Éditorial

Les chiffres et la réalité

Louis Godin  |  2020-10-21

La vérificatrice générale du Québec publiait récemment, en pleine pandémie, un rapport à résonance négative sur l’accès aux soins médicaux de première ligne. Ce rapport survient au moment même où les médecins de famille sont à pied d’œuvre comme jamais depuis des mois un peu partout dans le réseau de la santé pour prodiguer les meilleurs soins possible. Au-delà du fait que nous pourrions nous questionner sur la pertinence de publier un tel rapport contenant manifestement un certain biais, particulièrement en cette période sans précédent et extrêmement exigeante pour les médecins de famille, il est impératif de rappeler des éléments incontestables qui semblent avoir échappé à certains.

D’abord, l’accès aux médecins de famille s’améliore continuellement et incontestablement au Québec. En effet, depuis cinq ans, 1,2 million de Québécois de plus ont été pris en charge avec un taux d’assiduité frôlant 85 %, malgré une pénurie importante, une pandémie exceptionnelle et un travail considérable des médecins de famille en établissement (urgences, hospitalisation, CHSLD et soins de longue durée, obstétrique, réadaptation, soins intensifs, etc.). Nous sommes conscients que rien n’est parfait et qu’il y a encore place à l’amélioration. Toutefois, prétendre que la situation se détériore alors que toutes les données indiquent plutôt le contraire a de quoi laisser dubitatif.

N’empêche que la vérificatrice générale y va de prétentions qui méritent d’être mises en contexte. Elle souligne, par exemple, que le nombre de Québécois inscrits au guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF) augmente. Mais est-ce que cela signifie automatiquement que l’accès se détériore ? Non ! Cette situation s’explique facilement. Les Québécois qui s’y inscrivent sont tout simplement de plus en plus nombreux . En outre, ceux dont le médecin de famille prévoit prendre sa retraite au cours des deux prochaines années peuvent s’y inscrire aussi même s’ils ne sont pas orphelins et sont toujours suivis. Et ces faits sont facilement démontrables, car le nombre de Québécois pris en charge, lui, est plutôt en constante progression depuis bon nombre d’années.

Selon la vérificatrice générale, le recours aux urgences serait un autre élément qui montrerait une détérioration de l’accès : « le recours aux urgences peut refléter la difficulté des patients à avoir accès à leur médecin de famille. En 2018-2019, 71 % des visites ambulatoires étaient celles de patients présentant des problèmes de santé jugés moins urgents ou non urgents lors du premier triage. Pour près de 72 % des visites, les patients avaient un médecin de famille ». Cet argument ayant été abondamment repris dans les médias, des précisions s’imposent. Si on combine les consultations à l’urgence (1,6 million) et en première ligne (14,3 millions) des patients inscrits, on obtient au total 15,9 millions de visites pour des motifs peu ou pas urgents. C’est donc seulement 10 % de la consommation annuelle de soins pour des problèmes moins urgents qui se passent à l’urgence contre 90 % en clinique médicale pour ces patients ! Et les raisons motivant une consultation à l’urgence peuvent être multiples : heure tardive ou nocturne, souhait de consulter dans un hôpital spécialisé pour enfant, nécessité d’avoir accès à un plateau technique ou à une consultation spécialisée, région éloignée ou rurale où la petite urgence est un milieu de soins incontournable, etc. On parle donc de raisons qui n’ont souvent pas de lien direct avec l’accessibilité des médecins de famille.

À la lumière de ces explications, nous croyons qu’il aurait été fort utile de pouvoir échanger avec la vérificatrice générale et son équipe avant la publication de son rapport, mais nous n’en avons pas eu l’occasion. Dans le cas contraire, la vérificatrice aurait probablement pu interpréter différemment et plus justement certaines données statistiques. Souhaitons simplement que ce soit possible à l’avenir.

 

 

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Le président, Dr Louis Godin