Nouvelles syndicales et professionnelles

750 patients d’un coup

De jeunes médecins relèvent le défi

Nathalie Vallerand  |  2020-02-05

Au début de l’été, les résidents Alexandre Beauchamp et Marie-Pier Lamarre-Séguin sont sur le point de se joindre au Centre médical des Trois Lacs, un GMF-R de Vaudreuil-Dorion, lorsqu’ils reçoivent un appel bien particulier. Au bout du fil, le Dr Sylvain Dufresne, coordonnateur médical du Réseau local de service Vaudreuil-Soulanges. Il propose à chacun de prendre en charge un bloc de 750 patients, en vertu de la lettre d’entente 321 qui permet d’inscrire des patients du Guichet d’accès à un médecin de famille sans visite médicale préalable.

Beauchamp

« Sur le coup, j’ai hésité, se souvient le Dr Beauchamp, 26 ans. Je ne connaissais pas cette mesure-là. Et puis, 750 patients, ça fait un peu peur. » De son côté, la Dre Lamarre-Séguin essaie d’avoir le point de vue d’un médecin de son milieu de stage sur la lettre 321, mais aucun n’a vécu l’expérience. « J’étais inquiète à l’idée de prendre un grand nombre de patients du guichet en même temps. Selon ce qu’on entend, il compterait beaucoup de personnes très malades ou très âgées, dont plusieurs ont des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. »

Des craintes tout à fait normales, estime le Dr Dufresne. « Mais souvent les cas des patients du guichet de Vaudreuil-Soulanges sont plus légers que ceux des autres guichets. J’ai cependant assuré Alexandre et Marie-Pier qu’ils auraient le soutien de toute l’équipe de la clinique où j’exerce moi aussi. »

Pourquoi leur avoir suggéré la lettre d’entente 321 ? Parce que c’est bénéfique à la fois pour les patients du guichet et pour les médecins qui touchent un supplément lorsqu’ils atteignent les seuils de 750 et de 1000 patients.

C’EST PARTI !

Séguin

Après un temps de réflexion, le Dr Beauchamp annonce qu’il tente l’aventure. Le Dr Dufresne contacte aussitôt l’infirmière du guichet. Il veut s’assurer qu’elle sera prête à distribuer des listes de patients à approuver au nouveau facturant dès qu’il commencera à exercer en août. Le temps est compté : le dénombrement des patients pour le forfait supplémentaire a lieu le 30 septembre, et les patients ont un mois pour remettre leur formulaire d’inscription.

« Je voulais avoir 750 patients à cette date, raconte le Dr Beauchamp. Tous les deux ou trois jours, je faisais le décompte avec l’équipe du secrétariat pour savoir combien d’inscriptions j’avais. Ça nous faisait bien rire ! Pour m’assurer d’avoir le nombre requis, j’ai aussi pris un bloc de 150 patients d’une collègue qui quittait la clinique. Dès le début septembre, je savais que j’atteindrais la cible. »

La Dre Lamarre-Séguin, qui exerce à la fois à la clinique et à l’hôpital, commence plutôt sa pratique avec 500 patients du guichet, qu’elle prend à raison de 50 ou 100 à la fois. « C’était important pour moi de faire ma part pour vider le guichet plutôt que de bâtir ma clientèle avec l’ami d’une amie ou la belle-mère du voisin. »

Après quelques semaines de pratique, la clinicienne de 27 ans adhère elle aussi à la lettre d’entente 321. « J’ai constaté que j’avais le temps de suivre 750 patients, explique-t-elle. Ça me permettait aussi de profiter de l’incitatif financier du dénombrement du 31 décembre. »

« JE VEUX VOIR MON MÉDECIN DE FAMILLE ! »

Sans surprise, les deux jeunes médecins ressentent rapi­dement la pression des patients qui veulent un rendez-vous. « Les gens sont heureux de recevoir la lettre disant qu’ils ont un médecin de famille, mais ils ne savent pas que des centaines d’autres personnes ont reçu la même. Ni que j’ai trois ans pour les voir, s’ils ne sont pas vulnérables. Ça fait beaucoup de patients qui veulent être vus en même temps et qui pensent que je ne suis pas accessible », affirme la Dre Lamarre-Séguin.

Les secrétaires médicales jouent un rôle crucial dans la gestion de ce flux de patients. « Ce sont elles qui composent avec tous ces nouveaux patients qui appellent, souligne le Dr Beauchamp. C’est beaucoup de travail et de stress pour elles. Sans leur collaboration, ce serait impossible de prendre autant de patients d’un coup. »

Qui voir en premier ? La Dre Lamarre-Séguin donne priorité aux gens très malades, très âgés ou qui n’ont pas vu de médecin depuis longtemps. Pour aider le plus de personnes possible, elle fait davantage d’accès adapté et offre des consultations de quinze minutes à certains patients pour régler un problème précis. « Je les vois ensuite une deuxième fois pour un rendez-vous de prise en charge qui dure entre 30 et 45 minutes », précise-t-elle.

Le Dr Beauchamp accorde lui aussi la priorité aux patients vulnérables, tout en essayant d’équilibrer ses journées avec des patients non vulnérables. Mais ce n’est pas évident à départager : les codes de vulnérabilité et de priorité du guichet ne reflètent pas toujours la réalité.

UN TRAVAIL D’ÉQUIPE

Dufresne

Quel type de soutien ont obtenu les deux jeunes médecins ? « Pour commencer, toute l’équipe est accessible, répond le Dr Dufresne. Ils ne sont pas laissés à eux-mêmes. Il y a toujours quelqu’un pour répondre à leurs questions. »

Et cela a débuté avant même leur arrivée. « Ils ont été mis en contact avec de jeunes médecins qui connaissent bien leurs inquiétudes, notamment sur l’organisation de la pratique et l’aspect administratif », indique le Dr Yves Gagnon, médecin gestionnaire au Centre médical des Trois Lacs.

Pour les questions médicales, le service de consultation sans rendez-vous, ouvert tous les jours, est particulièrement utile. Il permet aux jeunes médecins d’avoir facilement accès à leurs confrères et consœurs plus expérimentés. « Ça m’est arrivé d’aller chercher une collègue pour lui montrer une atteinte cutanée difficile à identifier ou une lésion inhabituelle au col de l’utérus, donne comme exemples la Dre Lamarre-Séguin. J’ai aussi demandé de l’aide pour des techniques que j’ai moins pratiquées pendant ma résidence, comme des infiltrations ou la pose d’un plâtre. »

Gagnon

Le service de consultation sans rendez-vous constitue également un filet de sécurité pour les nouveaux facturants. « C’est rassurant pour eux de savoir qu’ils ne sont pas seuls, qu’un collègue peut voir leurs patients rapidement en cas de problème de santé aigu », précise le Dr Gagnon. De plus, des infirmières et d’autres professionnels font partie de l’équipe du GMF, ce qui allège le suivi des patients.

Le conseil que les jeunes médecins donneraient aux futurs facturants ? Garder un bon équilibre de vie. En début de pratique, éviter de multiplier les activités et de surcharger son horaire. « C’est facile d’en faire trop, car les besoins sont criants, observe la Dre Marie-Pier Lamarre-Séguin. Trop de jeunes médecins se brûlent rapidement. »

Quant à eux, ils ont un même objectif : parvenir à prendre en charge leurs quelque 800 patients respectifs d’ici la fin de leur première année d’exercice en août prochain. Les personnes vulnérables, mais aussi celles qui ne le sont pas. « Parce que pour un patient, trois ans sans avoir vu une fois son nouveau médecin de famille, c’est long », conclut le Dr Alexandre Beauchamp. //