Dossiers spéciaux

Soins médicaux intensifs à domicile

de l’action à la maison

2019-02-01

Que sont les soins médicaux intensifs à domicile ? Un nouveau service qui permet aux malades, souvent en fin de vie, dont le cas est instable, d’être traités chez eux, loin de l’agitation de l’hôpital.

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La Dre Geneviève Dechêne aime l’action. Une partie de ses patients sont des cas très lourds. Complexes. Instables. Souvent en phase terminale. Tôt ou tard, ils auront besoin d’aller aux urgences. Mais ils n’iront pas. La clinicienne leur offrira les traitements nécessaires chez eux. La Dre Dechêne pratique des « soins médicaux intensifs à domicile ».

Rattachée au CLSC de Verdun, à Montréal, la Dre Dechêne court au chevet d’insuf­fi­sants cardiaques qui décompensent, de pa­tients cancéreux au stade 4, d’insuffi­sants rénaux ayant cessé la dialyse, de personnes souffrant d’alzheimer menacées par une pneumonie d’aspiration, d’emphysémateux dont la maladie s’exacerbe.

« On les suit parce que leur état présente une grande instabilité. Ce sont des gens en toute fin de vie. Ils ont tous décidé de leur niveau de soins qui est inscrit sur une feuille collée au frigo », explique la Dre Dechêne.

L’omnipraticienne ne se rend pas chez ces patients pour des suivis de routine. « J’y vais parce que la personne ne va pas bien. L’infirmière m’appelle parce que, par exemple, la patiente étouffe », dit la clinicienne qui fait des soins intensifs à domicile depuis trente-cinq ans.

Les cas sont complexes. Les patients ont souvent différentes atteintes organiques ; leur traitement pharmacologique est compliqué et changeant. Généralement, ils ont déjà été hospitalisés. « Ils ont passé toutes les évaluations et tous les tests à l’hôpital. On connaît leur diagnostic et on sait que leur pro­nostic est très mauvais. Le plateau technique hospitalier n’est plus requis. Chez le patient atteint d’un cancer avancé, il n’est plus nécessaire de refaire, par exemple, une tomodensito­métrie du cerveau. On sait qu’il a des métastases. »

L’objectif des soins intensifs à domicile ? Éviter au patient un séjour aux urgences ou une hospitalisation. « Dans 60 % des cas, on réussit à garder la personne à la maison », souligne la Dre Dechêne.

Les patients en sont extrêmement reconnaissants. « On voit leur bonheur et celui de leurs proches lorsqu’ils peuvent être traités chez eux. Les gens nous disent : “J’ai peut-être juste un an à vivre et j’aimerais le vivre à la maison.” Ils sont prêts à tout. On apporte chez eux des pompes pour l’administration de médicaments par voie intraveineuse, comme des diurétiques. On leur pose des sondes. On leur donne des antibiotiques en phase aiguë. Des infirmières viennent parfois trois fois par jour mesurer leur taux d’oxygène », affirme la clinicienne.

La Dre Dechêne collabore de manière très étroite avec les in­firmières des équipes de soins à domicile (SAD). Elle dessert trois CLSC montréalais : Verdun, Ville-Émard–Côte-Saint-Paul et Saint-Henri. Tout comme le font les dix autres omnipraticiennes de son équipe de soins médicaux intensifs à domi­cile (SIAD). Ce groupe de médecins, que la Dre Dechêne a mis sur pied il y a onze ans, est le modèle Verdun. Il a servi d’exemple aux dix-huit autres équipes qui existent maintenant au sein du Réseau universitaire intégré de santé (RUIS) de l’Université de Montréal. Huit équipes sont complètes, mais les autres recrutent encore des médecins.

Visite des cas les plus instables le matin

Le lundi est la journée de visites de la Dre Dechêne. Parmi les 79 patients qu’elle suit au SIAD, elle ira en voir huit. Quand elle arrive au CLSC, elle consulte la liste des cas les plus instables que sa secrétaire et les infirmières pivots ont dressée. « J’appelle les patients et je vérifie si la visite est nécessaire. La moitié du temps, je peux régler le problème au téléphone. Par exemple, si mon patient qui a une insuffisance cardiaque me dit : “Je suis plus essoufflé. J’ai pris trois livres”, je vais augmenter sa dose de diurétiques. Je n’irai pas le voir, parce qu’il n’est pas en détresse. »

Dans certains cas, la Dre Dechêne demande à l’infirmière d’aller voir le patient pour elle. « J’ai des patients qui sont visités deux fois par jour : par exemple les patients en fin de vie. L’agonie approche. Le patient souffre. L’infirmière va le voir le matin et le soir et m’appelle. Je monte la dose de morphine au besoin et j’ajuste celle des autres médicaments. »

L’omnipraticienne entreprend ensuite sa tournée. Elle commence par rencontrer les patients les plus instables le matin. « Je conserve pour l’après-midi les cas que je pourrais traiter au téléphone ou en envoyant l’infirmière, parce que tout au long de la journée je suis susceptible d’avoir à me rendre chez un patient en crise totale à la demande d’un autre médecin ou d’une infirmière. » Ensemble, les onze cliniciennes du SIAD Verdun suivent 575 patients.

Les jours de semaine où elle ne fait pas de visites à domicile, la Dre Dechêne est de garde de jour pour ses patients. Elle reçoit quotidiennement entre cinq et dix appels au sujet des plus instables. « Quelles que soient mes activités, que je suive des patients, que je fasse de la gynécologie dans mon GMF ou que je sois en réunion à l’université, je suis tenue de répondre de 8 h le matin jusqu’à 6 h le soir, cinq jours sur cinq, pour mes 79 patients. Comme les médecins en soins de longue durée. »

La fin de semaine et la nuit, la garde est as­su­mée par l’une des omnipraticiennes de l’équipe. « Il y a donc un médecin qui est joignable 24 heures sur 24 », assure la Dre Dechêne. Les patients ne téléphonent toutefois pas directement à la clinicienne, mais composent un numéro d’urgence. Une infirmière se rend alors immédiatement chez eux et, sur place, téléphone au médecin de garde. « On a un dossier médical électronique sur notre ordinateur et sur notre téléphone. On voit ainsi tous les diag­nostics et tous les médicaments, quelle que soit l’heure de la nuit où l’on est appelé pour le patient. »

Parce qu’ils sont onze, les médecins du SIAD ne sont chacun de garde les soirs et le week-end qu’une semaine sur huit. « Dans les milieux urbains et semi-urbains, il est préférable d’avoir une grosse équipe médicale plutôt que plusieurs petites qui vont s’épuiser. Cela rend entre autres les congés de maternité plus faciles », indique la Dre Dechêne.

« On voit le bonheur des patients et celui de leurs proches lorsqu’ils peuvent

être traités chez eux. Les gens nous disent : ‘‘J’ai peut-être juste un an à vivre et j’aimerais le vivre à la maison.’’ Ils sont prêts à tout. »

– Dre Geneviève Dechêne

« On est dans l’action »

La Dre Eveline Gaillardetz, jeune omnipraticienne qui a commencé sa pratique en 2011, fait elle aussi partie de l’équipe des soins intensifs à domicile de Verdun. Le premier patient qu’elle va voir ce vendredi matin est un homme âgé. Il est resté paralysé à la suite d’un accident vasculaire cérébral, a des problèmes cognitifs et souffre de la maladie de Parkinson.

Quand la Dre Gaillardetz sonne, l’infirmière pivot est déjà sur place. Une infirmière auxiliaire, également présente, s’affaire dans l’appartement. Dès son entrée, l’omnipraticienne va voir la conjointe, discute avec elle, puis installe son ordinateur sur la table de la cuisine. Elle consulte le dossier électronique du patient. En parlant avec les infirmières, elle apprend que le malade est agité le soir et dort le jour. La clinicienne vérifie les médicaments et effectue quelques changements. Puis, elle va voir le patient dans sa chambre. Il a été hospitalisé il y a peu de temps pour une pneumonie d’aspiration et ses proches craignent une récidive.

« Ce que j’aime, c’est que c’est de la belle médecine, explique la Dre Gaillardetz. Les patients ont des problèmes de santé aigus, et il faut faire un diagnostic différentiel. On est dans l’action. On arrive chez quelqu’un qui est plus essoufflé, fait de la tempé­rature ou encore présente un épisode confusionnel aigu ou a un membre douloureux. Quelque chose de nouveau s’est produit. Il faut réfléchir et trouver les bonnes solutions pour le patient. »

Tous les malades instables ou en fin de vie ne sont cependant pas de bons candidats aux soins intensifs à domicile. « On n’en offre pas à quelqu’un qui dit : “Moi, je veux vivre à tout prix et je veux le maximum.” Dans ces cas, on envoie le patient à l’urgence. » Les gens qui font appel au service de soins intensifs à domicile, cependant, sont généralement las de la maladie et du système de santé. « Ils désirent rester à la maison en espérant qu’on parvienne à les traiter. Mais si cela ne fonctionne pas, ils sont à l’aise avec l’idée de la mort », mentionne la Dre Gaillardetz.

Mais il faut aussi que le patient ait à ses côtés au moins un aidant naturel. Une personne qui veille sur lui. Qui l’aide à manger, à marcher, à prendre ses médicaments. Qui appelle le SIAD en cas de décompensation. Autrement, les soins intensifs à domicile sont très difficiles à offrir.

Un plan d’action pour chaque patient

Chaque bénéficiaire des services de soins intensifs à domicile a un plan d’action au cas où son état se détériore. « Quand j’ai un patient à domicile qui souffre d’insuffisance cardiaque, je lui laisse toute la trousse pour une décompensation cardiaque. S’il commence à avoir de la difficulté à respirer, a pris trois livres aujourd’hui, il a déjà son diurétique à la maison. Il sait que son plan d’action est de prendre deux comprimés tout de suite, puis de nous appeler. On l’évaluera ensuite. On évite ainsi une hospitalisation », indique la Dre Dechêne.

De la même manière, un malade atteint d’une bronchopneumopathie chronique obstructive a sous la main, s’il étouffe, de la cortisone et du Ventolin avec un nébuliseur. Il dispose également d’antibiotiques s’il a une infection. Il peut ainsi se traiter immédiatement plutôt que d’aller à l’urgence. « On travaille en amont de la décompensation. Le patient à domicile devient un patient partenaire », explique la Dre Dechêne.

Les patients du SIAD sont tous de petites bombes à retardement, explique pour sa part la Dre Gaillardetz. « Mon patient qui a déjà eu une hémorragie digestive va en refaire une. Celui qui a déjà subi une pneumonie d’aspiration va en ravoir une. Il faut s’y préparer. Quand on a un plan d’intervention et que l’on en discute avec les familles et les infirmières, les choses se passent bien. »

Mais qu’arrive-t-il quand on a épuisé toutes les solutions possibles à domicile ? Quand plus rien ne fonctionne ? Il est toujours possible de transférer le malade à l’hôpital, dit la jeune omnipraticienne. « Mais pour une grande partie de nos patients, si nos soins à domicile à visée curative échouent, souvent les soins de confort s’immiscent tout doucement, puisque l’évolution naturelle de toute maladie chronique est le décès... »

Un beau cadeau

La deuxième patiente que va visiter la Dre Gaillardetz est une femme âgée atteinte d’un cancer avancé. Elle vit seule avec son mari. « Il y a des cas où c’est moi qui décide de revoir le patient. L’infirmière ne m’a pas nécessairement demandé de passer. Je vais chez la personne parce que je ne l’ai pas vue depuis deux ou trois semaines et que je veux m’assurer que les choses progressent normalement. Surtout dans les cas de cancer. Souvent, l’état général du patient se détériore très vite, et il faut le réévaluer, revoir le traitement médicamenteux et refaire un plan d’intervention. »

À l’arrivée du médecin, la patiente qui, la der­nière fois, pouvait se promener dans l’ap­par­tement est alitée. Son conjoint, les traits rongés par l’inquiétude, ne sait plus où donner de la tête. Soulagé par l’arrivée de la Dre Gaillardetz, il lui raconte immédiatement : sa femme souffre, mais ne veut pas prendre ses analgésiques. Elle est également tombée au cours de la semaine. Elle ne se lève pratiquement plus, et il ne peut pas la soulever. Le couple ne sait plus comment s’en sortir. La Dre Gaillardetz discute avec la patiente et son conjoint, analyse la situation, envisage différentes solutions. De toute évidence, la patiente n’en a plus que pour quelques jours. La mé­de­cin propose finalement une fin tout en dou­ceur (encadré).

Parfois, les soins intensifs à domicile se transforment en soins de fin de vie. « Cela permet à la personne de mourir chez elle, entourée de ceux qu’elle aime, dans la paix et la dignité. Quel beau cadeau à offrir à quelqu’un qui désire mourir ainsi et à ses proches. Cela n’a pas de prix. C’est vraiment satisfaisant de pouvoir participer à un processus comme celui-là », affirme la Dre Gaillardetz.

L’omnipraticienne aime ce contact privilégié avec le patient dans son milieu de vie. « Je vois les photos de famille sur les murs. Je trouve intéressant de regarder au-delà de la maladie. Grâce à toutes ces informations, j’ai subtilement accès aux valeurs de mon patient. Je comprends d’où il vient et où il va. Je suis plus capable d’adapter mes interventions pour qu’elles aient du sens pour lui et sa famille. Voir le patient dans son environnement est très éloquent. Par exemple, cela me dit tout de suite son niveau de fonctionnement. Je n’ai pas besoin de poser beaucoup de questions. »

Aux yeux de la Dre Gaillardetz, les soins intensifs à domicile recèlent l’essence même de la médecine. « C’est une pratique qui nous permet de sentir la raison pour laquelle on est devenu médecin : soigner des êtres humains malades. Cela nous rapproche de la vie, de l’essentiel. Je trouve ça vraiment beau. »

« Les soins médicaux intensifs à domicile nous permettent de sentir la raison pour laquelle on est devenu médecin : soigner des êtres humains malades. Cela nous rapproche de la vie, de l’essentiel. »

– Dre Eveline Gaillardetz

Les infirmières au cœur des soins intensifs

Les soins médicaux intensifs à domicile possè­dent par ail­leurs un attrait particulier aux yeux de plusieurs médecins, comme la Dre Dechêne : l’interprofessionnalisme. « Plusieurs de nos visites sont faites avec les infirmières. On se donne rendez-vous. Quand j’arrive, elle arrive. C’est elle qui connaît le cas du patient. En quelques minutes, elle me résume tout ce qu’elle a fait avec lui pendant une semaine. J’examine le patient, et on établit un plan d’intervention. »

Mais en plus des infirmières, il y a aussi tous les autres professionnels de la santé de l’équipe des soins à do­micile : le travailleur social, l’auxiliaire familiale, l’ergo­thérapeute, le physiothérapeute, etc. Le médecin les croise chez le patient. « Tout se fait à domicile, indique l’omnipraticienne. Il n’y a pas de réunion au CLSC. Ce sont des visites conjointes en présence du patient. »

Les locaux du CLSC permettent toutefois des échanges informels entre les différents intervenants. « Le matin, quand on arrive entre 7 h 30 et 8 h dans la salle commune, tous les autres professionnels viennent nous voir et nous donnent des nouvelles de nos patients. Pendant une heure, il y a un mélange de gens qui échangent des informations. Il y a deux ou trois médecins, l’ergo, le physio, l’infirmière. L’un peut dire : “J’aimerais que tu remplisses le formulaire”, l’autre : “tel patient est mort”, etc. On se parle », mentionne la Dre Dechêne.

Ensuite, le CLSC se vide complètement. « Et à 15 h 30, cela recommence. Tout le monde revient des visites : les infirmières, les ergos, les physios, les médecins. Et, encore une fois, tous discutent dans la salle commune. »

Les infirmières jouent un rôle capital dans le système. « Elles sont le cœur des soins à domicile. Ce sont des bachelières d’une compétence extraordinaire. Les médecins gravitent autour d’elles. Quand j’annule une visite l’après-midi, cela implique qu’une infirmière va voir le patient à ma place. Elle va être mes yeux et mes oreilles », affirme la Dre Dechêne.

Parmi les infirmières collaborant avec les médecins du SIAD Verdun se trouvent également celles des « soins à domicile aigus » (SAD aigu). Deux infirmières d’urgence qui vont à la rescousse de patients de médecins de GMF. « Un patient téléphone à son médecin et lui dit : “Docteur j’étouffe. Qu’est-ce que je fais ?” Avant, le clinicien lui répondait d’appeler une ambulance. Maintenant, il téléphone au SAD aigu, et l’infirmière se rend chez le patient. Et nous, on gère la situation », précise la Dre Dechêne.

Ces infirmières ont été spécialement formées. « Elles arrivent chez le patient en quelques heures, cinq jours par semaine, avec une trousse d’urgence – comme urgence santé – comprenant des diurétiques par voie intraveineuse, des antibiotiques par voie intraveineuse, de l’oxygène, etc. » Elles évaluent la situation, puis appellent la clinicienne de garde du SIAD.

Une nouvelle structure

Pendant longtemps, la Dre Dechêne a pratiqué toute seule les soins intensifs à domicile. Mais il y a onze ans, tout a changé. À cette époque, elle faisait déjà partie du Comité de l’enseignement des soins aux personnes âgées (SAPA) du Département de médecine générale de l’Université de Montréal. « On s’est demandé comment on pouvait enseigner aux jeunes médecins la pratique intensive à domicile ? Après de nombreux travaux, on est arrivé à la conclusion qu’il fallait d’abord qu’ils exercent ce type de soins pendant leur résidence. Mais il n’y avait pas de milieu pour cela. Les résidents n’apprenaient qu’auprès des médecins hospitaliers dont la pratique est très différente. »

Le RUIS de Montréal a alors créé les SIAD. Dix-neuf au cours de la dernière décennie. L’objectif est maintenant d’en mettre soixante-huit sur pied dans la province. « Les trois autres RUIS commencent à embarquer », indique la Dre Dechêne. Parmi ces nouveaux SIAD, se trouveront quarante-cinq unités de formation clinique interprofessionnelle, soit une dans chaque GMF-U, où l’on enseignera aux résidents en médecine familiale la pratique de soins intensifs à domicile.

Une nouvelle structure est ainsi en train de voir le jour. Elle pourrait régler certains des problèmes du réseau. « Les SIAD sont la solution au débordement des urgences majeures et on devrait voir dans les prochaines années leur effet sur les statistiques. On s’attend à une diminution importante des retours aux urgences majeures et on espère une réduction de 5 % à 10 % de l’achalandage dans ces milieux », mentionne la Dre Dechêne. //

Une fin de vie tout en douceur

La Dre Eveline Gaillardetz, le visage grave, est agenouillée auprès de la patiente alitée. Sa tête, penchée, est à la même hauteur que celle de la dame âgée. Dans sa chambre aux rideaux tirés, la malade souffre. Elle est atteinte d’un cancer en phase terminale. Au pied du lit, son mari, debout, inquiet, ne perd pas un mot de la conversation. « En avez-vous assez ? Voulez-vous mourir ? Vous n’avez plus de qualité de vie ? », demande la médecin à la patiente.

À la visite précédente, la malade pouvait se déplacer dans la maison. En une semaine, son état s’est rapidement détérioré. Son conjoint, désespéré, se sent impuissant. Il ignore quoi faire.

La patiente aussi est dépassée. La douleur l’étreint, elle a de la difficulté à dormir. L’omnipraticienne se rend compte que la situation n’a plus de sens. « C’est comme si chaque journée est un fardeau. Aujourd’hui, pour moi c’est évident que vous êtes au bout du chemin. » Le mari, les yeux rougis, approuve. Les mains sur les hanches, anxieux, il attend désespérément une solution.

« Pour soulager votre souffrance, je pourrais vous mettre une perfusion de morphine et d’un médicament comme l’Ativan. Cela pourrait vous aider à dormir et soulager votre souffrance. » Le mari hoche vigoureusement la tête.

« On pourrait commencer ce soir. Rapidement, vous allez vous sentir détendue. Après un certain temps, vous allez être dans un profond état d’apaisement. Est-ce ce que vous voulez ? Est-ce qu’on est rendu là ? », demande la médecin. « Oui », répond la patiente. Le mari, ébranlé, approuve encore de la tête. « Vous allez dormir. Je pense que cela va vous aider à partir doucement. Est-ce ce que vous voulez ? »

La Dre Gaillardetz propose à la patiente qu’on lui fasse une toilette au lit. Puis, s’adressant au mari, elle lui indique que si sa femme ne va pas bien, il peut appeler le service de soins à domicile à toute heure du jour et de la nuit.

Dans la chambre chaude et confortable, éclairée par la lumière jaune de la lampe, la patiente repose paisiblement. « Je ne sais pas si je vais vous revoir, mais je vous salue. Je pense que vous allez faire un beau voyage. Tout va bien aller », lui dit la médecin.

La Dre Gaillardetz et le mari sortent de la pièce. Le septuagénaire, ébranlé, pleure et marche en rond dans le salon. Sa conjointe et lui sont arrivés à la fin de leur voyage commun. C’est douloureux. « Elle me dit souvent qu’elle en a assez », confie l’homme.

L’omnipraticienne met sa main sur son bras. « On va aider votre femme à partir doucement. Cela fait longtemps que vous gérez tout cela. Bravo ! Vous vous êtes occupé de votre bien-aimée avec beaucoup d’amour et de respect. Ce qui s’en vient, c’est la simplicité, la paix et le confort. »