Dossiers spéciaux

Réactions à la première vague de COVID-19

Faites-vous partie des 85 % de résilients ou de rétablis sur le plan psychologique ?

Élyanthe Nord  |  2021-03-03

Des chercheurs québécois ont découvert que 85 % des travailleurs de la santé qu’ils ont suivis se sont bien adaptés à la première vague de COVID-19. Ces participants font partie des résilients et de ceux qui se sont rétablis sur le plan psychologique. Mais deux autres profils de réactions existent aussi.

Dr Geoffrion

Comment avez-vous réagi au stress de la première vague de COVID-19 ? Avez-vous été du type résilient, comme les deux tiers des travailleurs de la santé qui ont participé à une étude récente ? Vous êtes-vous adapté après un certain temps, comme un travailleur sur cinq ? Ou, au contraire, avez-vous ressenti de la détresse plus tard ? Il est même possible que vous ayez été, comme certains sujets de l’étude, en proie à une période prolongée de désarroi.

Des chercheurs québécois, le Dr Nicolas Bergeron et le Pr Steve Geoffrion, ont découvert que les réactions des travailleurs du milieu de la santé pouvaient emprunter quatre trajectoires. Ils ont suivi, dans le cadre d’une étude, 373 personnes du Centre hospitalier de l'Université de Mont­réal (CHUM), du CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal et du CIUSSS de la Capitale-Nationale.

Du 8 mai au 4 septembre 2020, c’est-à-dire au cœur et à la fin de la première vague de COVID-19, les participants devaient répondre à un questionnaire qui permettait de déter­­miner leur degré d’anxiété, de dépression et de stress post-traumatique. Les chercheurs tentaient de connaître l’évolution chez eux de la détresse psychologique, qu’ils définissaient par la présence, à un degré élevé, de l’un des trois troubles. Chaque semaine, en moyenne, 150 personnes faisaient l’exercice à l’aide d’une application mobile (encadré, p. 11).

Comment les travailleurs du milieu de la santé ont-ils donc fait face à la première crise ?

Dr Bergeron

Les résilients

La plupart des participants, soit les deux tiers, appartenaient au groupe des résilients. « Ces personnes n'ont jamais dépassé les seuils cliniques de dépression, d’anxiété ou de stress post-traumatique, contrairement aux autres groupes », explique Steve Geoffrion, professeur à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal. Ces travailleurs ont ainsi fait preuve de résilience devant la multitude de difficultés qu’ils ont vécues pendant et après la première vague.

Les rétablis

Les rétablis représentaient environ un participant sur cinq. Ces travailleurs ont d’abord ressenti une certaine détresse liée à la pandémie, puis ont retrouvé leur équilibre. Ainsi, en mai, leur degré d’anxiété, de dépression ou de stress post-traumatique était élevé, mais a rapidement baissé en juin. « Ils se sont adaptés », a expliqué le Pr Geoffrion au cours d’une conférence présentée au CHUM dans laquelle il dévoilait avec son collègue les résultats de l’étude.

Les travailleurs à la réaction différée

Troisième groupe : ceux qui ont réagi après coup. Ils constituaient moins de 10 % des participants. Leur degré d’anxiété, de dépression ou de stress post-traumatique, qui est longtemps resté normal, a monté en flèche en août. « On imagine que l'accumulation de stress, l'exposition au virus et la fatigue ont joué et fini par faire passer la détresse au-dessus du seuil clinique », a indiqué le Pr Geoffrion au cours de sa conférence. À la fin de l’étude, ces travailleurs éprouvaient ainsi une détresse psychologique.

Les travailleurs aux périodes de détresse soutenue

Pour finir, moins de 10 % des participants ont ressenti une détresse soutenue pendant plusieurs semaines. Leur degré d’anxiété, de dépression ou de stress post-traumatique a commencé à grimper en mai et n’est redescendu qu’en août. « Des quatre courbes, c’est peut-être la plus préoccupante, estime le chercheur. La période de détresse y est beaucoup plus longue. Plus on vit un stress de façon répétée, plus on devient fatigué. Il est possible que ces travailleurs soient plus vulnérables à la deuxième vague », indique le chercheur, qui a soumis ses résultats à un journal scientifique.

Le Dr Nicolas Bergeron, psychiatre au CHUM, est lui aussi inquiet pour ces participants. « Leur courbe est celle qui présente le moins de périodes de récupération. Il peut s’agir de gens qui avaient déjà des difficultés personnelles et qui sont peut-être entrés dans la pandémie avec une certaine fragilité. »

Une bonne qualité de vie

Quel est le tableau global pour l’ensemble de ces travailleurs ? « La détresse psychologique était assez répandue. Au début de juin, environ 35 % des sujets ressentaient l’un des trois troubles mesurés. Cette détresse s'est maintenue pendant quelques semaines entre le début mai et la mi-juin, puis a diminué », mentionne le Pr Geoffrion.

Le bilan est cependant positif. « Quatre-vingt-cinq pour cent des personnes se sont très bien adaptées », précise le chercheur. La majorité appartenait ainsi à la catégorie des résilients ou des rétablis, qui n’ont connu qu’une détresse temporaire.

« Quatre-vingt-cinq pour cent des travailleurs du milieu de la santé se sont très bien adaptés à la première vague de la pandémie. » – Pr Steve Geoffrion

D’ailleurs, les participants ont évalué leur qualité de vie personnelle à environ 7 sur 10 et leur qualité de vie professionnelle à quelque 6 sur 10. « Même s’ils se trouvaient un peu plus déprimés, anxieux ou irritables, ils continuaient à apprécier leur travail et à avoir une vie agréable à la maison. Ils étaient capables de gérer leurs réactions qui étaient transitoires. Si elles avaient été chroniques et avaient vraiment affecté leur fonctionnement, on l’aurait vu dans l’un des indicateurs de la qualité de vie. »

L’application mobile utilisée dans l’étude a cependant pu servir d'outil de prévention pour les participants. « Dans le monde, les grandes institutions, comme le National Institute for Clinical Excellence, ont comme seule recommandation de faire le suivi actif des réactions pendant le premier mois d’une crise. Il faut prendre le temps de constater son état. Sinon, on est déjà épuisé quand on va chercher de l'aide. Le but est de prévenir la détresse et de mettre en action des autosoins ou d’aller chercher de l'aide si les difficultés durent trop longtemps », affirme le professeur.

Soins psychologiques de base

Au cours d’une tempête comme la pandémie, à quels autosoins peut-on recourir ? « Dans un contexte de crise, il y a cinq éléments sur lesquels il faut se concentrer. C’est ce qui forme l’approche des premiers soins psychologiques », explique le Pr Geoffrion, également codirecteur du Centre d’étude sur le trauma de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal. Ainsi, il faut :

h retrouver un sentiment de sécurité
On doit se centrer sur ses besoins et ses préoccupations et aller chercher lorsque c'est nécessaire un réconfort physique et émotionnel.
h trouver chaque jour des périodes de calme
« Il faut avoir des moments pour s’apaiser et faire diminuer la réponse de stress », conseille le chercheur.
h être connecté aux autres
« Un des meilleurs facteurs de protection est d'être connecté aux autres. On peut aller parler avec des proches ou se promener avec eux, tout en respectant les mesures sanitaires. Ces gestes peuvent faire une grande différence. »
h avoir un sentiment d'efficacité
« Quand on se rend compte que l’on ne va pas bien, il est important de se demander : “Y a-t-il eu un domaine dans lequel je me suis trouvé efficace aujourd'hui ?”. » Pendant la pandémie, le Pr Geoffrion, pour sa part, s’est remis à jouer à des jeux vidéo de son enfance. « Comme ça, si j'ai une journée difficile, au moins le soir, pendant un petit moment, j’ai une activité dans laquelle je me suis toujours trouvé bon », dit-il à la blague.
h garder espoir
« Il faut nourrir l'espoir en se disant que la pandémie est transitoire et que l’on est capable de s’adapter », recommande le chercheur. Il faut aussi être à l’affût des bonnes nouvelles. « Les études montrent que plus on est exposé à de mauvaises nouvelles, plus on devient anxieux. Les bonnes nouvelles ont l’effet contraire. »

Quand il faut plus

Mais que faire quand on a besoin de plus que des soins psychologiques de base ? Qu’en est-il quand on fait partie des travailleurs qui ressentent une détresse qui perdure ou qui se retrouvent en désarroi après la crise ?

« Quand on se rend compte que l'intensité des symptômes se maintient ou augmente pendant une période de deux à quatre semaines, il est temps d'aller chercher de l'aide », affirme le Pr Geoffrion. Il existe plusieurs solutions, assure de son côté le Dr Bergeron :

h La consultation avec un professionnel
« L’option du soutien psychosocial spécialisé direct est très préconisée, mais plutôt boudée. C’est la consultation avec un spécialiste en santé mentale, par exemple par l'entre­mise du Programme d'aide aux médecins du Québec. Dans les établissements, des psy­­cho­­logues ou des travailleurs so­ciaux offrent également un soutien psychologique », mentionne le psychiatre.
h Le soutien des pairs
« La forme d’aide la plus proche du travailleur est le soutien des pairs. De façon informelle dans les corridors ou de manière plus structurée, au cours des réunions d'équipe, on peut discuter des difficultés, des expériences ou des facteurs perturbateurs. On se soutient par une approche compassionnelle, d'auto-efficacité d'équipe, de cohésion de groupe. On peut aussi exprimer de la reconnaissance et dégager un sens à l’expérience », affirme le Dr Bergeron, également professeur adjoint de clinique à l’Université de Montréal.
h Une pause dans un havre de paix
« Il y a des mesures indirectes, que je qualifierais d’environnementales, qui permettent, par exemple, d’aménager des horaires, d'offrir des temps de repos ou d’avoir des endroits calmes où l’on peut se déposer. Des établissements l’ont fait dans certains milieux », affirme le spécialiste.
Ces lieux sont ce qu’on appelle en anglais des « safe spaces », précise le Pr Geoffrion. « Dans les moments de crise, les employés peuvent y aller pour se reposer et se réconforter, par exemple, en y prenant une tisane ou un chocolat chaud. Ils sont protégés. Leur cerveau n'est ainsi pas tout le temps stimulé ou interpellé par ce qui se passe. C’est une mesure efficace. »

« Satisfaction de compassion »

Il existe par ailleurs des facteurs de protection auxquels on peut recourir. La « satisfaction de compassion » en est un particulièrement efficace. Les professionnels de la santé l’expérimentent quand ils ont le sentiment de bien faire leur travail, apprécient leurs relations avec leurs collègues ou sentent que leur apport a une valeur sociale1.

« En Espagne, au cœur de la crise de COVID-19, une étude a été faite sur 506 infirmières et médecins1. Sans surprise, ils affichaient un taux d'épuisement professionnel et de fatigue de compassion allant de modéré à élevé. Cependant, leur satisfaction de compassion était importante. Il y avait une corrélation inverse très forte entre ce facteur et l’épuisement », a expliqué le Dr Bergeron au cours de sa conférence au CHUM.

La satisfaction de compassion serait un élément clé. « Ce qui est intéressant dans l’étude espagnole, c'est de voir que même si les soignants peuvent être épuisés et en détresse, la satisfaction personnelle, le sentiment d'appartenance à une profession, le fait de sentir qu'ils aident les gens, l’importance de leur profession pour eux les protègent. Ainsi, même si on ne peut pas réduire la courbe de l'épuisement professionnel ou de la fatigue de compassion, on peut au moins accroître celle de la satisfaction liée à son travail », mentionne le psychiatre.

Souvent, c’est par ailleurs de l’environnement que jaillit la satisfaction de compassion. « L'équipe médicale joue un rôle important, tout comme la reconnaissance des patients et l’hommage que la société peut rendre à notre travail. On a appelé les professionnels de la santé “nos héros” », rappelle le Dr Bergeron.

« On peut accueillir la détresse psychologique. Elle n'est pas synonyme de maladie mentale grave. » – Dr Nicolas Bergeron

Idéation suicidaire

Au cœur des crises, il y a souvent des victimes. Des personnes plus vulnérables qui s’en sortent moins bien. Le Dr Bergeron et le Pr Geoffrion ont observé qu’au plus fort de la première vague, près de quatre sujets avaient une idéation suicidaire plus de la moitié des jours de la semaine.

Mais ce n’était qu’une partie des participants vulnérables. « Il y avait aussi ceux qui ont eu quelques pensées suicidaires dans la semaine. La personne qui en a eu une ou deux hebdomadairement n'était pas incluse dans notre analyse », précise le Pr Geoffrion.

L’application a toutefois permis d’intervenir auprès de ces travailleurs en détresse. « Tout de suite après avoir rempli le questionnaire, les personnes qui indiquaient avoir des idées suicidaires recevaient une notification. Selon notre protocole de recherche, si une idéation suicidaire importante se poursuivait, on pouvait leur envoyer un courriel et les diriger personnellement vers des services de crise », dit le chercheur.

Il s’agit d’une approche non intrusive et proactive, souligne le Dr Bergeron. « Si le participant a une perception d'impasse et que ses idées suicidaires sont seulement passagères, il peut retrouver son équilibre. Mais si son état est plus grave, on va essayer de mobiliser des ressources autour de lui sans créer de panique. On peut ainsi effectuer une intervention précoce. Cette manière de procéder peut vraiment être intéressante. »

Étude sur la deuxième vague

Le projet de recherche se poursuit et s’intéresse maintenant à la deuxième vague de la pandémie. D’autres CISSS et CIUSSS se sont ajoutés aux trois premiers : ceux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, de l’Estrie-CHUS, de Laval, des Îles-de-la-Madeleine et de la Montérégie-Ouest. L’étude porte ainsi sur des travailleurs de huit centres.

Environ 200 personnes remplissent maintenant le questionnaire hebdomadairement. « On demande aux gens de participer pendant douze semaines consécutives. Depuis le 1er mai, on a eu plus de 850 sujets », affirme le Pr Geoffrion. Les chercheurs ont ainsi accumulé jusqu’à présent les données d’une quarantaine de semaines.

L’étude et son application sont par ailleurs des manières d’apprivoiser les symptômes de dépression, d’anxiété ou de stress post-traumatique. « On peut accueillir la détresse psychologique. Elle n'est pas synonyme de maladie mentale grave. On peut aussi s’inviter les uns les autres à se soutenir devant cet ennemi qu’est l'adversité et qui a des répercussions sur la santé mentale », conseille le Dr Bergeron. //

Encadré

Une application mobile pour déceler la détresse psychologique



En quoi consistait l’application mobile d’autosurveillance des symptômes de détresse utilisée dans l’étude ? S’adressant aux travailleurs de la santé, mais aussi aux gestionnaires et au personnel de soutien des CIUSSS, cet outil était constitué d’un questionnaire qui prenait de cinq à dix minutes à remplir.

L’application mesurait le degré d’anxiété généralisée et de dépression et détectait la présence de symptômes de stress post-traumatique à l'aide de trois échelles : le Generalized Anxiety Disorder–7 éléments (GAD-7), le Patient Health Questionnaire–9 éléments (PHQ-9) et le PTSD Checklist for DSM-5–8 éléments (PCL-5). L’outil recueillait également des données sur des éléments comme la qualité de vie, le soutien dans le milieu de travail, la peur de contracter de virus, le degré de stress au travail et la survenue de décès liés à la COVID-19.

L’application avait une double mission : la recherche et la prévention. D’un côté, elle permettait de recueillir des données dans le cadre de l’étude, mais de l’autre elle était, pour l’utilisateur, un outil préventif en santé mentale. « On partait de l'idée que les travailleurs de la santé ne s’arrêtent pas pour prendre conscience de leur état psychologique. Ils sont dans l'action. On voulait donc les inciter à faire une pause pour connaître leur état », dit le Pr Geoffrion. Déjà pour le chercheur, il s’agissait d’une intervention.

L’application mobile allait cependant plus loin. « Quand cet outil détectait des seuils cliniques qu'on avait prédéterminés à partir des données scientifiques, il envoyait à l’utilisateur une notification lui indiquant qu’il présentait un peu d'anxiété ou de dépression cette semaine. Il lui donnait ensuite les numéros de téléphone des ressources d'aide dans sa région », précise le professeur.

Bibliographie

1. Ruiz-Fernández MD, Ramos-Pichardo JD, Ibáñez-Masero O et coll. Compassion fatigue, burnout, compassion satisfaction and perceived stress in healthcare professionals during the COVID-19 health crisis in Spain. J Clin Nurs 2020 ; 29 (21-22) : 4321-4330. DOI : 10.1111/jocn.15469.