Éditorial

Enfin une tendance durable ?

Louis Godin  |  2019-04-01

Il fut un temps au Québec, soit au début des an­nées 2000, où la médecine familiale était aussi attractive que la médecine spécialisée. En effet, au tournant du siècle, on pouvait compter au Québec approximativement le même nombre de médecins omnipraticiens que de médecins spécialistes. Malheureusement, en raison d’une période sombre pour la médecine familiale pendant la première décennie du XXIe siècle et d’une période noire entre 2015 et 2018 sous le régime Barrette, le Québec, qui compte un millier de médecins omnipraticiens de moins que de spécialistes, fait aujourd’hui figure d’exception au pays. Comment en sommes-nous arrivés là ?

D’abord, la pénurie causée par les mises à la retraite massives, jumelée à une baisse des admissions en médecine à la fin des années 1990, a mené à une surcharge de travail et à des risques de bris de services. Ensuite, il y a eu entre autres les législations coercitives envers les omnipraticiens (loi 114), des contraintes de plus en plus restrictives comme les activités médicales particulières (AMP) et des écarts de rémunération grandissants et inéquitables entre omnipraticiens et spécialistes. Pour beaucoup d’étudiants en médecine, le message était clair : il valait mieux choisir une autre spécialité que la médecine familiale. Conséquence ? Entre 2007 et 2011, année après année, de 13 % à 22 % des postes de résidence en médecine familiale au Québec sont demeurés vacants contre seulement 4 % pour les postes de médecine spécialisée. On parle en tout de 293 postes en médecine familiale qui n’ont pas trouvé preneurs durant cette période.

Heureusement, la société civile, les milieux universitaires et le monde médical se sont mobilisés pour renverser la situation. Et les résultats ne se sont pas fait attendre ! En 2012, 2013 et 2014, c’est en moyenne 93 % des postes en médecine familiale qui ont été pourvus, soit pratiquement l’équivalent des résultats pour la médecine spécialisée. Il y avait tout lieu de croire que nous étions enfin sur la bonne voie. Malheureusement, certains politiciens ont décidé de tout gâcher avec la loi 20, une loi digne de l’ère soviétique, en faisant preuve d’un autoritarisme jamais vu dans la gestion d’une mesure déjà contraignante à la base (AMP) et en adoptant un discours dénigrant et trompeur à l’égard des médecins de famille. Les conséquences n’ont pas tardé : 13 % de postes de résidence vacants en médecine familiale dès 2015, 14 % en 2016, 17 % en 2017 et 19 % en 2018, alors que durant la même période seulement 2 % des postes en médecine spécialisée sont demeurés vacants. On parle en tout de 205 postes qui sont restés vacants au Québec en médecine familiale durant ces années. Les données de 2018, à elles seules, donnent envie de pleurer. Sur un nombre total de 75 postes de résidents en médecine, toutes spécialités confondues, demeurés vacants dans l’ensemble du Canada, 65 le furent en médecine familiale au Québec ! Avec de telles données, difficile de nier qu’on parle ici d’un échec québécois portant la signature en majuscules du plus récent ex-ministre de la Santé et en caractères minuscules de beaucoup d’autres acteurs de la classe politique québécoise.

Une belle éclaircie s’est toutefois pointée récemment à l’horizon. En effet, après le premier tour du service canadien de jumelage des résidents, 92 % des postes de résidence en médecine familiale ont été pourvus au Québec. Après un seul tour, les données sont déjà meil­leures que celles de l’an dernier. Nous pouvons raisonnablement nous attendre à dépasser la barre du 95 % et à voir moins de 20 postes vacants au total sur les 504 offerts après le second tour, ce qui serait grandement porteur d’espoir pour l’avenir. Mais surtout, ces chiffres, à eux seuls, témoignent de la sensibilité positive de la relève médicale envers l’appel respectueux à la colla­boration qui est, à ce jour, l’apanage de la nouvelle ministre. Souhaitons-nous seulement que l’ouverture de la ministre et l’attractivité de la médecine familiale soient toutes deux des tendances durables et permanentes.

Le 26 mars 2019

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Le président, Dr Louis Godin