès direct à la station de métro Atwater. L’endroit dispose également d’un vaste stationnement intérieur. « De plus, nous sommes situés dans un complexe au sein duquel il y a un important centre commercial. Ce qui constitue, pour nous médecins, un solide argument de négociation auprès du locateur », insiste le Dr Daher. Sa clinique reçoit chaque jour plus de 200 à 250 patients – sans compter leurs accompagnateurs –, qui passent, du lundi au vendredi, devant les boutiques et restaurants du centre commercial.

Pour concevoir les plans de sa clinique, le Dr Daher a consulté tous les membres de son équipe – adjointes, médecins et autres professionnels de la santé – afin de recueillir leurs commentaires, leurs idées. Le médecin a également eu l’aide de sa directrice de clinique. « Il faut s’impliquer dans le projet, mais on ne peut pas être seul dans ce processus. C’est ma directrice de clinique qui a veillé aux travaux d’aménagement qui ont duré près d’un an », indique-t-il.

Des bureaux attrayants pour séduire la relève

Si l’aménagement des GMF n’est pas du ressort du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), il en va autrement des groupes de médecine de famille universitaires (GMF/U), des unités de médecine familiale (UMF) et des CLSC. Dans leur cas, les règles d’aménagement sont dictées par le MSSS. Des règles discutables à certains égards, de l’avis de la Dre Maryse Nadeau, directrice de l’UMF La Pommeraie, aménagée dans un ancien magasin Canadian Tire, à Cowansville.

« Ce n’est certainement pas dans de petits locaux exigus, de la taille d’une garde-robe, qu’on va inciter les résidents à choisir notre profession. Il va falloir de belles cliniques modernes », soutient la Dre Nadeau.

Cette dernière a justement veillé à ce que les huit locaux que se partagent la douzaine de résidents R1 et R2 soient un peu plus grands que la superficie de 90 pieds carrés qui leur était réservée dans les plans initiaux. « En discutant avec les architectes, on a réussi à modifier la position des murs pour ajouter 20 pieds carrés à chacun de ces bureaux. Les concepteurs de ces plans au MSSS semblent avoir oublié que les locaux doivent être assez spacieux pour accueillir une jeune maman et sa poussette ou encore un patient en fauteuil roulant », signale-t-elle.

Pour permettre cet agrandissement, la Dre Nadeau a fait modifier la superficie des six bureaux des médecins superviseurs, dont le sien. « Je ne vois pas pourquoi nos bureaux seraient beaucoup plus grands que ceux des résidents. Notamment le mien, qui ne sert qu’à des tâches administratives. Il y a, à mon avis, un intérêt à revoir les façons de faire actuelles. »

Résultat ? Tout le monde apprécie la conception de la clinique. « On aime particulièrement la section du service des consultations sans rendez-vous où les deux bureaux de médecins sont situés à quelques pas de la salle d’attente et du bureau de l’infirmière qui fait le triage », note la Dre Alexandra Wilson, résidente de deuxième année.

Malgré tout, une erreur s’est glissée dans l’aménagement de cette UMF. Un détail qui a échappé à la Dre Nadeau. La fenêtre miroir installée dans la salle de supervision pour observer un des médecins résidents en consultation est trop haute. « Actuellement, on ne voit que le bout du nez et le front du résident », rapporte l’omnipraticienne. Le problème sera corrigé au cours de l’été.

Dre Maryse Nadeau

Quand la Dochitect® s’en mêle

Bien qu’il n’existe aucune formule, aucune norme officielle à suivre en matière d’aménagement de clinique médicale, la Dre Diana Anderson, une Montréalaise d’origine établie à New York, souhaite faire évoluer les choses des deux côtés de la frontière canado-américaine. « Il est temps que les médecins et les architectes collaborent étroitement pour créer de meilleurs environnements de santé pour les patients et le personnel », indique-t-elle.

Planificatrice médicale chez Stantec New York, Diana Anderson est elle-même détentrice d’une maîtrise en architecture de l’Université McGill ainsi que d’un doctorat en médecine de l’Université de Toronto. Conférencière et auteure de livres et d’articles, autant en médecine qu’en architecture, elle s’est créé un titre professionnel, celui de « Dochitect® », la contraction des mots docteur et architecte.

Aux États-Unis, dit-elle, les cliniques ont déjà entamé le virage de la multifonctionnalité. Pour mieux répondre aux besoins de première ligne, la tendance est à l’aménagement de cliniques médicales souples. Des endroits conçus pour accueillir différents types de professionnels de la santé selon les besoins des patients. Dans ces centres, le mobilier et l’équipement tels que l’électrocardiogramme et les appareils à ultrasons sont facilement transportables d’une pièce à l’autre.

On voit même, indique la Dre Anderson, des bureaux de médecins équipés d’un mobilier qui sert à la fois pour la discussion et l’examen. La table d’examen sert désormais de siège pendant la conversation avec le patient.

Dre Diane Anderson

D’autres avenues ont aussi commencé à être explorées, notamment la conception des salles d’attente afin que les patients fassent autre chose que d’attendre. Au-delà des simples rangées de chaises traditionnelles, des cliniques aménagent des coins salon, des lieux privés pour favoriser l’intimité des patients et leurs accompagnateurs. On note également des zones technos où les patients peuvent brancher leurs appareils mobiles, indique la Dre Anderson.

Et même si les cliniques deviennent plus fonctionnelles, il faut, dit-elle, poursuivre le dialogue entre les architectes et les médecins. Un des exemples illustrant le fossé entre les deux professions : la position des tables d’examen. « En Amérique du Nord, les médecins apprennent à examiner le patient du côté droit du corps, ce qui facilite l’examen et l’accès aux organes vitaux. Un détail que ne connaissent pas nécessairement les architectes et designers. Je l’ai constaté à maintes reprises dans des cliniques et hôpitaux des deux côtés de la frontière », raconte la Dre Anderson.

Certes, concède l'architecte-médecin, les différentes politiques de santé canadiennes et américaines vont avoir une influence sur la conception et la construction de cliniques et des hôpitaux. « Le système de santé du Canada baigne dans un environnement public. Celui des États-Unis doit se démarquer dans un marché concurrentiel. Dans ce contexte, les aménagements ont intérêt à être attrayants et esthétiques pour attirer les patients, tout en étant rentables pour les dirigeants. N’empêche que les deux systèmes font face aux mêmes réalités en matière de santé : la population vieillit, les maladies chroniques augmentent et les gens veulent avoir accès à plus de services de santé. Par conséquent, les cliniques nord-américaines devront s’adapter. » //

Neuf conseils pratiques avant d’entamer des travaux


1. Pour bâtir une toute nouvelle clinique, il ne suffit pas de trouver un terrain dont le zonage actuel en permet la construction, signale l’architecte Serge Falardeau, du groupe Falardeau. Avant de procéder à une offre d’achat, vous avez tout avantage à vous assurer que le zonage du terrain permettra des agrandissements futurs. À moins de vouloir déménager...

2. Limitez l’inutilisation des pieds carrés dans les espaces circulatoires de la clinique. Privilégiez l’aménagement d’une réception centrale, conseille l’architecte Serge Falardeau.

3. Pour réduire les longs couloirs inutiles, favorisez un plan de type chambre d’hôtel, dont les unités sont aménagées en longueur, et non en largeur. « En disposant les bureaux de médecins sur la longueur, cela permet d’aménager la salle d’examen près de la fenêtre et le bureau de consultation à l’avant. On utilise un mur de verre givré pour la cloison afin de laisser pénétrer la lumière naturelle dans l’autre section », explique l’architecte Falardeau.

4. Toujours pour réduire la longueur des couloirs, aménagez les plus grands espaces, la salle de conférence et la cafétéria par exemple, dans les extrémités du bâtiment, recommande l’architecte.

5. Prévoyez des couloirs suffisamment larges dans l’éventualité où deux fauteuils roulants auraient à se croiser, avertit le Dr Jean-Philippe Lebel, du GMF Saint-Charles, à Terrebonne.

6. Les portes pleines sont belles, mais elles coûtent cher. Utilisez des coupe-feu et des bordures en caoutchouc autour des portes pour atténuer le son, suggère le Dr Samer Daher, directeur médical de la Cité Médicale Montréal.

7. Demandez aux architectes de varier l’emplacement des prises de courant de chaque côté d’un mur. « Deux prises situées vis-à-vis l’une de l’autre diminuent l’insonorisation entre deux pièces », avertit Alain Ferland, président du Groupe Médical GMA.

8. Prévoyez un système de climatisation et de chauffage indépendant dans chacun des cabinets de médecins, recommande Alain Ferland. Il en va du confort de chacun.

9. Utilisez un mobilier léger de couleur claire (voire une table), monté sur roulettes pour en faciliter le déplacement, pour donner l’impression d’avoir une pièce plus grande, indique l’architecte Serge Falardeau.