Questions... de bonne entente

Transfert de clientèle – I

Michel Desrosiers  |  2018-05-31

Mettre fin à sa pratique en cabinet a longtemps été un exercice pénible. Le sort incertain de la clientèle et les obligations liées à la garde des dossiers pesaient lourd. Le vent change peu à peu, en raison non seulement du plus grand nombre de médecins en cabinet et des changements technologiques, mais aussi des mesures négociées. Vous prévoyez mettre fin à vos activités d’ici deux ans ou reprendre la clientèle d’un médecin ? C’est le temps de vous préparer !

Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la FMOQ.

Le médecin qui cesse d’exercer en cabinet doit respecter plusieurs obligations. Nous avons d’ailleurs produit une série de deux articles qui porte sur les démarches du médecin qui part à la retraite (septembre et octobre 2013). Ces articles demeurent valables si on y ajoute des explications sur quelques moyens qui n’existaient pas à l’époque. Si vous songez à prendre votre retraite, vous avez intérêt à les revoir. Mais il y a certaines dimensions qui n’ont pas été traitées, entre autres la possibilité de vendre une clientèle.

Peut-on « vendre une clientèle » ?

Cette question refait surface après plusieurs années où les médecins se sont demandé l’inverse, soit « Combien peut-il me coûter de me défaire de ma clientèle ? » Il y a deux types de réponses, selon la situation du médecin.

La clientèle, hors d’un lieu d’exercice ou d’une activité com­merciale, ne se vend pas. C’est le cas si vous êtes locataire au sein d’une clinique et ne payez qu’un loyer. Les patients sont toujours libres de consulter un autre mé­de­cin. Vous ne pouvez accorder aucune garantie que la clientèle continuera à fréquenter le nouveau médecin.

« L’achalandage » fait partie de la valeur d’un lieu ou d’un commerce et reflète la fidélité de la clientèle au lieu d’activité plutôt qu’à l’individu qui y exerce. Si vous êtes propriétaire de votre clinique et la vendez, le matériel et le mobilier s’ajoutera au prix de l’immobilier ou du bail à long terme, un montant qui tient compte de la fidélité de la clientèle. Plus on peut s’attendre à la fidélité de la clientèle, plus ce montant sera important. Cet achalandage a donc une valeur économique, mais son évaluation n’est pas toujours simple.

Nous verrons dans un prochain article qu’il existe une mesure de transfert en bloc de la clientèle en vertu de laquelle les patients sont informés du nom et du lieu d’exercice de leur « nouveau médecin ». Cette mesure peut être indépendante du lieu où le médecin pratique ou même du transfert du bail ou de la vente de sa clinique. On peut donc y voir une certaine valeur commerciale. Toutefois, bien qu’il s’agisse d’un moyen d’orienter les patients vers un autre médecin, la valeur pour le nouveau médecin variera avec la distance. Ainsi, plus on s’éloigne du lieu habituel de consultation (ou de résidence des patients) ou de l’horaire et de la disponibilité du médecin antérieur (deux facteurs qui augmentent le risque que ces patients se trouvent un autre médecin) et plus il y a de changements, moins cet outil de transfert a de valeur commerciale.

Le transfert en bloc peut de plus présenter certains avan­tages pour le médecin qui ne compte pas encore 500 pa­tients inscrits. Par conséquent, il peut y avoir un avantage additionnel à cette mesure, sans association avec le cabinet ou le lieu de pratique. Toutefois, cet avantage est de courte durée, donc de valeur assez limitée.

Ce qui peut faire l’objet de la vente

Les patients ne sont pas des objets de commerce. Ils sont libres de choisir leur médecin. Il y a un grand élément personnel dans l’interaction entre un patient et « son » médecin. Un patient n’a donc pas de valeur intrinsèque. Le revenu provenant de chaque patient varie selon la nature des soins requis et son état de santé.

Un patient qui fréquente un certain lieu pour obtenir des soins peut présenter un intérêt commercial. Toutefois, s’il existe un seul endroit dans la région pour la prestation de soins, ce lieu ne revêt pas de valeur particulière, car les patients iraient tout aussi bien ailleurs si les soins étaient offerts ailleurs. De plus, dans le cas d’une clinique, selon le contexte, le patient peut avoir un lien avec le médecin, comme avec la clinique et l’ensemble de ses services.

L’intérêt du médecin dans une clinique ou le bail qu’il dé­tient peut avoir une valeur commerciale. Le lieu visé peut présenter un intérêt particulier en raison de son emplacement ou parce que le fonctionnement de la clinique ou du cabinet est bien rodé, que les services de consultation sont complémentaires à d’autres services offerts à proximité, que les frais sont garantis ou fixés pour une période avantageuse et que le personnel est fonctionnel. Dans le cas d’une clinique qui convient des baux avec les médecins qui y exercent, la possibilité de transférer le loyer établi à un nouveau médecin peut avoir une valeur commerciale.

Ce que le médecin peut « avoir à vendre » peut donc varier d’une fois à l’autre et exigera une évaluation personnalisée. Il pourra devoir faire appel à un comptable à cette fin ou à un fiscaliste si la clinique est détenue par une société par actions. Dans un contexte de vente, il faut bien comprendre les deux volets de chaque élément, qui peuvent présenter un fardeau ou un avantage pour le médecin ou celui qui reprend sa pratique.

La clientèle du médecin

Les dossiers

Les dossiers peuvent présenter à la fois un fardeau pour le mé­decin ou un avantage, plus souvent une combinaison des deux.

Fardeau : Les dossiers existants doivent être conservés. Le fait de prendre en charge les originaux d’un dossier (d’en devenir le cessionnaire) constitue un poids pour un nouveau médecin, qui doit les conserver le temps requis et, s’il passe à un DME, les numériser. Il doit de plus produire des copies gratuitement lors d’une demande liée à l’obtention de services assurés (patient qui se trouve un nouveau médecin) et gérer les informations au dossier. Vous pouvez réduire ce fardeau pour votre successeur en détruisant vos dossiers inactifs et en épurant vos dossiers actifs. Un guide d’exercice du Collège des médecins traite de la question (L’organisation des lieux et la gestion des dossiers médicaux en milieu extrahospitalier), en particulier dans la section 3. Notez bien comment le Collège définit un dossier actif et inactif. En passant, le délai minimal de conservation est de cinq ans (au moment de mettre sous presse), mais un projet de règlement publié en 2016 propose de le faire passer à dix ans ou, dans le cas des enfants, à dix ans de plus que la majorité. De plus, certains éléments doivent être conservés tant qu’un dossier est actif, sans égard à leur date d’inclusion au dossier.

Avantage : Le cabinet d’un médecin qui part est le lieu « naturel » de consultation des patients. Le fait d’avoir le dossier original peut faciliter le suivi subséquent et mettre un patient plus en confiance. Une copie peut aussi suffire, mais si le médecin instaure un dossier médical électronique, l’obligation de numérisation sera la même qu’il s’agisse d’originaux ou de copies. Si vos dossiers sont tous numérisés, vous simplifierez leur transmission à un nouveau médecin, ce qui constitue un avantage important.

Le bail

Fardeau : Les baux prévoient parfois simplement un préavis de résiliation, mais ont plus souvent une durée fixe. Si la durée est longue ou si le loyer est élevé, il existe une obligation financière jusqu’à la fin du bail, à moins de trouver un remplaçant qui convient au locateur. Si le départ du médecin coïncide avec la fin du bail, l’obligation disparaît, tout comme l’avantage (loyer peu élevé), s’il y en a un. Si le nouveau médecin sous-loue ou que le bail est transféré au nom du nouveau médecin, le signataire initial du bail peut demeurer responsable en cas de défaut de paiement par le nouveau médecin, à moins que le locateur accepte de le libérer.

Avantage : Des conditions favorables peuvent limiter les coûts de fonctionnement et d’installation et les frais d’exploitation subséquents.

Le personnel

Fardeau : Si vous mettez fin à vos activités, vous devez donner un préavis à votre personnel en fonction de sa durée d’emploi. Il est généralement prudent d’être plus généreux que le minimum prévu par les normes du travail pour éviter les plaintes et les recours en dommages. Durant la période de préavis, le personnel peut chercher un autre emploi et partir avant l’échéance du préavis, ce qui peut créer un problème de gestion de personnel. Il peut être difficile de recruter du personnel pour seulement un mois, sans compter que les nouveaux employés sont souvent moins fonctionnels au début. Il y a toujours le risque d’une poursuite par le personnel si la durée du préavis est insuffisante et d’une possible obligation de payer une compensation (du fait d’un règlement ou d’un jugement), en plus des frais d’avocats.

Le nouveau médecin qui hérite du personnel existant peut se faire « imposer » le mode de fonctionnement antérieur ou devoir composer avec un personnel réfractaire au changement (passer à l’accès adapté, par exemple). Parfois, le personnel peut être aussi âgé que le médecin qui part et être tout près de la retraite ou profiter du départ du patron pour en faire autant.

Avantage : Le personnel existant connaît la clientèle et les habitudes de fréquentation. Il peut également faciliter l’intégration d’un nouveau médecin.

Bref, le médecin qui part et celui qui reprend une pratique peu­vent mettre une valeur différente sur ces divers éléments. Notre but n’est pas de faire de vous des commerçants, mais bien de vous sensibiliser au fait que vous pouvez sous-évaluer ou surestimer la valeur de certains éléments et que vous devrez tous deux négocier un résultat qui respecte vos attentes. Si vous voulez avoir un aperçu humoristique des perspectives différentes de deux médecins sur la valeur d’une clientèle, lisez la pièce de théâtre « Knock ou le triomphe de la médecine » de Jules Romains.

Nous avons évoqué, d’entrée de jeu, que la Fédération avait mis en place certaines mesures pour faciliter le transfert de clientèle. Nous en traiterons dans notre chronique suivante. À la prochaine ! //