Droit au but

Le travail d’équipe – VII

expérience sherbrookoise sur le partage des rôles et responsabilités

Christiane Larouche  |  2018-03-02

Pour qu’une équipe atteigne son plein potentiel, chacun des membres doit non seulement comprendre son propre rôle, mais également celui de ses coéquipières et coéquipiers. Dans ce contexte, il importe que les rôles et les responsabilités de chacun soient clairement définis et qu’ils tiennent compte des besoins biopsychosociaux de la patientèle, de la composition de l’équipe, des ressources disponibles, etc.

Me Christiane Larouche, avocate, travaille au Service juridique de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

Un projet mené dans la région de Sherbrooke fournit matière à réflexion sur ce sujet. Il met en évidence l’impor­tance d’acquérir de nouvelles compétences, notamment pour assurer l’efficacité de l’équipe et la protection de la responsabilité professionnelle de ses membres.

Contexte

Entrepris en 2015 par la Direction des services pro­fes­sion­nels et du partenariat médical du CIUSSS de Sherbrooke, ce projet rassemblait les sept groupes de médecine de famille (GMF) de la région de Sherbrooke, dont deux unités de médecine familiale1. Il visait notamment à faire état de l’offre de services des infirmières et des autres professionnels intégrés au sein des GMF et à créer des outils destinés à faciliter le travail des intervenants, des gestionnaires de l’établissement, des médecins responsables et des adjoints administratifs des GMF.

Rôles et responsabilités des professionnels

Le portrait de l’offre de services des travailleurs sociaux, pharmaciens, nutritionnistes, inhalothérapeutes, psycho­lo­gues, kinésiologues et orthophonistes a été dressé à partir de questionnaires remplis par les professionnels intégrés dans les GMF. Il fait état des éléments suivants :

h activités effectuées ;
h description du champ d’exercice et des activités pertinentes ;
h clientèles cibles ;
h types d’intervention possibles ;
h balises et modalités des interventions selon leur nature, notamment quant à la durée ;
h matériel requis.

L’étude révèle par exemple que la pratique des inhalothérapeutes et des nutritionnistes serait assez semblable d’un GMF à l’autre, alors que celle des travailleurs sociaux et des psychologues est plus variable. La participation des pharmaciens semblait varier selon les types de clientèles, mais l’étude montre que tous les pharmaciens des GMF contribuaient cependant au suivi des maladies chroniques, des troubles mentaux et de la douleur chronique.

Le portrait de l’offre de services en soins infirmiers représente une partie substantielle du rapport produit à la suite de ce projet1. Concernant les infirmières auxiliaires, l’étude révèle qu’elles intervenaient presque exclusivement afin de prendre les signes vitaux et de colliger des données lors des visites. Plus rarement, elles fournissaient de l’assistance aux médecins lors des petites chirurgies et prodiguaient des soins infirmiers conformément à des ordonnances individuelles. Au moment de l’étude, comme une seule IPS en soins de première ligne était en fonction, on a décidé de ne pas analyser cette offre de services.

En ce qui concerne les infirmières et les infirmières cli­ni­ciennes, l’étude révèle que plus de 80 % d’entre elles réali­saient les activités cliniques suivantes : le lavage d’oreilles, l’immunisation, le suivi des RIN et l’ajustement de la warfarine, le dépistage du cancer du col de l’utérus, le suivi des clientèles atteintes de diabète, d’hypertension artérielle et de dyslipidémie, le repérage et le suivi de la maladie d’Alzheimer et d’autres maladies apparentées, les soins infirmiers prodigués conformément à des ordonnances individuelles, le dépistage, le counselling et le traitement des ITSS, le soin des plaies et les bilans de santé de l’enfant.

Près de 60 % des infirmières participaient à l’instauration de la contraception hormonale, mais seulement 20 % d’entre elles rencontraient les femmes pour la vérification de l’insertion d’un stérilet ou pour son retrait.

Dans les GMF où les médecins de famille pratiquent l’obstétrique, 95 % des infirmières contribuaient à la première visite de grossesse, mais peu d’entre elles participaient aux visites subséquentes ou au suivi postnatal. Plus de 60 % des infirmières suivaient des personnes ayant un problème d’embonpoint ou d’obésité, ajustaient le traitement médicamenteux de l’hypothyroïdie et traitaient des infections urinaires selon les ordonnances collectives. Dans certains GMF, les infirmières participaient aux consultations sans rendez-vous. On notait par ailleurs l’émergence de nouvelles pratiques pour mieux répondre aux besoins de la patientèle : bilans de santé chez l’adulte, contribution au suivi des problèmes de santé mentale et au suivi des enfants ou des adultes atteints de TDAH.

Dans l’ensemble, les infirmières intervenaient le plus souvent à la demande d’un médecin pour assurer le suivi du traitement d’une maladie ou pour prodiguer des soins cou­rants. On souligne que cette situation favorise peu l’évaluation globale de la personne et la continuité des soins que peut rendre l’infirmière à une clientèle stable. À juste titre, on a également souligné les avantages de faire participer l’infirmière au suivi d’une patientèle déterminée en collaboration avec les médecins traitants : meilleure collaboration entre professionnels, meilleure alliance thérapeutique avec la patientèle et meilleur suivi des personnes dans une perspective longitudinale.

L’étude a par ailleurs révélé certains éléments préoccu­pants concernant la pratique clinique de certaines in­fir­mières, dont :

h une grande variabilité concernant la durée des rencontres avec une infirmière pour une même raison de consultation d’un milieu à l’autre ;
h l’absence de données lors de la collecte initiale sur certains éléments ;
h les déficiences de l’examen physique au-delà des me­sures anthropométriques et des signes vitaux ;
h l’absence de constatation des facteurs de risque associés à un problème, la difficulté à faire les liens entre ces facteurs et leur effet sur l’état de santé en vue d’adapter le plan d’intervention en conséquence ;
h la sous-évaluation de l’état mental de la personne ;
h l’absence d’évaluation de la violence, de la maltraitance et de l’épuisement des aidants lors de l’évaluation standard, exception faite de la personne rencontrée pour un trouble neurocognitif ;
h l’absence de centralisation des notes infirmières dans les DME ;
h le besoin de s’approprier davantage le plan thérapeutique infirmier.

Les infirmières ont reconnu le besoin d’une plus grande stan­dardisation de leur pratique pour soutenir leur sentiment de compétence.

Ce portrait de l’offre de services en soins infirmiers a permis de découvrir des pistes d’amélioration pour optimiser les activités des infirmières. Certaines activités effectuées par des infirmières cliniciennes pourraient l’être par des infirmières auxiliaires, notamment pendant les périodes de consultation sans rendez-vous. Les infirmières cliniciennes pourraient, pour leur part, être utilisées davantage pour le suivi de certaines personnes, notamment celles qui sont atteintes de maladies chroniques ou de problèmes de santé mentale. La place des pratiques cliniques préventives est également à développer à l’avenir.

Les ordonnances collectives

L’étude révèle l’importance de tenir à jour les ordonnances collectives tant pour leur contenu que pour leur pertinence. Par exemple, dans les GMF participants, on a noté une dis­pa­rité entre les ordonnances collectives auxquelles les médecins ont adhéré et celles qui étaient utilisées par les infirmières. De plus, certaines ordonnances collectives nécessitaient des formations et du soutien pour assurer la compétence des infirmières appelées à en faire usage. Étonnamment, certaines ordonnances collectives nationales mises à jour par l’INESSS pour le suivi des patients diabétiques et hypertendus n’avaient toujours pas été adoptées dans certains GMF. C’est donc par l’entremise d’ordonnances individuelles que les infirmières contribuaient au suivi de ces patients. La disponibilité des formations et du soutien ainsi que la mise à jour continue des connaissances sont des facteurs qui semblent donc grandement influencer l’utilité des ordonnances collectives et le plein exercice des activités réservées aux infirmières.

les constats

Ce que révèle ce projet sherbrookois n’a rien d’étonnant. Des changements ont sans doute déjà été apportés à la répartition des rôles et des responsabilités dans les équipes de première ligne depuis. Ce projet a le mérite d’avoir mis en relief les besoins de formation et d’encadrement plus soutenus à l’égard des pratiques cliniques infirmières. Il montre également la nécessité de développer des outils standardisés pour faciliter les bonnes pratiques. Un arrimage sera sûrement requis pour les intégrer aux dossiers médicaux électroniques.

En conséquence, au-delà de la nécessité de connaître les champs d’exercice et les activités réservées afin de répartir judicieusement les rôles et les responsabilités aux professionnels, on constate l’importance de s’interroger sur les compétences de chacun dans la pratique et la nécessité de remédier aux lacunes. À cet égard, la formation et le soutien des membres de l’équipe sont hautement souhaitables. Diverses stratégies d’apprentissage, comme la discussion de cas, la mise en situation ou toutes autres occasions per­met­tant d’échanger sur des enjeux cliniques et organi­sationnels sont à explorer. Nous vous invitons à remplir le questionnaire du tableau2,3 pour évaluer les rôles et les responsabilités des membres de votre équipe.

les outils

À la suite de cette étude, trois outils ont été élaborés pour l’accueil et l’intégration des infirmières et des autres professionnels en GMF1, soit :

h un aide-mémoire par le CIUSSS de l’Estrie sur les bonnes pratiques d’intégration ;

h un programme d’accueil ;

h des grilles de suivi des apprentissages.

Ces outils peuvent aider à structurer l’intégration des professionnels en GMF. Ils témoignent cependant de certaines dérives associées à la délocalisation de ces professionnels hors des établissements et du désir de contrôler l’ensemble de l’exercice professionnel en GMF. À titre d’exemple, dans son programme d’accueil des infirmières et autres professionnels, le CIUSSS de l’Estrie s’attribue la responsabilité unique d’établir les règles concernant l’éthique alors que la clinique privée aura aussi ses propres politiques internes que devront également respecter les professionnels délocalisés. Le CIUSSS s’attribue aussi la responsabilité unique de définir le rôle du médecin responsable du GMF (autorité fonctionnelle) et celui d’établir les modalités de probation, notamment l’évaluation des professionnels ! En plus de toucher à l’autonomie des cliniques privées et des équipes de première ligne, de telles dérives nuiront au modèle des GMF et à sa capacité d’innover dans l’avenir. //

Droit - tableau

Bibliographie

1. Gosselin S, Beauregard MF, Bergeron J et coll. Intégration des infirmières et des autres professionnels dans les groupes de médecins de famille. Expé­rience sherbrookoise. Sherbrooke : Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke ; 2016. 254 p.

2. Office of Interprofessional Education and Practice. Collaborative practice assessment tool. Kingston : Queens University ; 2009.

3. NHS Leadership Academy. Team effectiveness questionnaire. Londres Leadership Academy ; London.