Nouvelles syndicales et professionnelles

Don d’organes

les médecins de famille peuvent aussi contribuer

Claudine Hébert  |  2020-03-04

Près de 500 Québécois ont bénéficié d’un don d’organe en 2018. Un nombre qui pourrait augmenter grâce à la contribution des omnipraticiens.

don d'organe

 

Dr DAragon

Avez-vous déjà abordé le sujet du consentement de don d’organes avec vos patients lors de leur visite en clinique ? Sauriez-vous comment le faire à l’hôpital auprès des familles vivant une situation tragique ?

Le Dr Frédérick D’Aragon n’est pas près d’oublier la date du 23 décembre 2016. « C’est le jour où j’ai effectué ma toute première demande de consentement pour un don d’organes auprès d’une famille », indique le directeur du service interdépartemental des soins intensifs du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS).

Il était 18 h 15. Une jeune femme de 20 ans, qui se rendait à un repas de Noël en famille, venait d’être victime d’un grave accident de la route dans la région de Granby. En raison de ses blessures à la tête, elle avait été transportée d’urgence au CHUS. « Nous avons tenté toutes les manœuvres en salle d’opération. Nous avons ouvert sa boîte crânienne afin de réduire l’œdème qui s’était formé au cerveau. Mais en vain. Les dommages étaient irréparables », raconte le médecin. La patiente s’est alors retrouvée en mort cérébrale. Il ne restait qu’une option : aborder le sujet du consentement du don d’organes avec ses proches.

C’était le début du temps des fêtes, le Dr D’Aragon était nouvellement papa. « Émotivement, il m’a été très difficile de trouver les bons mots auprès des parents qui, de surcroît, étaient séparés », révèle le médecin qui venait d’accepter le rôle de coordonnateur du don d’organes pour le Centre intégré universitaire de la santé et des services sociaux de l’Estrie-CHUS. « En médecine, poursuit-il, on nous forme pour guérir et soigner la population. On ne nous apprend pas à communiquer aux familles que leur être cher mourant peut encore sauver des vies grâce à ses organes. »

Après que le Dr D’Aragon eut expliqué la situation, le père et la mère ont fait sortir de la pièce tous les autres membres de la famille ainsi que les amis. Après trente minutes, ils sont sortis tous les deux pour annoncer que l’équipe du CHU pouvait procéder. Le cœur, le foie, les poumons ainsi que les deux reins de la jeune femme ont pu être transplantés à des patients.

Les omnipraticiens appelés en renfort

En 2018, 210 donneurs, dont 164 personnes décédées, ont permis à 497 patients de bénéficier d’une transplantation au Québec, indique le Dr Matthew Weiss, directeur médical des dons d’organes chez Transplant Québec. « Le Québec, dit-il, pourrait toutefois compter plus de 400 à 450 donneurs par année. »

Les médecins de famille ont un important rôle à jouer. « Ils sont parmi les mieux placés en première ligne pour en faire la promotion et effectuer la sensibilisation auprès de la population », ajoute le Dr Weiss qui est aussi pédiatre intensiviste au CHU de Québec – Université Laval.

Et parce qu’ils sont nombreux à travailler dans les centres hospitaliers régionaux, les omnipraticiens deviennent de précieux intermédiaires entre le coordonnateur de don d’organes et la famille lorsque survient une situation tragique. « En raison du lien de confiance établi entre la famille et l’omnipraticien, le sujet du don d’organes est souvent mieux expliqué par eux que par un autre médecin, comme moi par exemple, qui leur est totalement inconnu », précise le Dr Frédérick D’Aragon.

L’Espagne, explique le médecin qui y a effectué un stage d’un an, est devenue une référence mondiale en matière d’efficacité en dons d’organes, justement en raison du rôle qu’occupe le personnel de première ligne dans le déroulement du processus.

Apprendre à faire face à la détresse

Que peut faire le médecin de famille lorsque se présente cette situation ? Avoir une grande empathie est essentiel. Ces moments demeurent toujours inattendus et surtout remplis d’émotions. « Les familles vivent un grand moment de détresse. Nous devenons témoins de leur souffrance », raconte le Dr D’Aragon. La toute première demande de consentement du médecin sherbrookois a été très éprouvante… tout comme la centaine d’autres qui a suivi au cours des trois dernières années. « On ne s’habitue jamais », avoue-t-il.

Selon le Code civil du Québec, la demande de consentement aux soins doit être adressée d’abord au conjoint, puis aux parents et ensuite aux amis du patient. Le mieux, conseille le coordonnateur des dons sherbrookois, c’est que la décision puisse être prise de manière consensuelle par l’ensemble des proches. Ce sont eux qui vont vivre avec le deuil. » Dans tous les cas, avertit-il, il ne faut surtout pas précipiter les démarches. Il faut s’adapter au rythme de la famille, être à l’écoute de ses questions, de ses réactions et de sa compréhension de la situation. « Inutile de passer à l’étape de la demande du don d’organes si les proches n’ont d’abord pas compris ce qu’est la mort cérébrale », ajoute le Dr D’Aragon.

Le don d’organes risque aussi de susciter différentes opinions au sein de la famille, ajoute-t-il. Il faut prendre le temps de connaître les motifs de ces divergences et, au besoin, corriger les mauvaises informations et interprétations. On doit aussi tenir compte des volontés du patient. Actuellement, selon les données de Transplant Québec, seulement deux Québécois sur cinq (40 %) ont accepté de signer l’un des deux registres. Soit le formulaire de Consentement au don d’organes et de tissus de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) (joint à l’avis de renouvellement de la carte d’assurance maladie) et le formulaire de consentement (ou de refus) au Registre des consentements au don d’organes et de tissus de la Chambre des notaires du Québec.

La transparence, souligne-t-il, est également essentielle. « Ce n’est pas vrai qu’un processus de don prend douze heures. Il peut prendre jusqu’à deux jours. En somme, le mieux qu’on puisse faire, c’est de fournir l’information nécessaire afin que les proches puissent prendre une décision éclairée. Ils sont là pour nous dire ce que le patient nous aurait mentionné s’il avait pu le faire à ce moment précis. »

Des mythes à briser

Il y a toutefois beaucoup de mythes à déboulonner au sein de la population et du corps médical, observe le Dr Jean-Sébastien Bilodeau, coordonnateur des dons d’organes pour le territoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Le don d’organes, rappelle-t-il, touche huit organes (cœur, deux poumons, deux reins, pancréas, foie et intestins). « Et l’âge du donneur ne fait nullement partie des critères d’admissibilité. L’évaluation repose avant tout sur la fonction des organes », insiste-t-il.

Le plus jeune donneur avait 48 heures, le plus âgé 92 ans. Un homme de 76 ans a même déjà donné cinq organes, renchérit le Dr Matthew Weiss. « Les organes d’un patient dont la fonction hépatique est normale et qui n’a pas d’antécédents, par exemple de consommation d’alcool excessive, peuvent être considérés peu importe l’âge de la personne », tient à préciser le grand responsable des dons d’organes au Québec.

Même chose pour un patient souffrant de maladies neurologiques dégénératives, comme la sclérose latérale amyotrophique ou la maladie de Parkinson, qui aurait demandé l’aide médicale à mourir. Le Dr Weiss tient toutefois à signaler qu’en cas d’aide médicale à mourir, le médecin ne peut aborder la question de don d’organes tant que la demande n’a pas été acceptée.

Tact et sensibilité

Et comment aborder le sujet du don d’organes avec les pa­tients qui se présentent en clinique ? Quels sont les moments opportuns ? « Si vous venez d’annoncer au patient un pronostic sombre, ce n’est pas vraiment approprié de parler de consentement. Mieux vaut attendre quelques semaines et voir comment le patient réagit face à sa maladie », répond le Dr D’Aragon. Autrement, affirme-t-il, ça prend un bon prétexte. La Semaine du don d’organes (qui aura lieu du 19 au 25 avril 2020) constitue une belle occasion de faire de la sensibilisation auprès des patients. Il devient plus facile d’en parler comme s’il s’agissait d’une prise de sang ou d’un autre test de routine, dit-il. Et les 358 autres jours de l’année ? « Je suggère aux médecins d’être attentifs aux informations que donne le patient à propos de son entourage. Un patient qui dit connaître une personne souffrant d’insuffisance rénale, de problèmes respiratoires ou de troubles cardiaques se sent généralement interpellé par ces complications médicales. Par conséquent, il a de fortes chances d’être plus enclin et plus réceptif à signer sa carte de la RAMQ ou le registre auprès de son notaire. » //