Éditorial

La collaboration souhaitée

Louis Godin  |  2019-02-26

Nous avons tous pu observer l’offensive politique de la dernière semaine sur le bien-fondé d’octroyer de nouveaux pouvoirs aux infirmières, particulièrement aux infirmières praticiennes spécialisées (IPS). Cet enjeu, et le débat qui en découle, suscite matière à réflexion et nécessite que nous rétablissions certains faits.

Tout d’abord, s’il va toujours de soi à nos yeux que poser un diagnostic demeure au sens large un geste médical avant tout, nous prenons acte de la décision du Collège des médecins d’autoriser les IPS à diagnostiquer les problèmes de santé courants ainsi que six maladies chroniques. Nous entendons tout mettre en œuvre pour qu’à terme cette nouvelle approche ait un maximum d’effets positifs.

Il est important de rappeler que nous avons toujours souhaité travailler de manière concertée avec les IPS, comme des centaines de médecins de famille le font actuellement d’ailleurs sur le terrain dans les groupes de médecine de famille (GMF), au bénéfice de nos concitoyens. Et ça fonctionne généralement très bien ! Ce que nous ne voulons pas, c’est un travail en silo où les IPS exercent d’un côté et les médecins, de l’autre pour soigner les mêmes patients. Il est donc primordial, pour favoriser le travail interprofessionnel, qu’il y ait un partage de l’information dans le temps lorsqu’une IPS pose un diagnostic et entreprend un traitement, car le médecin de famille a une responsabilité envers les patients inscrits à son nom. Nous croyons fondamentalement à une offre de soins interprofessionnelle, doublée d’une importante proximité de pratique, où chacun est mis à contribution dans la même équipe de soins, selon son expertise et ses responsabilités.

De plus, il ne faut pas négliger le fait que beaucoup de choses unissent les médecins de famille et les infirmières comme soignants de première ligne. Nous partageons le quotidien des infirmières dans de multiples milieux de soins et sommes à même de témoigner de leurs qualités et de leur professionnalisme. D’ailleurs, nous souhaitons qu’elles soient toujours plus nombreuses à nos côtés ! Malheureusement, l’amélioration de l’accès aux soins se heurte à une réalité implacable : une pénurie combinée d’infirmières et de médecins de famille dans le réseau de la santé. En ce qui a trait à la pénurie d’infirmières, les heures supplémentaires obligatoires en établisse­ment en sont le premier symptôme. Actuellement, à cause de cette pénurie, beaucoup de postes d’infirmières ne sont pas pourvus dans les GMF. Et souvent, les infirmières en poste ne sont même pas remplacées lors d’une absence prolongée ! C’est donc la pénurie de médecins de famille jumelée à celle des infirmières qui limitent, en premier lieu, l’accès aux soins en première ligne. Et ça, il ne faudrait surtout pas l’oublier. Dans un tel contexte, nous incitons respectueusement à la prudence tous ceux qui sous-entendent qu’élargir le champ de pratique de certains groupes d’infirmières va complètement révolutionner l’accès aux soins alors que ces infirmières, notamment les IPS, sont déjà au travail et prodiguent actuellement des soins.

Par ailleurs, nous souhaitons corriger à nouveau la fausseté répétée à satiété selon laquelle un médecin serait rémunéré 60 000 $ par année pour travailler avec une IPS. La réalité est pourtant tout autre : un montant unique de 30 000 $ est partagé entre tous les méde­cins partenaires d’un même GMF pour rémunérer le travail interprofessionnel avec l’IPS (discussion de cas) et un autre versement unique de 30 000 $ est octroyé au GMF pour l’utilisation d’un bureau, d’équipements et du personnel, dont les secrétaires. Il serait donc temps que ce mythe cesse d’être véhiculé par des gens préten­dument sérieux.

En conclusion, force est de constater que lorsqu’on parle de champs de compétence dans le milieu de la santé, le débat devient rapidement émotif. N’empêche que comme soignants, nous voulons tous offrir ce qu’il y a de mieux à nos patients. C’est indéniable. C’est ce qui nous unit comme professionnels de la santé. Et cette union, qui prend la forme d’une collaboration interprofessionnelle toujours plus étendue, les médecins de famille y croient plus que jamais en 2019. Nous tenons à le répéter.

Le 26 février 2019

 

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Le président, Dr Louis Godin