Nouvelles syndicales et professionnelles

Le médecin de famille dans cinq ans

comment améliorer la situation ?

Emmanuèle Garnier  |  2019-02-01

Le comité « Le médecin de famille dans 5 ans », de l’Association des médecins omnipraticiens de Laurentides-Lanaudière, s’est penché sur l’avenir de l’omnipratique. Après consultations, sondages et réflexions, le groupe de travail fait plusieurs recommandations.

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En 2023, à quoi pourrait ressembler la pratique du médecin de famille ? Idéalement, l’omnipraticien évoluerait dans un environnement plus technologique : consultations à distance, télémédecine, possibilité de procéder à des échographies et outils augmentant la performance diag­nostique, comme des ap­pli­cations dermato­logi­ques reconnaissant différentes lésions.

Un scribe pourrait également faciliter le travail du médecin. Un assistant qui rédigerait les notes médicales, remplirait les demandes d’examens et gére­rait l’information dans les dossiers médi­caux électroniques.

Mais avant tout, dans un monde parfait, les omnipraticiens de 2023 exerceraient dans un milieu sans pénurie d’effectifs médicaux. Ils seraient suffisamment nombreux pour répondre aux besoins de la population. Dans cet univers optimal, les communications avec les spécialistes et les autres professionnels de la santé seraient devenues rapides, sûres et efficaces. Et le nombre de formulaires à remplir aurait été réduit.

C’est à toutes ces possibilités enthousiasmantes que se sont pris à rêver les membres de l’Association des médecins omnipraticiens de Laurentides-Lanaudière (AMOLL) quand on les a interrogés sur leur vision de l’avenir de la médecine familiale, sur leurs besoins et sur leurs priorités. C’est le comité « Le médecin de famille dans 5 ans », présidé par la Dre Lyne Couture, qui a mené la consultation en 2017-2018.

« Le but de cette démarche était de savoir comment, en tant que médecins, être plus efficaces dans l’offre de soins et comment être plus heureux au travail. Les omnipraticiens sont satisfaits quand ils donnent de bons services à la population. Ils veulent optimiser leur pratique », explique le Dr Marc-André Amyot, président de l’AMOLL.

« Les membres sondés sont majoritairement d’avis que l’accès à un médecin de famille est prioritaire et sont prêts à s’y investir pour concrétiser cette priorité. »

– Le comité « Le médecin de famille dans 5 ans »

Revaloriser la médecine familiale

Le comité « Le médecin de famille dans 5 ans » a consulté, sondé, analysé. Après mûre réflexion, il convie les omnipra­ti­ciens à travailler à une priorité : la re­va­­lo­risation de la médecine familiale. Une solution à bien des problèmes. « La population mérite des soins de haute qualité et pour arriver à combler les besoins, nous nous devons d’attirer les meilleurs candidats possible, de les garder en poste, de rendre leur pratique plus efficace et de leur permettre de s’épanouir au quotidien », indique le groupe de travail dans son rapport*.

Pour atteindre ce but, le comité propose trois objectifs : rendre la profession plus attrayante, rendre la pratique plus efficace et « assumer un leadership fort dans le réseau de la santé et dans la communauté ».

Une profession plus attrayante

Pour que la médecine familiale soit une spécialité attrayante, les omnipraticiens doivent être suffisamment nombreux. Et, malheureusement, ce n’est pas le cas dans la région de Laurentides-Lanaudière. « Tout au long du processus, les membres ont été clairs : il n’est pas question de porter tout le fardeau des besoins de la population en matière de santé si nous n’avons pas les ressources en effectifs médicaux nécessaires et les moyens techniques d’y parvenir », indique le comité. Il faut donc augmenter le nombre de médecins de famille dans la région. L’AMOLL est prête à en faire la demande au ministère de la Santé.

Afin de rester séduisante, la médecine familiale doit aussi continuer à offrir une pratique polyvalente. Un attrait indéniable, estime le groupe de travail. « Il s’agit d’une force singulière, particulièrement intéressante au Québec, qui nous distingue des autres juridictions en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde. » Les membres sondés de l’AMOLL tiennent d’ailleurs fortement à cette caractéristique.

Il faudrait également offrir aux cliniciens un soutien tout au long de leur pratique en médecine familiale pour rendre ce secteur encore plus attirant. Il pourrait être utile aux omnipraticiens d’avoir de l’aide pour gérer leur installation en pratique, bien administrer leur clinique ou, le moment venu, mettre fin à leur carrière. Le comité estime que plusieurs types d’outils pourraient être offerts : des guides, des plans de gestion de cliniques, des conseils en ressources humaines, des formations en gestion financière, du matériel pour les patients.

« Le véritable leader sait rallier les acteurs sur le terrain pour les inciter à donner le meilleur d’eux-mêmes. C’est dans cette direction que nous souhaitons aller. »

– Le comité « Le médecin de famille dans 5 ans »

Et sur le plan financier ? L’écart de rémunération entre les spécialistes et les omnipraticiens devrait être réduit. « Plusieurs médecins notent que l’attraction de la médecine de famille est moindre en raison des revenus de près de la moitié de la médecine en spécialité », indique le rapport.

Beaucoup de travail reste donc à faire. « Il faut rebâtir l’atttrac­tivité de la médecine familiale, comme on l’a fait il y a quel­­ques années à la FMOQ, explique le Dr Amyot, également premier vice-président de la Fédération. On était très fier de nos résultats. Cependant, les quatre dernières années ont été très difficiles pour l’omnipratique. Un tort énorme a été fait. On l’a vu par le désintéressement des étudiants pour ce domaine. »

Une pratique plus efficace

La pratique de la médecine familiale pourrait être plus efficace. L’ère est aux communications. Il faudrait que l’information circule de manière fluide, rapide et sûre entre omnipraticiens, spécialistes et différents acteurs du réseau. « Nous nous devons avant tout de favoriser les échanges de façon simple, idéalement avec un outil intégré à nos dossiers médicaux électroniques (DME) », explique le rapport. Les membres du comité se sont intéressés à un exemple à l’étranger. « En Israël, lorsque le patient s’enregistre dans un établissement, l’ensemble de son dossier médical devient disponible pour le praticien ; il nous faut oser ce genre de révolution. »

Par ailleurs, sur le plan régional, les di­­vers intervenants devraient avoir davantage de liens pour permettre une collaboration plus efficace. Le comité recommande ainsi de redynamiser les tables des groupes de médecine de famille. Des ren­contres périodiques par région et par réseau local de service devraient être organisées. Elles permettraient aux différents acteurs de discuter des problèmes avec le directeur des services professionnels du centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) et aux médecins, en particulier, d’apporter des solutions pour leurs patients.

La technologie pourrait également rendre plus performant l’exercice de la médecine familiale. Munis d’outils de dépistage plus sophistiqués, les omnipraticiens seraient capables, par exemple, de réduire le nombre de consultations en spécialité. Ils pourraient ainsi recourir à des applications en dermatologie qui reconnaissent un mélanome ou utiliser l’échographie en première ligne aussi appelée le POCUS (point of care ultra­sonography). « Il y a également les consultations électroniques qui permettent d’obtenir l’avis d’un spécialiste par voie électronique sans être obligé, dans certaines situations précises, de lui faire voir le patient », indique le Dr Amyot.

Le groupe de travail propose également de réfléchir aux di­verses possibilités qu’offrent les rendez-vous en ligne, les DME ainsi que les outils de gestion du temps et de la pratique. « Sur notre territoire, l’AMOLL pourrait soutenir le déploiement de CHARTMAXX, le logiciel de nos CISSS, pour permettre aux médecins de famille d’avoir accès aux résultats qui ne sont pas sur le DSQ, dont les rapports de consultation. »

Quand les omnipraticiens bénéficieront-ils de tous ces ou­tils ? Les cliniciens ne devraient peut-être pas attendre après le gouvernement ou l’industrie pour les obtenir. « Ce serait aux médecins eux-mêmes à augmenter leur leadership, notamment pour le DMÉ, la prise de rendez-vous en ligne, l’accompagnement des contrats, etc. », estime le comité. La FMOQ aurait aussi un rôle à jouer. Elle « pourrait devenir un vecteur majeur de l’émancipation des médecins, leur permettant d’arriver au 21e siècle avec des technologies de pointe en communication et de reprendre en main leur autonomie de pratique. »

Et la paperasse ? Les formulaires, les de­mandes, les papiers à remplir ? Pour les membres consultés, il faut réduire le fardeau administratif pour rendre la pratique plus efficace. « L’AMOLL peut apporter une aide, d’une part en faisant la promotion du travail avec du personnel de bureau dédié aux médecins, comme elle l’a fait pour l’accès adapté, d’autre part en précisant le temps utile, retrouvé par les médecins si la bureaucratie était simplifiée », indique le rapport.

Un leadership fort

L’une des solutions les plus intéressantes pour accroître la performance du réseau de la santé est l’interprofessionnalisme. Les omnipraticiens doi­vent cependant apprendre à mieux collaborer avec les au­tres professionnels, estime le comité. Les pharmaciens et les infirmières, par exemple, sont des partenaires incontournables. Leur aide peut permettre de décider rapidement si un malade doit voir ou non un médecin. « Le bon patient, vu par le bon intervenant, au bon moment. Il faut éviter de travailler en vase clos », soutient le Dr Amyot.

Le comité voit par ailleurs le médecin de famille, aux côtés de son patient, dans le rôle d’un chef d’orchestre. Tout autour, les spécialistes, les autres professionnels de la santé et les hôpitaux seraient présents pour les soutenir. Un concept qui plaît à bien des omnipraticiens sondés. En 2023, le système de santé cessera peut-être d’ailleurs d’être hospitalocentriste pour gagner en efficacité. On peut imaginer des services dé­cen­tra­lisés, offerts le plus possible en dehors des cen­tres hos­pi­ta­liers, et des soins ambulatoires maximisés dans toutes les spé­cialités médicales.

« Il faut remettre le patient au cœur de nos préoccupations. On doit le faire comme société, comme médecin, comme professionnel du réseau de la santé. Il faut mieux comprendre le patient et être à ses côtés », soutient le Dr Amyot.

À l’extérieur de leur pratique, les omnipraticiens doivent aussi faire preuve de leadership. Il leur faut tisser des liens avec les autres acteurs du réseau de la santé, mais aussi de la collectivité : département régional de médecine générale, élus, comités d’usagers, organismes communautaires, etc. Ces alliances permettront aux médecins de famille d’être plus engagés dans la société.

« Il faut repenser la médecine de famille de demain de façon à prendre en charge l’ensemble des besoins populationnels, tout en préservant le moral des troupes sur le terrain, et à revaloriser la profession. »

– Le comité « Le médecin de famille dans 5 ans »

Une grande consultation

Pour en arriver à toutes ces conclusions, le comité « Le médecin de famille dans 5 ans » a effectué une importante consultation sur le terrain en 2017-2018. Son rapport repose non seulement sur ses propres réflexions et sur celles du conseil d’administration de l’AMOLL, mais aussi sur un sondage en ligne fait auprès des membres, sur les commentaires de jeunes médecins rencontrés à Sainte-Thérèse et à L’Assomption ainsi que sur la consultation des omnipraticiens lors de la tournée du président au printemps 2018. « Nous avons organisé six réunions dans tous les sous-territoires de la région pour connaître davantage la réalité du terrain. Nous sommes même allés jusqu’à Mont-Laurier, ce qui m’apparaît important », mentionne le Dr Amyot. Chaque fois, les réflexions des omnipraticiens étaient notées. Le rapport constitue un travail colossal de plus d’un an.

L’exercice va probablement avoir des suites intéressantes. La FMOQ a ainsi créé, elle aussi, un comité sur l’avenir de la médecine familiale. « Nous sommes très heureux de cette initiative, affirme le président de l’AMOLL. La Fédération a beaucoup plus de moyens que nous. Nous allons lui remettre nos recommandations et lui fournir le travail qu’on a fait, nos recherches, nos réflexions. Nous espérons que la démarche que nous avons entreprise saura faire son chemin et devenir une priorité provinciale. » //