Nouvelles syndicales et professionnelles

Le mentorat

Aider un jeune médecin

Emmanuèle Garnier  |  2014-08-13

La FMOQ va offrir, à partir d’octobre, un service de mentorat qui permettra aux jeunes omnipraticiens qui le désirent d’être jumelés avec un médecin plus âgé. Ils pourront bénéficier de son expérience, de ses conseils et de ses réflexions.

 

La Dre Catherine Charpentier, 25 ans, pratiquait depuis six mois quand elle a eu son premier choc de clinicienne. Elle allait avoir à suivre une patiente difficile. Une personne qui n’hésitait ni à menacer ni à porter plainte. Entre autres au Collège des médecins du Québec. La jeune omnipraticienne était terrifiée.

« J’ai commencé à me demander : est-ce que je vais avoir des inquiétudes sur le plan juridique ? Je ne voulais pas cela. » La Dre Charpentier se sentait prise dans un dilemme. D’un côté, la patiente avait des droits. « Elle avait le droit d’avoir un médecin de famille et des soins médicaux, peu importe son comportement, sa personnalité et sa façon de gérer les choses. » Mais de l’autre, la Dre Charpentier avait aussi des besoins en tant que clinicienne. « J’ai le droit d’être à l’aise avec mes patients et je dois l’être pour pouvoir exercer mon rôle de médecin de la meilleure façon possible. »

Désemparée, la jeune femme a alors eu l’idée d’appeler une omnipraticienne expérimentée, la Dre Lise Dauphin. Cette dernière l’avait récemment approchée pour créer un programme de mentorat pour jeunes médecins. Au bout du fil, la Dre Dauphin était rassurante. Elle a écouté sa jeune collègue et l’a calmée. « Elle m’a fait part de plusieurs réflexions et d’expériences qu’elle aussi a eues avec des patients difficiles ou menaçants », se souvient la jeune omnipraticienne.

Catherine Charpentier

Dre Catherine Charpentier

Ensemble, elles ont analysé la situation, discuté, envisagé les différentes possibilités. La Dre Dauphin, qui avait fait partie à divers titres du Collège des médecins du Québec, connaissait bien les règles d’éthique à respecter. « Elle n’était pas là pour me dire quoi faire, indique la jeune femme. Elle essayait de voir avec moi les options qui me convenaient : "Es-tu à l’aise avec telle solution ? Avec telle autre ?" Son rôle a été de me faire réfléchir, de m’apprendre à vraiment m’écouter. La décision, c’est moi qui l’ai prise. Elle m’a toutefois donné son avis, parce qu’il y a des règles déontologiques à respecter. Elle m’a finalement dit : "Je pense que ta décision est adéquate." »

La solution qu’a retenue la Dre Charpentier : offrir à la patiente de la voir au service de consultation sans rendez-vous pour les problèmes urgents, mais lui proposer d’être suivie par un autre médecin qui répondrait mieux à ses besoins. La Dre Dauphin, qui est coordonnatrice d’un guichet d’accès pour personnes sans médecin de famille, avait expliqué à sa jeune collègue que la patiente pouvait être orientée par le guichet vers un omnipraticien à l’aise avec le type de problème que cette dernière présentait.

« Je me suis rendu compte que dans le fond je n’étais peut-être pas le meilleur médecin pour cette patiente-là, analyse la Dre Charpentier, qui a maintenant un an de pratique. Ce n’est pas mieux de la prendre en charge et de ne pas exercer adéquatement mon rôle. Quand on sort de la Faculté de médecine, on pense qu’on doit tout faire, sauver tout le monde. J’ai donc appris à m’écouter, à me connaître. Ce genre de situation n’était pas pour moi à ce stade de ma carrière. »

« Le mentorat est une forme d’accompagnement qu’on offre à quelqu’un tant dans sa vie professionnelle que personnelle et spirituelle. »

– Dre Lise Dauphin

Un projet pilote

Sans l’avoir cherché, la Dre Dauphin et la Dre Charpentier ont été la première dyade du programme de mentorat qu’elles allaient, avec d’autres collaborateurs, mettre sur pied pour la FMOQ.

L’idée de ce programme a germé l’an dernier dans la tête de la Dre Dauphin. Quand elle est tombée sur le concept de mentorat, elle a tout de suite su que c’était ce qu’elle voulait faire. Après plus de trente ans de pratique, elle avait envie de rendre à sa communauté l’aide que ses collègues lui avaient donnée à ses débuts. « Le mentorat est une forme d’accompagnement qu’on offre à quelqu’un tant dans sa vie professionnelle que personnelle et spirituelle », précise la Dre Dauphin.

Il faut distinguer le mentorat du coaching. « En coaching, on se préoccupe surtout du développement de compétences professionnelles et d’habiletés particulières avec des objectifs à court terme, parce qu’il y a un enjeu de performance, explique la Pre Nathalie Lafranchise, qui enseigne à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et fait partie, à titre d’experte-conseil, du comité de mentorat créé par la Dre  Dauphin. En mentorat, on n’est pas du tout dans cette logique-là. Le mentor accompagne le mentoré dans son développement global. Il l’aide à se développer professionnellement, mais en accueillant aussi tout ce qu’il peut vivre dans ses diverses situations professionnelles. »

Le programme de mentorat de la FMOQ, qui commencera en octobre, permettra le jumelage de jeunes omnipraticiens avec des collègues expérimentés. Pendant de douze à dix-huit mois, chaque paire se rencontrera au moins une heure mensuellement. Le programme offrira des outils comme des guides pour mentor et mentoré et une journée d’immersion (encadré).

Lise Dauphin

Dre Lise Dauphin

Ce projet pilote comptera, pour la première année, entre dix et vingt dyades de mentors et mentorés provenant de Montréal et des alentours. La coordonnatrice du programme, la Dre  Dauphin, fera un suivi auprès de chacun des participants.

Les besoins des jeunes médecins

Les jeunes médecins ont-ils vraiment besoin d’un mentor ? Un sondage fait à la demande du comité de mentorat révèle que, sur quelque 130 répondants, presque la moitié estime que le mentorat présente un intérêt pour les jeunes médecins. Le questionnaire a été envoyé en avril par courriel à un peu plus de 1000 omnipraticiens pratiquant depuis cinq ans et moins. L’aspect de la relation mentorale qui intéresse le plus les répondants : avoir de l’aide pour améliorer leur qualité de vie au travail. Ils cherchent un mentor ayant une pratique et des valeurs semblables aux leurs. Ils désirent que celui-ci partage avec eux son expérience, les écoute, les aide dans leur réflexion et leur recherche de solutions.

Au comité de mentorat, la Dre Charpentier constitue la voix des jeunes médecins. Elle connaît leurs besoins, qui sont aussi les siens. « Quand on commence notre pratique, on manque d’expérience. Pour la première fois, on doit être autonome. On doit gérer les rendez-vous, les messages, les résultats des tests de laboratoire. On doit faire notre facturation. On doit obtenir une assurance professionnelle. Et si l’on pratique dans une clinique, on peut avoir à participer à la gestion. Ce sont plusieurs situations nouvelles », indique la jeune omnipraticienne qui exerce à la clinique Espace Santé, à l’Île-des-Sœurs.

Pour la Dre Charpentier, le principal but du programme de mentorat est d’améliorer la qualité de vie au début de la carrière. « Si l’on peut faciliter le passage entre l’expérience de la résidence et celle du médecin omnipraticien, qui est totalement différente, on améliore la qualité de vie du jeune médecin. » Le clinicien débutant peut, par exemple, avoir besoin de conseils pour atteindre un équilibre entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle. C’est d’ailleurs l’un des sujets dont la Dre  Charpentier compte discuter avec la Dre Dauphin, qu’elle a maintenant adoptée comme mentor.

L’expérience : un outil

Mais que gagne un mentor à accompagner un mentoré ? « C’est gratifiant de pouvoir contribuer au développement d’un jeune collègue et d’être témoin de sa croissance professionnelle », affirme la Pre Lafranchise, également présidente de Mentorat Québec, un organisme sans but lucratif qui fait la promotion du mentorat.

Être mentor est un geste gratuit. C’est donner sans rien attendre en retour. Le mentor offre à la fois son expérience professionnelle et son expérience de vie. « L’expérience devient pour le mentor un outil pour aider le mentoré à réfléchir. Elle permet de poser à ce dernier les bonnes questions et de l’amener à tenir compte d’angles qu’il n’aurait pas pris en considération », indique la professeure.

Le mentor a parfois à dédramatiser une situation. Il va alors interroger, recadrer, donner des trucs, partager ses expériences. « Le mentoré s’aperçoit ainsi que son problème fait partie du début de la pratique. Que c’est normal de vivre les choses de cette manière-là. »

Nathalie Lafranchise

Pre Nathalie Lafranchise

« C’est gratifiant de pouvoir contribuer au développement d’un jeune collègue et d’être témoin de sa croissance professionnelle. »

– Pre Nathalie Lafranchise

Une attitude d’écoute est cependant nécessaire de la part du médecin expérimenté. « Il n’est pas là pour dire au jeune médecin quoi faire, mais plutôt pour être à son service », précise la consultante. Il doit s’occuper des préoccupations du mentoré. C’est d’ailleurs ce que compte faire la Dre  Dauphin dans sa relation avec la Dre  Charpentier. « C’est Catherine qui va définir les besoins sur lesquels on va se pencher. »

Les confidences de la jeune omnipraticienne se feront, par ailleurs, sous le sceau du secret, comme dans toutes les dyades du programme. « On échange, on dialogue, mais cela reste entre nous. C’est confidentiel », assure la Dre Dauphin.

Le mentor est, en somme, un peu un guide. « On est là pour entendre, écouter, échanger, stimuler, peut-être lancer des défis. On va permettre aux mentorés de voir comment ils envisagent leur carrière à court et à moyen terme. » Le mentor et son protégé ont par ailleurs à définir ensemble des objectifs, indique la clinicienne qui suit des cours de deuxième cycle en mentorat à l’UQAM. « Les participants doivent savoir quels sont leurs besoins. Pourquoi s’engagent-ils dans une relation mentorale ? Quels buts veulent-ils atteindre ? »

Le choix du mentoré

Dans la formation de dyades, c’est le mentoré qui choisit son mentor. Mais comment va-t-il le sélectionner ? « Il doit chercher un mentor avec qui il a des atomes crochus et qui a les qualités que lui-même veut développer. Le mentor doit être le type de médecin que le mentoré aspire à devenir », explique la Pre Lafranchise.

Le mentorat a beaucoup été étudié. Depuis une vingtaine d’années, les recherches se multiplient aux États-Unis, en Europe et au Québec. Les premières études portaient non pas sur des programmes officiels de mentorat, mais sur les jumelages qui se produisaient naturellement dans les milieux de travail. « Les programmes officiels sont arrivés pour reproduire les conditions favorables à la création de ce type de relation. La situation optimale, c’est quand les personnes se choisissent. Sachant cela, il faut donc mettre les gens en présence les uns des autres pour qu’ils se connaissent et aient spontanément envie d’être jumelés l’un à l’autre. » Ce sera d’ailleurs l’un des buts de la journée d’immersion en mentorat qui aura lieu en octobre prochain (encadré).

Tant le mentor que le mentoré bénéficient de la relation mentorale. Être mentor peut amener un vent de fraîcheur dans une carrière arrivée à maturité. « Je suis contente d’avoir un contact avec la relève, mentionne la Dre Dauphin. Cela me stimule professionnellement. Les jeunes médecins sortent de l’université. Ils sont à la fine pointe des connaissances et en même temps ils vont nous demander conseil. Il va parfois falloir revoir certaines notions dans nos livres. Les jeunes sont également stimulants, parce qu’ils nous parlent aussi de leur vie personnelle et ont besoin de notre avis. »

« Je pense que le besoin de mentors est probablement plus grand maintenant en médecine familiale. Ce domaine s’est complexifié, demande plus de polyvalence et les cohortes d’étudiants ont augmenté. »

– Dr Serge Dulude

Depuis longtemps, la FMOQ désirait offrir un programme de mentorat. « C’est un souhait qui revient depuis une bonne vingtaine d’années, affirme le Dr Serge Dulude, membre du comité de mentorat et directeur de la Planification et de la Régionalisation à la FMOQ. Le mentorat est de plus en plus populaire. Je pense que le besoin est probablement plus grand maintenant en médecine familiale. Ce domaine s’est complexifié, demande plus de polyvalence et les cohortes d’étudiants ont augmenté. » //

Journée d’immersion en mentorat

Une journée de formation sera organisée le 24 octobre prochain pour les médecins qui désirent participer au programme de mentorat de la FMOQ. Les futurs mentors et mentorés y acquerront des notions importantes et participeront à différentes activités pour favoriser le jumelage.

« Il faut transmettre des informations, mais il y aura beaucoup d’activités pratiques, de simulations, de réflexions en petits groupes, de réflexions à deux entre mentors et mentorés potentiels. Les activités permettront aux participants d’être en interaction et de travailler avec différentes personnes de sorte qu’à la fin de la journée les futurs mentorés puissent savoir avec quel médecin ils aimeraient être jumelés », explique la Pre Nathalie Lafranchise, consultante et présidente de Mentorat Québec. Les mentors ou mentorés qui ont déjà trouvé leur partenaire pour former une dyade sont également les bienvenus à la journée.

La formation comprendra quatre modules. Le premier portera sur les principes de base du mentorat. « On clarifiera certains concepts : ce qu’est le mentorat, la différence avec le coaching, quel est le rôle du mentor et quel est celui du mentoré », précise la formatrice.

Marie-Josée Gagné

MmeMarie-Josée Gagné

Un deuxième module permettra de se pencher sur les besoins et les valeurs des mentorés. « Il s’agit de faire prendre conscience aux mentors et aux mentorés de leurs valeurs personnelles et de leurs besoins. Ils doivent être conscients que les besoins du mentoré ne seront pas nécessairement ceux du mentor et vice-versa », dit Mme Marie-Josée Gagné, étudiante en communication à l’UQAM, qui sera l’une des animatrices de la journée d’immersion.

Un atelier permettra également aux participants d’acquérir certaines habiletés. «  Une grande partie de la relation mentorale est liée à la communication interpersonnelle et donc aux habiletés de communication. Nous allons expliquer aux participants comment commencer la relation mentorale, la développer et la terminer. Nous les aiderons aussi à développer des compétences et des habiletés en communication interpersonnelle, comme l’écoute active, la reformulation et la rétroaction », explique Mme Gagné, qui a élaboré, comme stagiaire à Mentorat Québec, ce module sur la communication.

La relation mentorale, qui repose sur la confidentialité, a aussi des dimensions éthiques. Le dernier module offrira des modes de résolution de dilemmes sur ce plan. Par exemple, que se passe-t-il si un mentoré enfreint le code de déontologie ? « Il n’y a pas de réponse toute prête, indique Mme Gagné. On propose un canevas de questions. Il y a tout un processus que le médecin peut suivre. Il doit réfléchir à la situation et se poser différentes questions qui vont le mener à sa réponse. On va faire des mises en situation. »

À la fin de la journée, les jeunes médecins auront à inscrire sur un formulaire leur premier, leur deuxième et peut-être leur troisième choix de mentor. La coordonnatrice du programme, la Dre Lise Dauphin, communiquera ensuite avec l’omnipraticien choisi pour savoir s’il accepte le jumelage. Les responsables du programme aimeraient pouvoir former une vingtaine de dyades.

Pour plus d’informations : mentorat-fmoq@fmoq.org