Gestion pratique

Comment faire face à la multiplication des communications provenant des pharmaciens ?

Julie Lalancette et Christiane Larouche  |  2018-10-30

Plusieurs médecins nous ont fait part de leurs inquiétudes sur l’augmentation des communications en provenance des pharmacies de quartier. La légalité et la pertinence de certaines communications soulevaient fréquemment des interrogations. De plus, la plupart des médecins se demandaient quelles étaient leurs propres obligations professionnelles à l’égard de ce foisonnement de formulaires et d’opinions provenant des pharmaciens.

La Dre Julie Lalancette, omnipraticienne, est directrice à la Direction de la planification et de la régionalisation de la FMOQ. Me Christiane Larouche, avocate, travaille au sein de cette même direction.

Les échanges d’information entre le pharmacien de quar­­tier, communément appelé « pharmacien communautaire », et le mé­decin de famille se multiplient sans cesse : demandes de renouvellement d’ordonnances par télécopieur, formulaires de communication (normalisés ou non) à la suite de l’exercice de différentes activités par le pharmacien, opinions du pharmacien sollicitées ou non, etc. Reçues entre les visites des patients, le plus souvent par téléphone ou par télécopieur, ces communications accroissent souvent la charge de travail du médecin de famille et de l’équipe de soins immédiate. Des pharmaciens ont d’ailleurs exprimé les mêmes préoccupations dans des rencontres sur les communications médecins-pharmaciens.

Voici quelques-unes des questions que des membres nous ont posées et dont nous traiterons dans cet article :

1. Comment déterminer si une communication prove­nant d’un pharmacien respecte les limites de son champ d’exercice ?

2. Est-il nécessaire de prendre connaissance de chaque communication provenant d’un pharmacien ? Le médecin peut-il ignorer les communications qu’il juge non pertinentes, non fondées ou non avantageuses pour le patient ?

3. Le médecin doit-il revoir le patient concerné par une demande d’intervention d’un pharmacien ou par une opinion pharmaceutique non demandée par le médecin ?

QUESTION 1 : Comment déterminer si une communication provenant d’un pharmacien respecte les limites de son champ d’exercice et les règles déontologiques applicables ?

Champ d’exercice du pharmacien

Pour évaluer la légalité d’une communication, le médecin doit déterminer si elle est associée à l’exercice de la pharmacie et, plus spécifiquement, à l’une des activités réservées au pharmacien.

L’exercice de la pharmacie va désormais bien au-delà de la préparation et de la remise de médicaments. De plus en plus, le rôle du pharmacien porte sur l’évaluation et la surveillance de l’usage approprié des médicaments, notamment afin de détecter et de prévenir des problèmes pharmacothérapeutiques dans le but de maintenir la santé, de la rétablir ou d’offrir un soulagement approprié des symptômes1.

Contrairement aux activités réservées introduites par la loi 41, les activités de surveillance de la thérapie médicamenteuse et l’émission d’une opinion pharmaceutique ne sont assorties d’aucune condition. Le pharmacien peut donc les faire de façon autonome et proactive2. Dans ce contexte, le pharmacien qui transmet une opinion pharmaceutique au médecin traitant sans demande préalable de ce dernier n’outrepasse donc pas son champ d’exercice. Il doit cependant le faire dans le respect des normes de pra­tique applicables.

En ce qui concerne les communications entourant les activités réservées résultant de la loi 41, l’Ordre des pharmaciens et le Collège des médecins du Québec ont créé deux formulaires de communication normalisés que les pharmaciens doivent utiliser selon les circonstances3.

Le formulaire de communication du pharmacien au médecin traitant (information)3 vise les situations suivantes :

h prolongation d’une ordonnance ;

h substitution d’un médicament prescrit en cas de rupture d’approvisionnement ;

h prescription d’une analyse de laboratoire dans le cadre de la surveillance de la thérapie médicamenteuse ;

h prescription d’un médicament pour un problème bénin.

Le formulaire de communication du pharmacien au mé­decin traitant (attention requise)3 vise quant à lui les situations suivantes :

h problèmes bénins non traités ;

h ordonnances non prolongées ;

h ordonnances ajustées (modification de la dose) ;

h résultats d’analyses de laboratoire nécessitant une opinion médicale.

Le tableau décrit les activités réservées au pharmacien pouvant donner lieu à des communications avec le médecin et les modes de communication ou d’intervention prévus. Finalement, on peut constater que ce sont essentiellement les modalités entourant la communication de l’opinion du pharmacien qui demeurent floues.

tableau

Normes de pratique

L’Ordre des pharmaciens du Québec a procédé à une révision des normes de pratique du pharmacien en 20162 et a produit un guide d’application et différents outils de soutien pour ses membres4. Suivant l’Ordre, les nouvelles normes de pratique visent désormais la prestation globale de soins par le pharmacien afin d’optimiser la pharmacothérapie5.

À cette fin, le pharmacien doit notamment surveiller le traitement de façon « autonome et proactive ». Cette surveillance doit se faire « en partenariat avec le patient » et doit respecter une démarche structurée et systématique en six étapes :

h procéder à la collecte des renseignements ;

h évaluer les ordonnances et analyser les situations ;

h vérifier les répercussions du traitement sur l’état de santé du patient ;

h effectuer les interventions appropriées et individualisées, notamment lorsque le pharmacien accepte ou refuse de servir une ordonnance ;

h fournir l’information pertinente au patient et aux divers intervenants participant aux soins ;

h consigner les renseignements au dossier2.

Les interventions effectuées par le pharmacien dans le cadre de sa surveillance doivent avoir pour but de :

h répondre aux besoins du patient ;

h optimiser l’efficacité du traitement ;

h assurer l’innocuité du traitement ;

h favoriser l’adhésion au traitement ;

h prévenir les incidents et les accidents4.

Ces interventions peuvent être faites auprès du patient, de l’équipe traitante ou des deux. Elles pourront notamment consister à :

h rédiger une opinion pharmaceutique ou émettre une opinion verbale ;

h recommander des mesures pharmacologiques et non pharmacologiques ;

h intervenir auprès du prescripteur ou de l’équipe traitante et suggérer des solutions de rechange, le cas échéant, après avoir obtenu le consentement du patient ;

h proposer un suivi au besoin2.

Selon les Lignes directrices sur la surveillance de la thérapie médicamenteuse de l’Ordre des pharmaciens, « l’opinion pharmaceutique s’avère l’instrument privilégié pour partager et consigner les interventions effectuées »6.

Bien qu’il recommande l’utilisation d’un formulaire normalisé pour communiquer de l’information aux intervenants, l’Ordre ne fournit aucun modèle d’opinion pharmaceutique à l’équipe traitante. Suivant les principes généraux mentionnés par l’Ordre, l’information fournie par le pharmacien aux intervenants participant aux soins du patient devrait inclure2 :

h les renseignements sur le bon usage du traitement et sa surveillance afin d’obtenir des résultats optimaux et s’assurer de son innocuité ;

h les renseignements requis pour assurer la continuité des soins ; et

h les renseignements requis selon la réglementation en vigueur, notamment celle découlant de la loi 41 (formulaires normalisés).

S’ajoute à ces principes l’obligation déontologique du pharmacien de collaborer avec les autres professionnels de la santé, ce qui implique d’interagir efficacement et avec respect2.

Dans les faits, l’opinion pharmaceutique est bien souvent exhaustive et, bien qu’appuyée et conforme aux normes, elle semble parfois désincarnée de la réalité clinique et psychosociale du patient. Le clinicien se retrouve alors dans l’obligation de motiver un choix thérapeutique différent. Cela s’avère un exercice fastidieux qui alourdit considérant la tâche des médecins, particulièrement en cas de maladies chroniques. L’opinion pharmaceutique se voulant un apport positif devient alors un irritant majeur. Dans ce contexte, la suggestion d’un plan d’action au médecin traitant lors­qu’il n’a rien demandé est également un irritant pour plu­sieurs médecins.

QUESTION 2 : Est-il nécessaire de prendre connaissance de chaque communication provenant d’un pharmacien ?

Le médecin a l’obligation de prendre connaissance des éléments portés à son attention par un autre professionnel. Le médecin traitant qui reçoit une « communication » d’un pharmacien ne peut donc l’ignorer même s’il estime qu’elle n’est ni pertinente, ni bien fondée ni avantageuse pour le patient. Dans ce contexte, le médecin doit prévoir un mécanisme de suivi des communications en provenance des pharmaciens afin d’y donner suite de façon appropriée et en temps opportun3.

Il est également à noter que le médecin doit conserver toutes les communications reçues sur le suivi d’un patient et noter :

h la date de réception ;

h la date de prise de connaissance de l’information transmise par le pharmacien, quel que soit le type de formulaire utilisé3.

À l’heure actuelle, la transmission par télécopieur est jugée totalement désuète par les deux groupes professionnels. Il est impératif d’évoluer vers une communication sécurisée sur les plateformes existantes. Plusieurs possibilités sont actuellement à l’étude.

QUESTION 3 : Le médecin doit-il revoir le patient concerné par une demande d’intervention d’un pharmacien ou par une opinion pharmaceutique sans demande du médecin ?

Le médecin doit revoir le patient lorsqu’il estime qu’une évaluation médicale est requise. Il est possible que les seules informations contenues dans la demande d’intervention suffisent pour faire les recommandations appropriées. Le médecin demeure le seul responsable des interventions qu’il juge nécessaires auprès du patient.

Conclusion

La prolifération de documents d’information ou d’opinion pharmaceutique destinées aux médecins traitants est inquiétante. Outre les deux formulaires normalisés introduits après l’adoption de la loi 41, plusieurs autres formulaires sont créés dans le but de communiquer de l’information aux médecins.

Alors que les deux formulaires normalisés de la loi 41 avaient pour objectifs de favoriser la collaboration interprofessionnelle et de faciliter la communication entre médecins et pharmaciens, il est de moins en moins certain que ces objectifs puissent être atteints en présence d’une prolifération de formulaires non normalisés.

Plusieurs effets pervers peuvent résulter de la multiplication de ces communications :

h surcharge cognitive et confusion face à l’objet des divers formulaires ;

h zones de flou sur le rôle et les responsabilités du pharmacien, du médecin traitant et de l’équipe traitante qui incluent de plus en plus fréquemment un pharmacien en GMF ;

h altération de la confiance requise au développement de la collaboration interprofessionnelle entre médecins et pharmaciens ;

h surcharge de travail pour les équipes traitantes, voire consultations médicales inutiles pour les patients ;

h ultimement, augmentation plutôt que réduction du coût des soins par la multiplication des interventions pour un même objet.

Il devient donc important de prévoir des mécanismes encadrant les modalités de la collaboration avec les pharmaciens pour assurer la coordination, la continuité et l’efficacité des soins et des services à la population. L’objectif doit être de réduire les communications en ciblant mieux et en encadrant mieux celles qui ont réellement une valeur ajoutée. Tout le domaine de la prescription et de la transmission électronique est à l’étude actuellement. L’enjeu principal est la stabilité du DSQ7,8. Des initiatives locales de prescription et de transmission électronique ont dû être cessées pour cette raison. Idéalement, les projets de prescription et de communication sécurisée devraient évoluer simultanément. //

Bibliographie

1. Québec. Loi sur la pharmacie, chapitre P-10. Québec : LégisQuébec ; 2018.

2. Ordre des pharmaciens du Québec. Standards de pratique. Montréal : l’OPQ ; 2016. 36 p.

3. Ordre des pharmaciens du Québec. Loi 41 Guide d’exercice les activités réservées au pharmacien. Montréal : l’OPQ ; 2015. 46 p.

4. Ordre des pharmaciens du Québec. Guide d’application des standards de pratique. Montréal : l’OPQ ; 2016.

5. Ordre des pharmaciens du Québec. Niveau de soins et services pharmaceutiques requis pour répondre adéquatement aux besoins de la population. Montréal : l’OPQ ; 2016. 35p.

6. Ordre des pharmaciens du Québec. Lignes directrices sur la surveillance de la thérapie médicamenteuse. Montréal : l’OPQ , 2009. 4p.

7. Motulsky A, Sicotte C, Gagnon M-P et coll. Le DSQ - Dossier santé du Québec, un système de partage des données cliniques à l’échelle du Québec : Analyse de l’utilisation et des bénéfices. Montréal : CR-CHUM & ESPUM ; 2018. 97p.

8. Motulsky A, Sicotte C, Gagnon M-P et coll. Prescription électronique. L’évaluation des facteurs favorisant et limitant l’utilisation de la prescription électronique en pharmacie communautaire dans le contexte du DSQ – Dossier santé du Québec, un système de partage des données cliniques à l’échelle du Québec. Montréal : CR-CHUM et ESPUM ; 2018. 52p.