Dossiers spéciaux

Étude SPRINT

les bienfaits d’une pression artérielle encore plus basse

Emmanuèle Garnier  |  2015-12-30

L’étude SPRINT vient de démontrer que la réduction de la pression systolique à environ 120 mmHg chez les personnes hypertendues non diabétiques ayant au moins un facteur de risque de complications cardiovasculaires a d’importants bienfaits. Mais quel est le prix à payer pour obtenir ces résultats ?

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Dr Ernesto Schiffrin

La pression artérielle de la majorité des hypertendus traités est-elle encore trop haute ? Une nouvelle étude vient de montrer chez des patients présentant au moins un facteur de risque de complications cardiovasculaires les bienfaits d’une pression systolique de quelque 120 mmHg : diminution des troubles cardiovasculaires et réduction du taux de mortalité.

En raison de ses résultats saisissants, l’étude SPRINT (Systolic Blood Pressure Intervention Trial), qui devait durer cinq ans, a été interrompue après 3,26 ans1. Quatre semaines plus tard, les chercheurs envoyaient leur manuscrit au New England Journal of Medicine qui l’a fait réviser avec célérité. Le 9 no­vembre, l’article était en ligne.

Quels sont ces résultats qui justifient une telle rapidité d’action ? Le fait de viser une pression systolique inférieure à 120 mmHg plutôt qu’au-dessous de 140 mmHg, a permis de réduire en quelque trois ans de :

h 25 % les troubles cardiovasculaires mortels ou non (principal critère d’évaluation) : infarctus du myocarde, autres syndromes coronariens aigus, accidents vasculaires cérébraux, insuffisance cardiaque aiguë et décès ayant une cause cardiovasculaire (P , 0,001) ;

h 27 % le taux de mortalité global (P 5 0,003) ;

h 43 % les décès d’origine cardiovasculaire (P 5 0,005) (tableau I).

Les différences entre les deux groupes de traitement se sont rapidement dessinées. Dès la fin de la première année, un écart a commencé à apparaître sur le plan des complications cardiovas­culaires. Et après deux ans, la différence est devenue visible dans le taux de mortalité (figure).

« Les chiffres sont assez impression­nants », reconnaît le Dr Ernesto Schiffrin, président d’Hypertension Canada. Son organisme est d’ailleurs en train d’analyser les résultats de l’essai clinique pour élaborer de nouvelles recommandations. « C’est une excellente étude, bien planifiée et bien exécutée », précise le spécialiste, également vice-directeur de la recherche au Département de médecine de l’Université McGill.

Plus de 9000 sujets

L’étude SPRINT, menée aux États-Unis, comprenait 9361 sujets non diabé­ti­ques dont la pression artérielle était de 130 mmHg ou plus et qui présentaient un important risque de complications cardiovasculaires (encadré 1). Les participants ont reçu, selon le hasard, soit un traitement intensif pour baisser leur pression systolique à moins de 120 mmHg, soit un traitement standard pour atteindre une pression inférieure à 140 mmHg.

Les médecins de l’étude, subventionnée par le National Institutes of Health, pouvaient prescrire les antihypertenseurs de leur choix. Le protocole les encourageait cependant à recourir à des classes de médicaments dont l’efficacité pour réduire les complications cardiovasculaires avait été le mieux étayée :

h les diurétiques thiazidiques (proposés comme agent de première intention), et en particulier la chlorthalidone ;

h des diurétiques de l’anse (pour les patients ayant une néphropathie chronique avancée) ;

h des bêtabloquants (pour les maladies coronariennes) ;

h l’amlodipine (comme inhibiteur des canaux calciques) ;

h les inhibiteurs du système rénine-angiotensine (inhibiteurs de l’enzyme de conversion et bloquants des récepteurs de l’angiotensine).

Les médecins voyaient les patients tous les mois pendant le premier trimestre, puis tous les trois mois. Au cours des trois années de suivi, la pression systolique moyenne du groupe traité intensivement a atteint 121,5 mmHg et celle du groupe recevant un traitement standard 134,6 mmHg.

Certains sous-groupes de patients ont particulièrement bénéficié du traitement intensif :

h les patients de 75 ans et plus ;

h les hommes ;

h les sujets sans néphropathie ;

h les participants qui n’étaient pas de race noire ;

h ceux qui n’avaient pas de maladie cardiovasculaire ;

h les hypertendus dont la pression systolique était de 132 mmHg et moins.

Dre Anique Ducharme

Un changement dans la pratique

« Les données de l’étude SPRINT vont modifier ma pratique, affirme la Dre Anique Ducharme, directrice de la Clinique d’insuffisance cardiaque à l’Institut de Cardiologie de Montréal. Ce sont des résultats très impressionnants qui ont été obtenus en seulement 3,26 ans sur une population présentant un risque modéré. Cela vaut la peine d’expliquer ces données au patient. »

La cardiologue a d’ailleurs déjà commencé à changer sa pratique. La veille, alors qu’elle était en clinique, elle a présenté les faits successivement à deux patients : « Votre pression était jusqu’ici bien maîtrisée, mais une étude récente vient de montrer qu’il faudrait la réduire davantage. Cela diminuerait votre risque de mortalité dans les trois prochaines années. »

La Dre Ducharme, également professeure à l’Université de Montréal, va cependant choisir les personnes à qui elle proposera une cible plus basse. « Je crois qu’il faut individualiser le traitement antihypertenseur. Je ne viserai pas une pression inférieure à 120 mmHg demain matin chez tous mes patients. » Parce qu’il faut prendre en considération l’augmentation des effets secondaires néfastes.

Bénéfique, mais à quel prix ?

« L’étude SPRINT nous montre que plus la pression est basse mieux c’est, mais il y a un prix à payer », avertit le Dr Schiffrin, également chef du Département de médecine à l’Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis. Le coût ? Plus d’effets indésirables, un suivi plus étroit à effectuer et un traitement médicamenteux plus lourd pour le patient.

Dans le groupe de traitement intensif, presque deux fois plus de sujets ont eu des réactions graves liées ou potentiellement liées à l’intervention (220 sujets, soit 4,7 %) par rapport aux participants du groupe de traitement standard (118 personnes, soit 2,5 %) (P , 0,001) (tableau II). Les premiers étaient également plus nombreux à avoir eu une hypotension ou une syncope. « Ce qui est rassurant, c’est qu’ils n’ont pas eu plus de syncopes avec blessures. Néanmoins, je ne suis pas sûre que l’on va baisser la pression artérielle de façon importante chez tous nos patients âgés », affirme la Dre Ducharme.

Le groupe expérimental présentait également plus souvent des taux anormaux d’électrolytes. Plus précisément, une diminution du taux de sodium et de potassium. Des problèmes rénaux allant jusqu’à une insuffisance rénale aiguë apparaissaient également plus fréquemment chez les sujets en traitement intensif. Ainsi, 204 (4,4 %) ont dû se rendre aux urgences ou ont eu un problème grave contre 120 (2,6 %) dans le groupe de traitement standard (P , 0,001) (tableau II).

Fait troublant, les patients initialement sans problèmes rénaux dont l’hypertension était soignée de façon intensive étaient plus nombreux (127 sujets, soit 3,8 %) que ceux du groupe témoin (37, soit 1,1 %) à subir une diminution de la fonction rénale (P , 0,001). Ces participants étaient-ils sous inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine ou sous antagonistes des récepteurs de l’angiotensine ? « Comme l’étude a été cessée prématurément, on n’a pas encore toutes les sous-analyses, indique la Dre Ducharme. J’imagine qu’au congrès de l’American College of Cardiology, au printemps, on aura beaucoup plus de données secondaires sur les patients chez qui le taux de filtration glomérulaire a diminué de plus de 30 %. »

Par contre, parmi les sujets déjà atteints d’une néphropathie au début de l’étude, il n’y a pas eu de dégradation plus prononcée chez ceux dont la pression visée était inférieure à 120 mmHg.

La mesure automatique de la pression

Pour obtenir les mêmes résultats que dans l’étude SPRINT, le patient aura un effort à faire : prendre un médicament de plus. Dans l’essai clinique, les participants dont la pression devait être de moins de 120 mmHg recouraient à 2,8 agents pharmacologiques en moyenne alors que les sujets témoins n’en avaient que 1,8. Et même avec la prise de trois anti­hy­per­tenseurs différents, la moitié des sujets du groupe expé­rimental n’atteignaient pas leur cible – la pression mé­diane du groupe était un peu au-dessus de 120 mmHg. « L’observance thérapeutique devient plus difficile avec un régime clinique dont la complexité augmente. On a déjà de la difficulté à diminuer la pression au-dessous de 140 », note le Dr Schiffrin.

L’intensification du traitement antihypertenseur exigera également une surveillance étroite. «  Plus de visites chez le médecin seront nécessaires. Est-ce que les patients et les cliniciens auront le temps ? Le besoin accru de vigilance aura beaucoup de conséquences pour le système de santé », indique le président d’Hypertension Canada.

L’objectif reste néanmoins séduisant : diminuer de 25 % les complications cardiovasculaires et de presque la moitié le taux de mortalité chez les hypertendus à risque. « Mais est-ce qu’appliquer le protocole SPRINT dans la collectivité va nous donner les mêmes résultats et n’entraînera pas plus d’effets indésirables ? » Le spécialiste se souvient encore de l’étude RALES qui a révélé les importants bienfaits de la spironolactone sur l’insuffisance cardiaque. Après sa publication, il y a une quinzaine d’années, les cas d’hyperkaliémie se sont multipliés. Le taux de potassium des patients n’avait pas été surveillé assez étroitement. « On a peur que la même chose survienne avec l’application des données de l’étude SPRINT. »

Un autre facteur est également important : la distorsion possible que peut causer la mesure de la pression atérielle. Dans l’étude, la pression était prise avec un appareil automatique qui effectuait trois mesures sans la présence d’un professionnel de la santé. « Si l’on regarde le patient, déjà sa pression monte. Quand on prend la pression manuellement, on obtient des résultats qui sont globalement de 5 mmHg à 10 mmHg plus élevés », indique le Dr Schiffrin. Pour cette raison, Hypertension Canada recommande la prise de la pression en clinique avec un appareil automatique ainsi que l’automesure à domicile pour le patient. « Il sera important que les cliniciens suivent ces recommandations s’ils veulent se baser sur l’étude. Sinon, ils risquent de surtraiter le patient et de diminuer de façon excessive la pression artérielle. »

Discussion avec le patient

Hypertension Canada étudie actuellement les résultats de SPRINT. « Tous les avantages et les coûts biologiques, financiers et sociaux doivent être évalués avant d’en arriver à des recommandations. Cela va prendre un peu de temps, mentionne le Dr Schiffrin. En attendant, il y a des recommandations que l’on peut appliquer. »

Pour commencer, tenter d’atteindre les cibles actuellement recommandées. « Ce n’est déjà pas facile. » On peut ensuite aborder la question d’une baisse plus marquée de la pression artérielle avec le patient. « Il faudra voir ce qu’il préfère. Cela doit toujours jouer un rôle dans les décisions thérapeutiques. Il faut une entente entre le patient et le médecin après discussion. La préférence du patient, en toute connaissance de cause, ainsi que la tolérance aux effets néfastes doivent jouer un rôle important dans la décision », soutient le spécialiste.

La Dre Ducharme tient compte de ces aspects. Impressionnée par l’étude SPRINT, elle propose maintenant à certains patients un traitement antihypertenseur plus vigoureux. Et elle prend en considération les effets indésirables. « Il faut bien surveiller les électrolytes et les symptômes. On doit particulièrement personnaliser le traitement chez les personnes âgées. »

Le Dr Schiffrin ne réfrène pas les cliniciens qui veulent appliquer les conclusions de l’essai SPRINT. « Si c’est ce que les médecins veulent faire, ils le peuvent. Nous, à Hypertension Canada, attendons le processus d’évaluation du PECH (Programme d’éducation canadien sur l’hypertension, consensus canadien sur les lignes directrices). Le groupe travaille déjà à incorporer les résultats de l’étude SPRINT et fera ses recommandations dans les semaines qui viennent. La décision repose donc, pour le moment, sur la préférence des patients après une discussion avec un médecin. » //

Bibliographie

1. Wright JT Jr, Williamson JD, Whelton PK et coll pour le SPRINT Research Group. A Randomized Trial of Intensive versus Standard Blood-Pressure Control. N Engl J Med 2015 ; 373 (22) : 2103-16.

2. Schiffrin, EL, Calhoun D, Flack JM. SPRINT Proves that Lower Is Better For Nondiabetic High-Risk Patients, but at a Price. Am J Hypertens 2016 ; 29 (1) : 2-4. DOI : 10.1093/ajh/hpv190

3. Cushman WC, Evans GW, Byington RP et coll. Effects of intensive blood-pressure control in type 2 diabetes mellitus. N Engl J Med 2010 ; 362 (17) : 1575-85.