Dossiers spéciaux

Aide médicale à mourir

docteur, je veux mourir... maintenant !

Claudine Hébert  |  2018-12-21

Depuis déjà un peu plus de trois ans, la Loi concernant les soins de fin de vie est en vigueur au Québec. Des médecins ayant apporté une aide médicale à mourir à des patients nous confient leur expérience.

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« Docteur, pouvez-vous, s’il vous plaît, m’aider à mourir ? » Il peut être troublant d’entendre ces mots de la bouche d’un patient. Et ils sont maintenant prononcés de plus en plus fréquemment. Depuis décembre 2015, les malades ont le droit de formuler une demande d’aide médicale à mourir. Et plus de 1000 d’entre eux s’en seraient prévalus*.

« On se retrouve au cœur d’un changement de paradigme, selon le Dr Claude Rivard, médecin du groupe de médecine familiale (GMF) Marguerite d’Youville. Habituellement, le médecin propose un traitement au patient, et c’est à celui-ci d’y consentir. Or, dans la Loi concernant les soins de fin de vie, c’est le patient qui exige un traitement auquel le médecin peut consentir ou non, si la personne y est admissible. On fait face à une inversion des rôles. »

Un changement de rôle que le Dr Rivard n’a pourtant pas hésité à accepter. Cet omnipraticien de la Montégérie a, jusqu’à présent, aidé plus d’une centaine de patients à mourir. Membre actif de la Canadian Association of MAID (Medical Assistance In Dying) Assessors and Providers (CAMAP), le Dr Rivard a d’ailleurs collaboré à la rédaction et à la mise à jour du guide de pratique sur l’aide médicale à mourir : le Guide d’exercice et lignes directrices pharmacologiques, publié par le Collège des médecins du Québec.

« Je n’ai jamais éprouvé de malaise vis-à-vis ce soin de fin de vie. Je n’ai jamais aimé voir les gens mourir dans la souffrance », tient à préciser l’omnipraticien, qui a consacré plus de treize années aux soins intensifs à l’Hôpital Pierre-Boucher. Son propre grand-père paternel est décédé d’un emphysème terminal il y a une trentaine d’années. « Il est mort étouffé, en pleine panique. » Ma famille, raconte-t-il, avait demandé au médecin de soulager ses souffrances. Requête à laquelle le clinicien avait opposé un non catégorique. « Ce souvenir, et celui de nombreux patients que j’ai vus souffrir jusqu’à la fin dans ma pratique médicale, m’ont convaincu du bienfait que pouvait apporter l’aide médicale à mourir. Un soin qui permet aux gens de mourir dans la dignité. »

La pratique de l’aide médicale à mourir a également l’avantage d’éliminer la peur de l’agonie du processus de la mort. Et elle change complètement la relation avec le trépas. « On assiste souvent à des cérémonies familiales, comme un dernier repas, l’écoute d’une dernière musique, un dernier verre de vin... et parfois même à des réconciliations, car la date et l’heure du décès sont connues d’avance par tout le monde », indique le Dr Rivard.

* Au 30 juin 2017, 786 actes d’aide médicale à mourir avaient été effectués depuis l’entrée en vigueur de la Loi concernant les soins de fin de vie en décembre 2015. On peut présumer, étant donné la demande grandissante pour ce soin, que plus de 1000 personnes s’en sont prévalues jusqu’à maintenant au Québec.

Le plus grand défi, observe le clinicien, c’est de faire cheminer les familles qui ne sont pas toujours au même stade que le patient. « Les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir sont toutes des gens décidés, qui ont toujours voulu conserver un contrôle sur leur vie... jusqu’à la fin. »

Apprendre à côtoyer la mort

« Nous n’avons pas été formés à côtoyer la mort. Du moins, pas de cette façon », explique le Dr Pierre Viens, qui continue, à 81 ans, de pratiquer la médecine au CLSC de Portneuf. Ce médecin, qui a passé plus de vingt-cinq ans à donner des soins palliatifs à la Maison Michel-Sarrazin, dans le secteur Sillery, à Québec, a effectué une soixantaine d’aides médicales à mourir depuis janvier 2016. Et c’est loin d’être terminé.

Sur la trentaine de médecins dans Portneuf, il est l’un des deux qui acceptent d’offrir l’aide médicale à mourir. « Je suis régulièrement perçu comme un sauveur par mes pairs. Je fais la job que bien des médecins n’osent faire », dit-il. Pour aider ses confrères à voir l’aide médicale à mourir autrement, l’omnipraticien a publié l’an dernier un livre, Les visages de l’aide médicale à mourir (Presses de l’Université Laval), dans lequel il relate sa relation avec une douzaine de patients ayant demandé ce soin de fin de vie.

Sans vouloir faire la promotion de l’aide médicale à mourir – ce qui est interdit par la Commission des soins de fin de vie –, le Dr Viens soutient expérimenter, depuis trois ans, des situations d’une beauté, d’une dignité et d’une sérénité qu’il a ra­re­ment vues pendant ses nombreuses années de pratique. « Ce sont, je dois l’avouer, mes plus belles années de pratique. J’assiste à des cérémonies très touchantes. C’est émouvant de voir partir le patient, tout doucement, dans un moment qu’il a lui-même décidé. »

Des conditions illogiques

Malheureusement, déplore le Dr Viens, trop d’obstacles viennent freiner l’accès à l’aide médicale. Plusieurs des conditions exigées, notamment celle qui concerne le pronostic de fin de vie, sont, à ses yeux, complètement inacceptables « Prenez l’exemple de patients qui vivent dans un corps sclérosé depuis vingt ans ou encore qui sont à un stade très avancé de la maladie de Parkinson. Certains sont prisonniers d’une carapace dans laquelle ils ne peuvent plus que manger et respirer. Ils vivent un enfer. » Pourtant, selon la loi, ils ne répondent pas au critère de fin de vie.

« Dans les faits, il n’existe aucune définition claire et précise de la fin de vie. D’où le grand flou », explique le Dr Viens. La plupart des médecins qui procèdent à l’aide médicale à mourir ont établi que la fin de vie est une période de six mois et moins. « Cette zone grise ennuie plusieurs d’entre nous et lèse le patient. » Le Dr Viens se souvient d’une patiente atteinte de sclérose en plaques à un stade avancé. Il avait accepté sa demande d’aide médicale à mourir. Mais quatre médecins (pour la seconde approbation) l’ont refusée. Elle a fini par faire la grève de la faim pour parvenir à ses fins, raconte le médecin dans son livre.

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Une loi qui fait peur

Certains aspects de la Loi concernant les soins de fin de vie révoltent le Dr Viens. « Le gouvernement l’a créée pour répondre à un besoin de la société. Cependant, sous la pression des lobbys religieux et idéologiques, il a fait en sorte de la rendre la plus inaccessible possible. En fin de compte, nous avons une loi ressemblant à un champ de mines, ce qui rend plusieurs de mes collègues craintifs. » Bien des cliniciens re­fu­sent ainsi de procéder à l’aide médicale à mourir de peur de se tromper, de faire l’objet de poursuites ou de sanctions. Le Dr Viens, qui ne craint pas de braver les tempêtes, reçoit donc de nombreuses demandes de patients qui ont déjà essuyé des refus. Parfois jusqu’à cinq.

Les exigences de cette loi, ajoute le médecin, font que l’aide médicale à mourir demeure un acte volontaire pour une centaine de médecins prêts à prendre des risques. Ce qui n’est pas l’idéal pour recruter d’autres cliniciens. « La situation dans laquelle on se trouve face à l’aide médicale à mourir me rappelle les batailles entourant le droit à l’avortement dans les années 1970. Cela a pris du temps, mais les gens ont fini par s’ajuster et accepter ce droit accordé aux patientes. »

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Un sujet qui ne doit pas être tabou

Le Dr Alain Naud, pour sa part, a effectué plus de quatre-vingts aides médicales à mourir depuis trois ans dans la région de Québec. Selon lui, il faut briser le silence entourant ce soin de fin de vie. Les médecins et les professionnels de la santé doivent en parler entre eux. « Les cliniciens doivent cesser de ressentir l’épée de Damoclès au-dessus de leur tête. L’aide médicale à mourir est loin d’être un soin honteux ou tabou. C’est l’un des quatre soins de fin de vie, tout comme les soins palliatifs, le refus de traitement et la sédation terminale. Une des différences concernant l’aide médicale à mourir, c’est que le patient doit être apte et conscient jusqu’à son dernier souffle pour que l’on puisse effectuer les trois injections », explique-t-il.

La communauté médicale doit arrêter de se mettre la tête dans le sable, estime ce médecin de famille du CHU de Québec – Université Laval. « Ce serait se mentir à nous-mêmes que de prétendre que l’aide médicale à mourir n’existait pas déjà sous une autre forme auparavant », mentionne le médecin qui travaille également aux soins palliatifs du même établissement.

Quelles aptitudes sont nécessaires pour pratiquer l’aide médicale à mourir ? Il faut de solides qualités humaines, une grande ouverture d’esprit et beaucoup de respect envers autrui, pense le Dr Naud. « L’aide médicale à mourir n’est pas une simple procédure technique parmi tant d’autres. C’est un étroit accompagnement auprès du patient, une relation au sein de laquelle il faut se sentir à l’aise de parler de la mort. Et cet accompagnement se fait également auprès de la famille, des proches... ainsi que du personnel soignant qui entoure le patient et nous assiste lors de l’intervention », affirme le clinicien. Comme l’entrée en vigueur de la loi est encore récente, bien des professionnels de la santé peuvent en être à leur toute première expérience avec l’aide médicale à mourir. « Eux aussi peuvent avoir besoin de notre soutien. »

La majorité du temps, l’aide médicale à mourir est l’occasion de rencontres riches en émotions, en échanges et en gratitude, estime le médecin. « Les patients, tout comme leurs proches, me sont très reconnaissants de comprendre et de saisir l’intensité de leurs souffrances », dit-il. Régulièrement, le médecin voit des familles le remercier dans l’avis nécrologique du patient.

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Grande maturité et confiance sans faille

« Il était temps que l’aide médicale à mourir devienne légale. Mais ce soin est loin d’être une panacée. Il ne convient pas à tous les patients... ni à tous les médecins », soutient, pour sa part, la Dre Isabelle Gagnon, qui pratique les soins palliatifs au Centre intégré des soins de santé et services sociaux de l’Outaouais depuis 2003. La clinicienne a offert l’aide médicale à mourir moins d’une dizaine de fois depuis l’entrée en vigueur de la loi.

Oui, il y a des obstacles, reconnaît-elle. Oui, les conditions d’acceptation apparaissent parfois douteuses. Mais l’omnipraticienne a décidé d’y faire face et de les surmonter avec assurance. « Si la Commission des soins de fin de vie veut me blâmer pour une décision que j’aurai prise à l’égard d’un patient, qu’elle le fasse. En mon âme et conscience, je sais comment accepter ou refuser une demande d’aide médicale à mourir. »

Une grande maturité, beaucoup d’aplomb et une solide confiance en soi sont indispensables pour aider les patients à mourir médicalement, selon la Dre Gagnon. « Les médecins qui ont l’habitude de douter de leur pratique, de leur décision, ne seront jamais à l’aise de prodiguer ce soin de fin de vie », estime-t-elle.

Cette expérience toutefois est très riche. « Vivre une expérience d’aide médicale à mourir me plonge au cœur d’une relation authentique avec le patient. Une relation où l’on se dit les vraies choses, sans filtre ». Le patient aussi en sort grandi. « La maladie est une perte de maîtrise pour le malade, surtout lorsqu’elle est chronique. De pouvoir choisir la date et l’heure de sa mort est une façon pour lui de reprendre cette maîtrise. »

Malgré toute sa compassion, la médecin ne veut pas devenir la « Dre AMM (aide médicale à mourir) » en ville. « Ce doit être un travail d’équipe. D’autres médecins doivent le faire », soutient-elle.

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Le Dr Carl Bromwich, interniste au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, ne veut pas non plus être catalogué de « Dr AMM » dans sa région. Or, ce n’est pas parce qu’il éprouve un quelconque malaise face à ce soin de fin de vie. « Au contraire, c’est un grand honneur de participer au dernier moment que vit un patient en toute conscience. Quand on prodigue l’aide médicale à mourir, c’est un moment très intense, raconte ce médecin qui a exercé plusieurs années dans le Grand-Nord. Il y a de fortes émotions dans la pièce, comme lors d’un accouchement. »

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Dans Argenteuil, la Dre Danielle Michaud est seule à pratiquer l’aide médicale à mourir. Pour se protéger, elle a dû poser ses limites. « L’aide médicale à mourir, c’est extrêmement intense et gratifiant, mais ça peut être vidant », explique la clinicienne. Elle ne pratique donc pas l’aide médicale à mourir le soir ou les week-ends. « Je veux recharger mes batteries et voir mes petites-filles. Je l’explique aux patients et aux familles, qui comprennent très bien », dit l’omnipraticienne qui pratique en CHSLD, notamment à l’hôpital de Lachute, depuis 2013, qui cumule quarante ans de pratique en médecine familiale. En un an, sur seize demandes, la Dre Michaud a procédé à une dizaine d’aides médicales à mourir. Elle espère que d’autres médecins se joindront à elle pour offrir ce service dans sa région. « Je serais ravie de faire du mentorat auprès de tout volontaire. »

D’où pourrait venir le renfort ? Des médecins retraités, suggère le Dr Pierre Viens. « Je suis convaincu, dit-il, que plusieurs anciens cliniciens accepteraient de prêter main-forte. Ils ont de l’expérience, du vécu, et l’aide médicale à mourir n’est pas un soin qui exige une formation continue exhaustive. De plus, l’âge aidant, nous sommes peut-être mieux placés pour comprendre la situation dans laquelle se trouvent les patients qui formulent une demande. » Le Dr Viens en a glissé un mot au Collège des médecins du Québec qui lui a répondu : « Mauvaise idée. Et de toute façon, il n’y a pas de pénurie de médecins pour ce soin ». Du moins, pour l’instant, pense le clinicien. //

Des embûches qui freinent inutilement l’aide médicale à mourir


Plusieurs médecins qui administrent l’aide médicale à mourir dénoncent certaines embûches entourant ce soin de fin de vie. Des problèmes sur le plan légal, administratif et pharmaceutique.

Pour commencer, il existe deux lois, l’une québécoise et l’autre canadienne, qui encadrent l’aide médicale à mourir. « Il est temps que ces deux lois et leurs procédures soient harmonisées, tout en respectant l’arrêt Carter de la Cour Suprême», soutient le Dr Alain Naud. Cela ne fait que compliquer la situation pour les médecins qui craignent les représailles, poursuit-il.

Au Québec, la Commission des soins de fin de vie devrait être réformée, selon plusieurs praticiens. « Il est temps de revoir sa composition et son mandat, estime le Dr Naud. Cet organisme nuit au travail légitime des médecins et, en les faisant fuir, à l’accès des patients à l’aide médicale à mourir. » Le ministère pourrait par ailleurs s’inspirer du formulaire fédéral pour retravailler le sien. « Il en faudrait un qui ne prenne pas deux heures à remplir », indique l’omnipraticien.

Autre obstacle inutile : l’obligation d’utiliser des médicaments stériles préparés sous hotte. « Je ne vois pas l’utilité d’employer des produits stériles pour l’aide médicale à mourir. Le patient va mourir. C’est un non-sens », déplore pour sa part la Dre Danielle Michaud.

Cette trousse de médicaments, en outre, ne peut pas être assemblée dans n’importe quelle pharmacie. Pour la clinicienne, impossible d’obtenir la trousse au sein même de l’hôpital de Lachute, où elle pratique. Les produits doivent provenir de l’Hôpital de Saint-Eustache. Un frein de plus, dit-elle.

Et c’est sans parler des horaires des pharmacies. Une omnipraticienne indique que les pharmaciens responsables de la trousse stérile l’ont bien avertie : ils ne veulent pas recevoir de demandes les vendredis dans la journée ni les lundis matin. Il y a ainsi plusieurs difficultés à surmonter pour pratiquer l’aide médicale à mourir.

† En février 2015, la Cour suprême du Canada a statué que les dispositions législatives visant à interdire l’aide à mourir portaient atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.