Dossiers spéciaux

Autisme

Le difficile diagnostic chez l’adulte

Emmanuèle Garnier  |  2019-09-26

Bien des adultes se rendent à la clinique de l'Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM) consulter le psychiatre Alexis Beauchamp-Châtel. Ils veulent en avoir le cœur net : sont-ils autistes ?

« Ce qui amène une souffrance suffisante pour pousser quelqu'un à consulter peut être l'isolement social ou des échecs répétés dans les relations personnelles, au travail ou dans les études. Certaines personnes ne réussiront pas à l'école malgré une intelligence élevée. Parfois, ce sont des gens qui font des dépressions ou qui sont suicidaires », explique le chef du programme de psychiatrie neurodéveloppementale adulte de l’IUSMM.

Certains nouveaux patients, toutefois, n’éprouvent pas de détresse. « Plusieurs veulent simplement s’identifier à une collectivité quelconque. Ils se trouvent différents des autres depuis qu'ils sont tout petits. »

Dans certains cas, ce sont des professionnels de la santé qui adressent le patient au Dr Beauchamp-Châtel. Plusieurs éléments peuvent faire soupçonner la présence d’autisme chez un adulte. Par exemple, des difficultés persistantes dans les interactions ou les communications sociales ou encore un comportement stéréotypé, de la résistance au changement ou des intérêts réduits. Mais un élément supplémentaire doit s’ajouter. Il faut qu’en plus, la personne ait, par exemple, des problèmes à obtenir ou à garder un emploi, à maintenir des relations sociales ou bien qu'elle ait eu recours à des services en santé mentale, ait des antécédents de problèmes neurodéveloppementaux, etc.1

Des caractéristiques qui disparaissent

Chez l’adulte, poser un diagnostic d’autisme est complexe. Parce que les signes caractéristiques de l’affection, très visibles chez les jeunes enfants, s’atténuent avec le temps. « Chez les adultes qui n'ont pas de déficience intellectuelle, les stéréotypies comme les battements de mains, les torsions des doigts près des yeux, les mouvements répétitifs disparaissent le plus souvent. Les adultes ne présentent généralement pas non plus d’anomalies du langage évidentes ou d’écholalie », précise le Dr Beauchamp-Châtel.

En outre, l’adulte peut recourir à des stratégies de compensation pour dissimuler son autisme. Regarder dans les yeux, sembler s’intéresser aux autres, etc. « Dans l’étude de Mme Lucy Anne Livingston, la compensation permettait à certains participants de se comporter comme une personne neurotypique2. Ces données mettent ainsi en garde contre le fait de poser ou d’exclure des diagnostics sans évaluation approfondie. »

Remonter le temps pour poser un diagnostic

Comment alors établir le diagnostic ? Cela nécessite un travail d’enquête. Le psychiatre doit remonter dans le temps avec le patient. Il va l’interroger sur son enfance. Avait-il des amis ? Que faisait-il avec eux ? A-t-il souffert d'intimidation ?

« Il faut trouver dans la trajectoire développementale suffisamment d’indices liés à l’autisme. On va chercher des éléments précis sur la socialisation. Parce que l’autisme ne peut pas apparaître à 25 ans. Il faut qu'il y ait des traces dans le passé, indique le Dr Beauchamp-Châtel. On va aller chercher tout le rapport au monde. On va regarder si la personne avait des comportements répétitifs, des jeux d’alignement, des intérêts importants ou bizarres. Le patient les a-t-il toujours ? Quelle est sa réaction aux changements mineurs, aux modifications de la routine ? Etc. »

L’idéal pour le clinicien est de rencontrer les parents. « On va les interroger sur le développement du patient en bas âge et sur les jalons développementaux comme l’âge de la marche, l’apparition du langage. De quoi le patient avait-il l’air au cours de la petite enfance ? Avait-il des problèmes de comportement ? Comment était-il à la garderie ? On fait une évaluation longitudinale », explique le psychiatre.

Le plus difficile reste cependant le diagnostic différentiel. Parce que divers troubles peuvent avoir des conséquences semblables à celles de l’autisme. La phobie sociale, l’anxiété, les troubles de la personnalité, le trouble obsessionnel compulsif, etc. « Il faut faire des déductions sur la nature de la difficulté qui amène les problèmes de socialisation. Est-ce que le patient a toujours eu des difficultés fondamentales à comprendre les interactions sociales ou a-t-il eu plutôt des problèmes affectifs importants à cause d’un vécu difficile ? »//

Bibliographie

1. National Institute for health and Care Excellence. Autism spectrum disorder in adults: diagnosis and management - Clinical guideline. Site Internet: https://bit.ly/2kgmpxo

2. Livingston L, Shah P, Happé F. Compensatory strategies below the behavioural surface in autism: a qualitative study. Lancet Psychiatry 2019 ; 6 (9) : 766-77.