Droit au but

Les CISSS, les CIUSSS et les médecins du territoire

une collaboration de gré à gré

Pierre Belzile  |  2019-07-31

Le Dr Bazinet, responsable du GMF de Baie-Bélanger, a reçu une note de la direction des services professionnels du CISSS de sa région. La DSP demande à tous les médecins du RLS de participer dès le mois prochain au service de consultation externe de relance de l’hôpital. Le Dr Bazinet est surpris. Personne ne lui avait auparavant parlé de ce dossier. Le CISSS peut-il obliger ainsi les médecins du RLS à y participer ?

Me Pierre Belzile, avocat, est directeur du Service juridique de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

La réponse est non. Le CISSS ne peut pas expédier une telle directive à tous les médecins de famille d’un territoire afin de les forcer à assumer des obligations hospitalières. D’un point de vue légal, les établissements du réseau n’ont aucun ascendant hiérarchique sur les médecins exerçant en dehors de leurs murs ni sur les activités qu’ils exercent dans leurs cliniques médicales. Malheureusement, plusieurs administrateurs de CISSS et de CIUSSS donnent parfois l’impression que tous les médecins de leur territoire sont partie intégrante de leurs établissements et qu’ils peuvent les contraindre à accomplir diverses activités.

La participation des médecins du territoire : les mauvaises méthodes

La saine collaboration entre les différents acteurs du réseau public de santé est un enjeu fondamental pour toutes les personnes qui souhaitent l’amélioration des services de première et de deuxième ligne. Malheureusement, on voit trop souvent des CISSS et des CIUSSS, lorsqu’ils font face à des pénuries de main-d’œuvre médicale, imposer des directives sur le terrain, sans consultation, sans dialogue et sans consensus. Cette façon d’essayer de résoudre des problèmes, outre le fait qu’elle soit souvent illégale, mène la plupart du temps et irrémédiablement à l’échec.

Par exemple, nous avons vu très récemment un établissement régional vouloir forcer des cliniques médicales à signer des ententes de service pour la réorientation des patients P4 et P5 de l’urgence vers ces cliniques. Mise au courant, la Fédération est intervenue rapidement pour informer ses membres que, contrairement à ce qu’on leur laissait entendre, ils n’étaient pas obligés de signer ces ententes, que ce type d’approche n’était pas acceptable, que rien dans la loi n’autorisait un CISSS ou un CIUSSS, dans le contexte évoqué, à agir de la sorte et qu’une telle façon de faire était, au bout du compte, contre-productive puisqu’elle produisait l’effet inverse à celui recherché au dé­part. En effet, de telles manières d’agir ne rapprochent pas les personnes, elles les confrontent. Des personnes qui, au départ, devraient pourtant travailler de concert.

Les CISSS et les CIUSSS : le message de la loi

Comme on vient de le voir, tout repose souvent, et simplement, sur une question d’approche. Au lieu de vouloir imposer de façon musclée certaines de leurs idées, les CISSS et les CIUSSS auraient tout intérêt à changer certaines des méthodes qu’ils utilisent parfois auprès des cliniques du territoire pour les forcer à participer à des activités ou pour leur imposer des directives. Comme le prévoit d’ailleurs la Loi sur les services de santé en services sociaux en vertu de l’article 99.7, les CISSS et les CIUSSS doivent notamment :

h instaurer des mécanismes ou conclure des ententes avec les différents producteurs de services ou partenaires que sont, notamment, (...) les médecins du territoire ;

h créer des conditions favorables à l’accès, à la continuité et à la mise en réseau des services médicaux généraux, de concert avec (...) le département régional de médecine générale (DRMG), en portant une attention particulière à l’accessibilité.

Comme on peut le voir, la loi elle-même privilégie exclu­si­ve­ment une approche fondée sur la collaboration, sur l’ins­tau­ra­tion de mécanismes issus de discussions et sur la conclu­sion d’ententes volontairement négociées, le but étant de « créer des conditions favorables ».

S’allier les bons interlocuteurs

À cet égard, les établissements utilisent souvent de manière insuffisante l’expertise que peuvent leur donner les DRMG (voir à ce sujet notre article sur les DRMG dans le numéro d’avril 2019 de cette même revue). Les DRMG devraient être les partenaires à part entière des CISSS, des CIUSSS et du ministère, et non pas des acteurs de second plan que l’on consulterait de temps à autre ou à qui on expédierait des consignes.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux, les CISSS et les CIUSSS ne devraient pas non plus se passer de l’apport constructif de la FMOQ et de ses associations affiliées dans la mise en œuvre de projets d’amélioration des services que rendent les médecins omnipraticiens. Certains auraient tout à gagner de cesser de voir la FMOQ et ses constituantes comme de simples syndicats défendant des intérêts particuliers. La Fédération a prouvé au fil des ans qu’elle était bien plus que cela et qu’elle avait à cœur la santé des patients, la bonne marche du réseau et la satisfaction de la population à l’égard des services que rendent ses membres. Son expertise et sa très grande connaissance du terrain sont uniques.

Malheureusement, on ne compte plus le nombre d’initiatives en provenance des établissements du réseau où, faute de consultation et de concertation préalables, on aura complètement raté les cibles. À de multiples reprises, la FMOQ et ses associations affiliées ont dû écrire à leurs membres pour leur dire de ne pas tenir compte de telle ou telle directive, de telle politique ou de telle décision. La plupart du temps les décideurs du gouvernement n’avaient pas pris la peine de vérifier la solidité de leurs projets et d’en discuter avec les bons interlocuteurs avant de les mettre en œuvre.

Conclusion

Il faut délaisser les façons de faire improductives, maladroites et conflictuelles. Elle ne cause que de l’antagonisme. Le ministère et ses établissements doivent développer le réflexe de discuter des problèmes à résoudre avec les DRMG, les cliniques, la FMOQ et ses associations affiliées, de façon, comme le prévoit la loi, à « créer des conditions favorables à l’accès, à la continuité et à la mise en réseau des services médicaux généraux ». Dans bien des dossiers, les résultats auraient probablement été fort différents et, probablement aussi, bien meilleurs.

La direction des services professionnels du CISSS, dans le cas de notre amorce, aurait certainement pu, en utilisant d’abord les bons interlocuteurs, ne pas susciter, dès le dé­part, simplement en utilisant le mauvais moyen, le doute et la méfiance du Dr Bazinet. //