Questions... de bonne entente

Attestations médicales

complaisance et rigueur

Michel Desrosiers  |  2014-09-25

Pour le médecin, remplir des certificats, des attestations ou des déclarations est une activité quotidienne. Malgré la fréquence de tels gestes, en appréciez-vous pleinement la portée ? Discutons-en !

Bon nombre de patients vous demandent régulièrement de remplir différents formulaires. Quand il ne s’agit pas du patient lui-même, il peut s’agir de son employeur, de son assureur invalidité, de son avocat. Ces formulaires peuvent être sommaires ou plus détaillés, et le temps nécessaire pour les remplir peut varier énormément. Cependant, vous devez généralement tous les signer, comme vous le faites pour les ordonnances que vous rédigez ou les notes que vous faites dans le dossier médical.

Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

Quelle est la portée de votre signature et quelles peuvent être les conséquences de l’apposer sur un document ? Bien que votre signature puisse être exigée pour différentes raisons, elle l’est habituellement parce que la personne qui demande le document veut obtenir une information objective, véridique et fiable pour prendre une décision. Votre signature dans ce contexte entraîne donc votre responsabilité professionnelle de deux façons. En effet, le Code de déontologie interdit au médecin de délivrer à quiconque et pour quelques motifs que ce soit des certificats de complaisance ou des informations écrites ou verbales qu’il sait erronées. En outre, selon les règles civiles, le médecin pourrait être tenu responsable des pertes subies par un tiers qui a accordé des avantages à une personne en raison du certificat.

Le médecin qui décide d’assister un patient en attestant des informations qu’il sait ne pas être véridiques pourrait donc faire l’objet d’une plainte disciplinaire et d’un recours civil. La première pourrait se solder par une réprimande, une amende et possiblement une période de radiation temporaire ; la deuxième, par une condamnation à payer des dommages à l’autre partie.

C’est dans la gestion des absences du travail ou des invalidités que les médecins sont le plus souvent sollicités pour produire des billets, des attestations ou des certificats. Les enjeux peuvent être importants pour les patients. Il n’est donc pas surprenant que ces derniers puissent parfois chercher à « utiliser » leur médecin pour se faciliter l’accès à certains avantages. Même s'il évite de fournir des certificats de complaisance, le médecin pourra parfois être dupé par son patient. Dans d’autres situations, les demandes de ce dernier pourront mener le médecin à s’immiscer dans la gestion d’un conflit de travail au lieu de s’en tenir au volet strictement médical. Illustrons les situations possibles.

Charles Chasseur

Ce patient est un fervent de la chasse. Chaque année, il se joint à ses cousins pour un séjour dans une pourvoirie. Cette année, son patron refuse de lui accorder ses vacances annuelles du fait de transformations à l’usine qui exigent sa présence. S’il vous informe du problème et vous demande de lui signer un billet d’absence de façon à ce qu’il puisse participer au voyage, vous aurez compris que vous êtes complice de sa manœuvre à l’égard de son employeur et que le certificat que vous produisez en est un de complaisance.

Votre patient pourrait toutefois être moins direct. Il pourrait prétendre souffrir d’une entorse lombaire, apparue subitement en déplaçant une échelle pour nettoyer les gouttières de sa demeure. Au moment de l’évaluation, vous ne notez pas de signes inquiétants. Vous lui prescrivez des anti-inflammatoires et un arrêt de travail d’une semaine. Il ne s’agira alors pas d’un certificat de complaisance puisque vous aurez été dupé par votre patient.

 

Le médecin qui décide d’assister un patient en attestant d’informations qu’il sait ne pas être véridiques pourrait faire l’objet d’une plainte disciplinaire et d’un recours civil.

Toutefois, il se pourrait que son employeur ne soit pas dupe. Le Service des ressources humaines, au courant du refus de congé et de l’absence pour cause de maladie, pourrait trouver qu’il s’agit d’une curieuse coïncidence et faire enquête. Si l’employeur découvre que l'employé était à la chasse durant une semaine où il prétendait être incapable de travailler, il pourrait prendre des sanctions contre ce dernier, pouvant aller jusqu’au congédiement. Si l’employeur avait des raisons de croire que vous étiez complice, il pourrait déposer une plainte au Collège des médecins ou auprès de votre établissement.

Notez qu’aux yeux du Collège des médecins, advenant votre complicité, la faute serait la même que le patient reçoive son salaire durant la période de « maladie », qu’il retire des prestations d’assurance ou qu’il ne reçoive aucune somme durant sa semaine d’absence.

Il va de soi qu’il y a toute une variété de situations entre les deux extrêmes présentés pour lesquelles vous pourriez avoir des degrés de doutes différents sur la véracité des douleurs décrites par votre patient. Vous pourriez avoir appris qu’on lui a refusé ses vacances pour son voyage annuel de chasse ou encore vous pourriez remettre ses symptômes en question en raison de son comportement durant l’examen ou de la grande variabilité de sa douleur. Si vous fermiez les yeux sur vos doutes alors qu’il n’était pas raisonnable de le faire et qu’un médecin diligent n’aurait pas agi de la sorte, vous pourriez quand même faire l’objet d’une plainte disciplinaire auprès de votre établissement ou du Collège.

Reconnaître le type de situation dans laquelle vous vous trouvez est probablement plus simple lorsqu’il s’agit d’un problème aigu. L’analyse de la situation est aussi moins compliquée du fait qu’elle est purement « médicale ». La couverture offerte par un contrat d’assurance maladie ou d’invalidité est souvent limitée. Toutefois, au début d’une absence pour invalidité, la présence d’un problème médical suffit généralement pour donner droit aux prestations. Lorsqu’il s’agit d’un problème chronique ou qui se prolonge, deux facteurs en compliquent l’évaluation : l’évolution du problème dans le temps et les répercussions de cette évolution sur la couverture d’un contrat d’assurance. Sans vouloir traiter en détail de cette deuxième notion, nous y toucherons dans les exemples suivants.

François Fracture

Vous connaissez ce patient pour l’avoir vu à l’occasion pour des problèmes courants. Il est plombier. Il a souffert d’un accident de travail qui a provoqué une entorse au poignet droit. Du fait d’une petite avulsion osseuse d’un des os du carpe, l’orthopédiste a recommandé une immobilisation de quatre semaines, mais ne tient pas à le revoir en l’absence de complications. Après un mois d’immobilisation et le retrait du plâtre, vous constatez que le poignet est raide. Vous prescrivez donc à votre patient de la physiothérapie et prolongez son arrêt de travail. Malgré une amélioration de la mobilité de son poignet, le patient se plaint toujours de douleurs à la mobilisation, qui sont atténuées par les séances de physiothérapie. Vous ne trouvez pas d’explication à sa douleur persistante.

 

Un contrat d’assurance peut prévoir des limites au remboursement de certains traitements, tels que la physiothérapie, à un travailleur selon que la lésion soit ou non consolidée.

Vous aurez compris que l’évaluation initiale ne pose pas problème, la lésion étant objective. C’est l’évolution du problème qui est ici en jeu. On peut se demander s’il s’agit toujours d’un problème réel ou si le patient tire des avantages de son « invalidité ». Le médecin pourrait progressivement apprendre des informations qui renforcent cette perception, comme le fait que son patient ne veut pas retourner travailler de soir ou de nuit et sacrifier ainsi la vie sociale qu’il a connue durant son absence pour invalidité.

Il faut aussi noter que la nature de la couverture offerte par un assureur, comme la CSST, peut être différente des besoins « médicaux » perçus par le médecin. En effet, la CSST est responsable des traitements fournis par des membres d’ordres professionnels, comme les physiothérapeutes, tant que la lésion n’est pas consolidée. Si la physiothérapie n’apportait qu’un soulagement temporaire, sans modifier la fonction du travailleur, le médecin pourrait conclure que la lésion est consolidée. La couverture ne serait alors plus la même, et la CSST pourrait ou non accepter de défrayer les coûts de la physiothérapie, selon le contexte spécifique.

Marie Malheureuse

Cette patiente vous consulte après de petites difficultés au travail. Elle semble souffrir d’un trouble d’adaptation avec humeur dépressive. Elle a déjà souffert d’une dépression postnatale et a bien répondu au traitement. Vous entreprenez donc le même traitement et lui signez un certificat d’arrêt de travail.

Lors du suivi, vous notez qu’elle semble bien répondre au traitement, quoique lentement, mais elle résiste à l’idée de reprendre progressivement le travail. Elle invoque toutes sortes de difficultés liées à certains collègues, son horaire de travail ou son milieu de travail et vous demande de prévoir des limitations sur les possibilités de retour au travail.

Cette évolution pourrait vous porter à vous demander s’il s’agit toujours d’un problème dépressif ou si la présence sous-jacente d’un conflit au travail a dorénavant pris le devant. Si c’était le cas, le problème de votre patiente passerait ainsi d’une nature plus purement médicale à un problème de ressources humaines. Continuer à produire des certificats attestant d’une absence au travail pour maladie en étant convaincu que le problème n’est dorénavant plus de nature médicale revient à produire des certificats de complaisance.

Le problème n’est pas rendu plus simple par le fait que les absences en raison de conflits au travail ne sont généralement pas visées par l’assurance invalidité. Le patient a donc un intérêt à percevoir son problème comme étant de nature médicale. Il peut être difficile pour le médecin de remettre en question son diagnostic initial pour tenir compte de l’évolution à long terme.

Au-delà du diagnostic, le médecin devrait s’assurer que les limitations qu’il indique sur un billet d’invalidité sont bien liées à une cause médicale. Indiquer qu’un patient ne doit pas lever le bras droit plus haut que l’épaule semble associé directement à des contraintes physiques. Il en va de même du patient ayant des troubles de concentration ou d’endurance qui ne peut travailler plus de trente minutes consécutives sans avoir besoin d’une pause de quinze minutes.

Un billet indiquant qu’un patient ne peut pas travailler dans la même équipe que Lionel Laterreur ou qu’on ne peut pas lui demander de conduire plus de vingt kilomètres pour se rendre au travail semble a priori plutôt associé à l’organisation du travail qu’à un problème médical. La première raison semble un moyen détourné d’éviter une situation conflictuelle, la deuxième a plus l’allure d’un moyen d’éviter de déplacer un ouvrier d’un lieu de travail qu’il préfère à un autre. Lorsqu’un patient formule de telles demandes, le médecin devra se demander s’il est appelé à faire une recommandation médicale liée à un problème de santé ou plutôt à s’ingérer dans un conflit au travail qui ne relève pas de sa compétence.

Bien que des patients puissent demander à leur médecin d’inscrire de telles restrictions sur un certificat d’absence au travail, le médecin doit être conscient qu’un employeur qui ne peut répondre à ces contraintes pourrait trouver là un motif pour congédier l’employé. L’assureur qui en arriverait à la conclusion que le problème du patient n’est pas de nature médicale, mais s’inscrit plutôt dans un conflit de travail, pourrait aussi mettre fin aux indemnisations. Dans un cas comme dans l’autre, on pourrait alors imaginer l’employé malheureux se retourner contre le médecin pour obtenir une compensation pécuniaire.

Pris entre l’arbre et l’écorce

Lorsque vous devenez conscient que l’incapacité d’un patient de reprendre le travail relève du domaine du conflit de travail plutôt que d’un problème médical, vous devriez en discuter avec lui. Choisir quand et comment participer à la résolution du problème peut s’avérer délicat. L’employeur ou le Service des ressources humaines peut très bien avoir vécu d’autres problèmes avec votre patient, et un nouvel épisode pourrait être la goutte qui fait déborder le vase. La présence d’un conflit au travail suffisamment important pour nuire au retour de l’employé pourrait donc entraîner le congédiement. Que l’employé occupe une fonction stratégique ou qu’il soit « indispensable » réduit peut-être le risque de congédiement, mais vous ne le saurez pas nécessairement et d’autres impondérables (difficultés financières, vente prochaine de l’entreprise) pourraient modifier l’attitude de l’employeur. Le médecin qui, sans connaître la culture des services médicaux de l'employeur, indique que l'invalidité est causée par un conflit de travail peut produire le résultat qu'il cherchait justement à éviter.

 

Lorsqu’un patient demande au médecin d’inscrire des restrictions liées aux personnes avec qui il peut être appelé à travailler, le médecin devra se demander s’il s’agit d’une restriction médicale liée à un problème de santé ou d’un moyen de gérer un conflit au travail.

Il est donc probablement plus prudent d’intervenir lorsque vous commencez simplement à avoir des doutes, avant que l’éventuel conflit de travail ne soit le seul élément qui nuise au retour au travail. Discuter avec votre patient à cette étape peut ainsi s'avérer utile. Vous pouvez aussi indiquer dans vos rapports « que des enjeux administratifs ou des difficultés en milieu de travail peuvent nuire à la motivation du patient à envisager un éventuel retour au travail ». Si le patient se plaint de harcèlement par un supérieur, vous pourriez indiquer, dans la section réservée aux « commentaires », que « le patient signale que son supérieur a des comportements à son égard qu’il perçoit comme du harcèlement » et encourager le milieu de travail à évaluer la situation.

Notez bien la formulation donnée en exemple. Le médecin ne devrait pas attester d’informations qu’il n’a pas observées (comme le fait qu’un patient fasse l’objet de harcèlement au travail). Lorsque le médecin traduit la perception subjective d’une autre personne (le travailleur, par exemple), il doit en indiquer la source, tout en reconnaissant qu’il s’agit d’une perception subjective. De la même façon, le médecin devrait aussi éviter de faire des recommandations non médicales du genre : « Vous n’avez pas à prendre d’assurance vie ».

 

Lorsqu’il soupçonne qu’un conflit au travail nuit au retour au travail de son patient, le médecin devrait indiquer que des enjeux administratifs peuvent nuire au retour au travail et inviter l’employeur à évaluer la situation.

Plus vous attendez pour signaler l’existence d’un problème qui n'est pas de nature médicale, plus les conséquences risquent d'être importantes pour votre patient lorsque vous en parlerez. En outre, plus vous attendez pour faire état du problème, plus la pression de ne pas le faire augmente, ce qui peut vous mener, par compassion pour votre patient, à faire des recommandations qui sortent du domaine purement médical. L’intervention hâtive ne garantit pas que l’employeur trouvera une solution, mais elle réduit les risques que vous sortiez de votre rôle de médecin. Vous pouvez de plus encourager votre patient à discuter avec un représentant syndical, s’il travaille dans un milieu syndiqué.

Conclusion

Vous aurez compris qu’il y a des limites à ce qu’un médecin peut faire pour aider ses patients, comme c’est le cas pour un avocat ou un comptable. Le but premier du présent article est de vous sensibiliser à votre responsabilité professionnelle lorsque vous rédigez des certificats ou des rapports et de l’importance de faire reposer ces derniers sur des éléments objectifs et des considérations médicales.

Avec des partenaires, la FMOQ est en train de créer un atelier de formation sur le rôle du médecin dans la gestion de l’invalidité des patients. Espérons que cet article, même s’il ne constitue qu’un survol, vous aura fait prendre conscience de la situation décrite et vous incitera à vous prévaloir des formations offertes sur le sujet. À la prochaine ! //