Entrevues

Entrevue avec le président de l’association de Montréal

Les médecins de famille, de vaillants combattants

Élyanthe Nord  |  2021-01-29

Après avoir consulté ses délégués des différents secteurs de pratique, le Dr Michel Vachon, président de l’Association des médecins omnipraticiens de Montréal, fait le point sur la crise de la COVID-19 dans la métropole.

M.Q. — Comment se passe la crise de la COVID-19 à Montréal pour les médecins ?

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M.V. – Montréal est une très grosse région avec beaucoup de milieux de pratique comprenant entre autres seize urgences, plus de 14 000 lits de soins de longue durée et de nombreux lits en réadaptation et en soins « post-aigus ». Malgré le délestage et la réorganisation des soins, les médecins de famille de Montréal continuent à couvrir ces services 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et ils sont aussi présents dans les groupes de médecine de famille (GMF) 12 heures par jour, sept jours sur sept. Les omnipraticiens travaillent fort sur le terrain. Ce n’est pas facile pour eux. Ils ont une capacité d'adaptation extraordinaire. Je leur lève mon chapeau. Il va cependant falloir que l'on fasse attention à eux, parce qu’à un moment donné ils vont tomber. On doit penser à protéger ces médecins qui risquent leur vie. Ils font un travail incroyable depuis le début de la pandémie.

M.Q. — Comment vont-ils ?

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M.V. – Tout le monde est fatigué. Certains médecins, surtout ceux qui travaillent dans les unités de COVID-19, sont vraiment épuisés. Tant eux que le personnel infirmier ressentent beaucoup d'anxiété. Pour le moment, je dirais qu’ils tiennent le coup. Tous les médecins de famille ont d’ailleurs répondu à l'appel. On n'a jamais été en pénurie d'effectifs médicaux. Mais on est sur une ligne très fragile. Tout le monde court sans arrêt depuis presque un an. Quand le rythme va redevenir un peu plus normal, je pense qu'on va réaliser à quel point ce qu'on vit actuellement est lourd et grave. Il faudra alors prendre soin de nos médecins.

M.Q. — Quelle est la situation dans les CHSLD ?

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M.V. – C'est toujours là que c'est le plus difficile. Il y a un sentiment d’impuissance. Le personnel est épuisé. Bien des médecins de ces milieux ont perdu beaucoup de patients. Et c’est dans ces centres qu’il y a eu le plus grand nombre d’omnipraticiens infectés.
Le travail dans les CHSLD s’est par ailleurs beaucoup complexifié. Cela vient entre autres du souci constant de suivre les recommandations sanitaires et des mesures comme les multiples dépistages. Sur le plan pratique, les médecins ont de la difficulté à obtenir par téléphone des nouvelles de leurs patients. En plus, le personnel soignant change souvent. Depuis le début de la pandémie, malgré l'explosion des besoins dans les CHSLD, ce sont toujours les mêmes équipes médicales qui réussissent à donner les services nécessaires. Et elles offrent des soins de grande qualité. Leur travail est remarquable.

M.Q. — Et qu’en est-il des soins à domicile ?

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M.V. – Dans les soins à domicile, bien des personnes âgées ont souffert des réductions de services au cours des derniers mois. La pratique dans ces milieux n'est donc pas facile non plus.

M.Q. — Et dans les cliniques?

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M.V. – Une importante réorganisation a été nécessaire. À Montréal, environ 35 % des médecins de famille ont plus de 60 ans. Plusieurs, à cause de leur état de santé, ont dû rester à la maison, mais ont offert des services par téléphone. Il fallait donc faire en sorte que leurs patients puissent voir un médecin en personne quand ils en avaient besoin. Les équipes médicales des cliniques devaient ainsi s'occuper de ces gens, en plus de faire leur travail habituel. Cela a représenté tout un défi. Et c'est sans compter la réorganisation interne qui a été requise pour suivre les patients des médecins qui ont quitté la clinique pour aider leurs collègues dans les zones chaudes.

M.Q. — Les cliniques ont par ailleurs dû s’adapter sur plusieurs plans.

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M.V. – Pour que nos milieux froids restent sûrs, on doit maintenant faire un prétriage par téléphone et un autre sur place, nettoyer la salle après chaque patient, etc. C'est beaucoup plus lourd. À cause de ces mesures, on voit beaucoup moins de patients qu’avant. Mais ce n’est pas le seul changement. La plupart des cliniques ont dû augmenter leur nombre de lignes téléphoniques, parce que les appels de patients se sont multipliés. En plus, comme leurs salles d’attente ne sont généralement pas assez grandes pour maintenir la distance de deux mètres entre les patients, elles doivent maintenant demander à ces derniers d’attendre dehors ou dans leur voiture. Certains cabinets ont même engagé des gardes de sécurité pour que tout se déroule bien. Cela devient très difficile.
En ce qui concerne le personnel, la plupart de nos cliniques ont perdu au moins 70 % de leurs infirmières parce qu’elles ont été redirigées vers les CHSLD, les résidences pour personnes âgées et les cliniques de dépistage. La charge de travail a cependant augmenté. On a tous plus de travail à faire qu'on est capable d'en prendre. Sans compter que plusieurs médecins et infirmières ont attrapé la COVID-19. Par conséquent, ceux qui restent travaillent sans relâche.

M.Q. — Comment se passe la téléconsultation ?

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M.V. – Je dirais que, selon les milieux, de 50 % à 80 % des consultations se font par téléphone. Contrairement à ce que bien des gens pensent, on n'arrive pas à traiter plus de patients par téléconsultation, du moins pas à Montréal. On dirait que les patients nous parlent de plus de problèmes quand ils sont au téléphone. Et quand on raccroche, le travail à effectuer est plus long qu’avant : il faut envoyer des courriels au patient pour sa prise de sang, pour sa radiographie, parfois on doit lui fournir des documents que pouvait lui donner l’infirmière, il faut faire parvenir des télécopies à la pharmacie, etc. On fait tout tout seul.

M.Q. — Montréal semble particulièrement touchée par le coronavirus.

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M.V. – Actuellement, le CIUSSS du Nord-de-l'Île-de-Montréal détient le triste record au Québec du plus haut taux de résultats positifs aux tests de dépistage, soit 22 % ! Ce chiffre s’explique par la haute densité de la population dans ce secteur. Pour les médecins qui y pratiquent, cela signifie un plus grand nombre de demandes de consultations et plus de précautions à prendre à chaque rencontre.

M.Q. — Qu’est-ce qui est le plus difficile pour les médecins de famille en ce moment ?

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M.V. – Je pense que, d’une part, la non-adhésion du personnel paramédical à la vaccination est très irritante pour les médecins. D’autre part, il y a également le fait qu’une certaine partie de la population ne se conforme pas aux mesures demandées par la Santé publique : la distanciation physique, le port du masque, la réduction des déplacements, etc. Le pire a été de voir les aéroports bondés de voyageurs pendant les Fêtes alors qu’il y avait une importante transmission du coronavirus dans la collectivité. Pour nous, c'est un non-sens d'avoir à travailler comme on le fait et de mettre notre vie et celles de nos proches à risque pour traiter des gens qui ont pris et prennent encore tant de risques. Il faudrait que tout le monde puisse comprendre ce que les professionnels de la santé vivent sur le terrain. Comment des gens peuvent-ils se comporter de manière aussi insouciante ? Ils ne pensent pas à nous.
Pour moi, par ailleurs, une chose est certaine : dans les prochains mois, nous allons devoir, comme société, faire une réflexion sur notre système de santé. Nous devons apprendre de ce que nous sommes en train de vivre. Il faut faire un vrai bilan de cette crise. On le doit à nos collègues et aux  victimes. //