Éditorial

Un indicateur contre-productif

2019-01-25

Le fameux taux d’assiduité (pourcentage du nombre de visites médicales en première ligne effectuées auprès de son médecin de famille ou de son groupe) calculé pour chaque médecin omnipraticien ayant une pratique de prise en charge est malheureusement devenu, au cours des dernières années, un indicateur contre-productif au Québec. Si l’objectif initial de vouloir évaluer l’accessibilité d’un médecin était valable, force est de constater que le taux d’assiduité a même préséance aujourd’hui sur le jugement humain dans les officines gouvernementales, ce qui dessert le bien commun. Son élévation au rang de dogme dans la machine gouvernementale a de toute évidence amené plus de dommages collatéraux que d’avantages.

D’abord, rappelons-nous le mythe de départ véhiculé par certains : les médecins de famille inscrivaient des patients, mais n’étaient supposément jamais disponi­bles pour les voir. Ces derniers devaient donc consulter ailleurs (autre clinique ou urgence). Et le taux d’assiduité devait permettre d’enfin mesurer l’accessibilité des médecins de famille et de corriger une prétendue situation grandement problématique. Toutefois, cette situation ne s’est finalement pas concrétisée, puisque les médecins de famille ont collectivement, dès 2015, atteint la cible de 80 % de taux d’assiduité, taux qui n’a cessé de s’améliorer depuis et qui frôle aujourd’hui 85 %. Les médecins de famille sont donc disponibles pour leurs patients, même si les patients peuvent faire le choix, particulièrement en zone urbaine, de consulter ailleurs.

Voir ce mythe ainsi incontestablement dégonflé n’a pour­tant nullement refroidi la vénération de l’ancien mi­­nis­­tre Barrette et de ses sbires du ministère pour le taux d’assiduité. Dans pratiquement chaque discussion et négociation, ses représentants insistaient pour inclure des dispositions ayant trait à ce fameux taux. Par consé­quent, menacés de pénalités de toutes sortes s’ils n’atteignaient pas la cible visée, des médecins, afin de satisfaire à la priorité du gouvernement, ont alors naturellement privilégié l’accès de leur clientèle inscrite. Ce faisant, conséquences directes de l’obsession du ministère pour l’atteinte de cibles précises sur le plan des données d’assiduité, des GMF ont peu à peu réservé l’accès à leurs services de consultation sans rendez-vous aux patients inscrits, et des médecins ont limité la prise en charge de nouveaux patients de crainte de nuire à leur taux d’assiduité individuel ou de groupe. De plus, des milieux ont privilégié l’inscription de patients habitant dans la région immédiate pour éviter d’être pénalisés si un patient de Boucherville, par exemple, faisait le choix personnel de consulter dans une clinique de la Montérégie un week-end donné plutôt qu’à la clinique où pratique son médecin de famille à Montréal. Et rien n’a pu mieux illustrer l’absurdité administrative de l’élévation du taux d’assiduité au titre de dogme absolu et contre-productif que la décision récente de la RAMQ de refuser le droit à une jeune médecin de prendre en bloc cent nouveaux patients à son retour d’un congé de maternité sous prétexte que son taux d’assiduité dans la dernière année était de seulement 70 % plutôt que du 75 % normalement exigé. On en est rendu à pénaliser sans gêne des Québécois en les privant potentiellement d’un médecin de famille au nom d’un dogme administratif. Faut le faire !

Heureusement, la nouvelle équipe du ministère semble davantage percevoir le taux d’assiduité pour ce qu’il doit être, soit un indicateur de performance qui peut avoir des conséquences indésirables, plutôt que pour ce qu’il n’est pas vraiment, soit l’élément unique permettant de mesurer réellement la disponibilité d’un médecin. L’accessibilité aux médecins de famille et le soutien que ces derniers of­frent à leurs patients ne peuvent être définis par une don­née statistique quelconque. Il existe bien d’autres moyens d’évaluer la disponibilité des médecins, qui pren­nent souvent en compte d’ailleurs le comportement et les choix propres des patients et surtout qui n’entraînent pas les conséquences négatives découlant du taux d’assiduité. Il reste à espérer que nous saurons convaincre le nouveau gouvernement de la nécessité de remplacer le taux d’assiduité et de procéder aux ajustements appropriés. //

Le 24 janvier 2019

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Le président, Dr Louis Godin