Nouvelles syndicales et professionnelles

Au-delà de la clinique il était une fois des médecins qui écrivaient des livres

Nathalie Vallerand  |  2021-07-28

Entre la médecine et l’écriture, leur cœur balance. Portraits de six médecins de famille qui font aussi carrière comme écrivain.

Dr Jean Désy

Avec quarante-six livres à son actif, le Dr Jean Désy est un auteur prolifique. Mais son œuvre n’aurait pas cette ampleur s’il n’exerçait pas dans le Grand Nord, dit-il. « C’est là où mon âme vole. Dans cet endroit, j’ai davantage le sentiment d’exister que partout ailleurs. Là, je peux jumeler aventure, rencontre avec les Inuits, médecine et écriture. »

Le coureur de froid, Au nord de nos vies, L’esprit du Nord, Chez les ours, Ô Nord, mon amour… L’omnipraticien a mis en scène la nordicité dans des recueils de poésie, des romans et des essais, et même dans un album pour enfants (Tuktu). Son dernier livre, Non je ne mourrai pas, est un conte-poème où un homme, blessé et seul dans l’immensité blanche de la toundra, lutte pour sa survie, tout en se livrant à un monologue intérieur sur la vie, l’amour et la mort.

Depuis 25 ans, le Dr Désy exerce exclusivement comme médecin dépanneur, souvent auprès des communautés cries et inuites. Auparavant, il a notamment travaillé dix ans dans un hôpital de Québec, le temps de faire un doctorat en littérature et une maîtrise en philosophie. « C’est la période où j’ai été le plus sédentaire, mais je faisais tout de même du dépannage dans le Grand Nord », précise-t-il.

Le dépannage colle à la personnalité de celui qui se décrit comme un nomade et un aventurier. En plus de lui permettre d’aller dans le Nord, ce type de pratique lui laisse en effet du temps pour écrire et pour voyager. Il a notamment traversé l’Atlantique en voilier et travaillé quelques mois comme médecin auprès des Maoris en Nouvelle-Zélande.

Si le Nord est pour lui une source d’inspiration, la médecine l’est aussi. Par exemple, son ouvrage Être et n’être pas offre une chronique de ses dépannages à Salluit et à Puvirnituq dans laquelle il partage ses réflexions sur « l’épidémie de suicides » qui afflige la communauté inuite tandis que L’accoucheur en cuissardes est un recueil de nouvelles tirées de faits réels survenus pendant sa pratique. Le titre fait d’ailleurs allusion à cette fois où il a dû quitter une partie de pêche pour se rendre auprès d’une parturiente.

Ce livre audacieux, le Dr Jean Désy l’a écrit en pensant à ses étudiants : il enseigne la littérature et donne des cours cliniques à la Faculté de médecine de l’Université Laval. « J’y relate des situations où, à l’occasion, je me suis trompé. La médecine est un art autant qu’une science. Et l’art de soigner, ce n’est pas d’être parfait. C’est impossible d’être toujours certain de tout. Il faut le dire. » A-t-il un autre livre en chantier ? Oui, un roman dont le titre de travail est Le Prof

Un premier roman encensé par la critique

Paul Serge Forest

Paul Serge Forest (pseudonyme), médecin de famille, écrit depuis qu’il est enfant. « J’ai toujours eu des histoires dans la tête. Et j’ai autant voulu devenir écrivain que médecin. » C’est maintenant chose faite et de brillante façon : il a remporté le prix littéraire Robert-Cliche pour son roman Tout est ori, publié en mars dernier.

Pourquoi un pseudonyme ? Pour garder ses deux carrières distinctes. « Je pense que ce n’est ni nécessaire ni thérapeutique pour mes patients de faire entrer la dimension littéraire dans notre relation, explique l’omnipraticien de 36 ans qui exerce à Montréal. De plus, cela me procure une certaine liberté puisque je n’ai pas à me demander ce que mes patients vont penser de ce que j’écris. »

Il a peut-être raison, car Tout est ori est une œuvre à la fois audacieuse, touffue, déjantée, truculente, drôle et savante. Bref, inclassable. Un qualificatif qui fait plaisir à Paul Serge Forest, qui a mis quatre ans à la rédiger. « Un roman qui n’entre pas dans une case, c’est exactement ce que j’ai voulu faire. » Le livre a reçu un accueil enthousiaste de la critique. Annabelle Moreau, rédactrice en chef de la revue Lettres québécoises, a même écrit qu’il s’agissait « d’un incontournable de la littérature québécoise ».

Difficile de résumer l’histoire, mais disons qu’elle met en scène une famille de transformateurs de fruits de mer dont les plans d’expansion dérapent après l’arrivée d’un mystérieux Japonais. Il s’avère que ce dernier a conçu l’ori, une invention qui déclenche des phénomènes étranges et qui est susceptible de changer le cours de l’humanité.

Où Paul Serge Forest puise-t-il son inspiration ? « Ce que j’écris est le résultat de mon imagination débordante, même si, comme plusieurs écrivains, je suis inspiré par des faits autobiographiques. Par exemple, je suis originaire de la Côte-Nord et j’ai travaillé à l’adolescence dans une usine de fruits de mer. »

Il ajoute que l’exercice de la médecine l’aide à donner de l’épaisseur à ses personnages. « Comme médecin, je dois non seulement être sensible à l’histoire de mes patients, mais aussi les aider à la raconter. Avec l’écriture, il y a un peu le même mouvement de l’esprit : j’aide mes personnages à raconter leur histoire. »

Avant Tout est ori, Paul Serge Forest a écrit deux autres romans pour lesquels il n’a pas trouvé d’éditeur. Le prix Robert-Cliche, pour lequel des auteurs soumettent un manuscrit de manière anonyme, lui a permis de publier son roman et de lancer sa carrière d’écrivain. Pas question toutefois de délaisser la médecine. « Avec mes patients, il y a des moments magiques. Ça me nourrit en tant qu’être humain. »

Un rêve d’enfance devenu réalité

Dre Nicole Audet

Lorsqu’elle était enfant, la Dre Nicole Audet aimait beaucoup lire et aller à la bibliothèque. Un jour, elle a demandé au bibliothécaire comment faire pour écrire des livres. C’est toutefois en lisant les Contes du Dr Jacques Ferron que ses aspirations se sont précisées, dit celle qui exerce à la Clinique pédiatrique Agoo, à Laval. « J’ai tellement aimé cette œuvre que j’ai annoncé à mon père que je serais médecin et écrivaine ! », se souvient-elle.

La Dre Audet a publié quelque 17 livres, dont la plupart ont été traduits. Elle a aussi collaboré à la rédaction de l’ouvrage Épidémiologie appliquée : une initiation à la lecture critique de la littérature en sciences de la santé. Elle a signé plusieurs albums jeunesse, notamment la série Félix et Boubou, sur les maladies et le corps humain. Mettant en scène un sympathique petit garçon et ses instruments magiques, cette série de huit titres aborde des thèmes tels que les poux, la varicelle, les otites, les allergies, etc.

« Je trouvais que ces livres comblaient un manque, car il y en a peu sur la santé pour les jeunes enfants, dit la médecin de famille. Et puis, je suis passionnée par la vulgarisation de la médecine et par la pédagogie. J’ai d’ailleurs fait une maîtrise en pédagogie des sciences de la santé. »

À propos de vulgarisation, la Dre Audet est aussi l’auteure de Votre guide Santé Info qui traite des symptômes et des traumatismes les plus courants. Pour la petite histoire, ce livre a vu le jour en 2012 à la suite d’une visite… chez la coiffeuse ! « J’ai dit à ma coiffeuse que je cherchais un éditeur pour mes livres pour enfants, et elle m’a répondu que j’étais assise à côté d’une éditrice, relate l’omnipraticienne. C’était Nicole Saint-Jean, la présidente de Guy Saint-Jean Éditeur. Elle cherchait un médecin pour écrire un guide pratique sur la santé. C’est ainsi que je me suis retrouvée à travailler plus de deux ans à ce projet. »

Depuis, la Dre Nicole Audet a fondé les Éditions Dre Nicole et vend ses livres sur son site Internet et sur Amazon. Elle a lancé un premier ouvrage, en 2019, intitulé La magie de l’empathie. « Au cours de mes quarante années de pratique, j’ai été témoin de plusieurs belles histoires où l’empathie a amélioré les choses. »

L’avenir ? « J’aimerais ajouter d’autres titres à ma série Félix et Boubou, par exemple sur les coups de soleil et l’autisme. Il n’y a encore rien de concret, mais je vais continuer à écrire. »

Un pont entre l’omnipraticienne et l’écrivaine

Dre Vania Jimenez

Pour la Dre Vania Jimenez, écrire est un besoin. « Si je n’écrivais pas, je ne pourrais pas faire tout ce que je fais comme médecin. L’écriture agit un peu comme l’huile dans le moteur. Elle me permet d’être plus présente pour mes patients et mes collègues. »

Mais si l’écrivaine nourrit la clinicienne, l’inverse est vrai également. « Il y a un pont entre mes deux rôles », dit la médecin de famille en paraphrasant le dernier de ses quatre romans, Un pont entre nos vérités, publié en juin dernier. Son expérience de soignante est en effet une grande source d’inspiration pour elle.

Ainsi, son premier livre, Le Seigneur de l’oreille, abordait un thème qui lui est cher : la communication avec le patient dans le respect de sa culture. La Dre Jimenez exerce depuis trente ans dans un milieu multiculturel : le CLSC Côte-des-Neiges. Et comme le personnage principal de ce roman, elle a fait de l’obstétrique et a perdu un enfant à la naissance. Dans Je suis une pierre brûlante, l’héroïne, médecin, va soigner les Inuits dans le Grand Nord et crée une maison des naissances. Dans la vraie vie, la Dre Jimenez a fait du dépannage dans le Nord. Elle a aussi cofondé les centres de périnatalité sociale La Maison Bleue.

« Ma trajectoire personnelle et professionnelle colore tout ce que j’écris », acquiesce celle qui a déjà profité de ses gardes en obstétrique pour écrire « en attendant que le bébé se pointe ». Dans Un pont entre nos vérités, une saga familiale de 696 pages, elle va encore plus loin. Le personnage principal, Marie-Louise, est son alter ego : elle est née en Égypte de parents arméniens, elle a immigré au Québec, elle est médecin, elle a sept enfants…

Pour ce livre qu’elle a mis sept ans à écrire, la romancière a plongé dans ses souvenirs. « J’ai des boîtes pleines de correspondance, de notes, de nouvelles jamais publiées, de textes où je raconte des anecdotes familiales. Mon roman est la mise en forme de tous ces fragments où vérité et fiction s’entremêlent. »

Pour l’omnipraticienne, il y a un parallèle entre médecine et écriture. « Lorsque le courant passe avec un patient, qu’une connexion se crée, je ressens une sorte de plénitude. C’est la même chose lorsque j’écris et que l’histoire que je raconte vibre en moi. »

La Dre Jimenez a déjà en tête son prochain ouvrage. « Je pense à une histoire sur le lien entre l’immigration, le déracinement et la santé mentale », répond la clinicienne qui compte un demi-siècle de pratique.

Écrire des polars, une manière d’ausculter la société

Dr Jean Lemieux

Ces temps-ci, le Dr Jean Lemieux est en train d’écrire le septième opus des enquêtes de l’inspecteur André Surprenant, une série lancée en 2003. Et il s’amuse beaucoup. « J’aime jouer avec les lecteurs en semant de fausses pistes. Il y a une jouissance intellectuelle à créer la mécanique d’un polar. Et puis, ce genre littéraire permet d’explorer les zones trou­bles des humains et de décrire la société, un peu comme si je l’auscultais. »

Le Dr Lemieux, qui est maintenant à la retraite, a publié son premier livre en 1991, La lune rouge, un roman dont le personnage principal est un médecin. Écrire, c’était un rêve de jeunesse. « J’ai hésité un an entre les études en lettres et celles en médecine. J’ai finalement choisi la médecine pour gagner ma vie, mais aussi pour avoir une fenêtre sur le monde, une expérience de vie sur le terrain. Je voulais rencontrer des gens, les soigner, être témoin de moments de leur existence. »

L’omnipraticien a essentiellement exercé en établissement, d’abord à l’Hôpital de l’Archipel, aux Îles-de-la-Madeleine, puis à l’Institut universitaire de santé mentale de Québec. « J’ai concilié mes deux carrières pendant trente ans. Quand mes enfants étaient jeunes, j’écrivais lorsqu’ils dormaient. Je grappillais aussi une heure par-ci par-là lorsque j’étais de garde et que c’était tranquille. »

À ce jour, il a signé dix-huit ouvrages. Le plus populaire est un roman pour adolescents, Le Trésor de Brion, qui a été réédité plusieurs fois et s’est vendu à des dizaines de milliers d’exemplaires. Mais c’est pour ses polars de l’inspecteur Surprenant que l’écrivain est le plus connu. D’ailleurs, deux des livres de cette série ont remporté un prix d’excellence du Crime Writers of Canada tandis que les quatre autres ont été finalistes.

Quelle est l’influence de son expérience de médecin sur son œuvre littéraire ? « Le regard du médecin et celui de l’écrivain sont identiques, répond-il. Le médecin observe le patient devant lui, le questionne, fouille dans son passé, essaie de découvrir son problème. L’écrivain décrit son personnage, cherche ses motivations, lui imagine un passé, une famille, des épreuves. Le médecin en moi a nourri l’écrivain. »

En accrochant son stéthoscope, le Dr Jean Lemieux a ressenti le besoin de raconter son parcours en médecine, de ses études jusqu’à sa retraite en juillet 2018. Dans Une sentinelle sur le rempart, publié la même année, il témoigne de ce que c’est qu’être médecin : les gardes, les cas compliqués, les mauvaises nouvelles à annoncer, les tracasseries administratives, les drames humains, les belles histoires, etc. Un ouvrage dans lequel il partage aussi ses réflexions et ses critiques sur le système de santé.

Un devoir de mémoire

Dre Danielle Perreault

Témoigner. Rapporter l’indicible, l’horreur. Raconter aussi les histoires lumineuses, en dépit de la misère et des tragédies. C’est ce qui a motivé la Dre Danielle Perreault à écrire Soigner du nord au sud, le récit de ses missions humanitaires au Sud (Haïti, Guinée, Mali, Togo, etc.) et au Nord (Nunavik, Nunavut, Territoire cri), un livre paru en 2020.

« Je pense qu’il est important de sensibiliser les gens à la grande indigence qui sévit un peu partout sur la planète, dit celle qui est aussi l’auteure des livres La santé intime des femmes et Secrets d’hommes. On doit se rappeler que nous avons de la chance de vivre dans un pays où la qualité de vie est parmi les plus élevées au monde. C’est presque un devoir d’exprimer de la gratitude. »

La Dre Perreault, qui a été chroniqueuse pour différents médias, dont , TVA et RDI, a un parcours atypique. « J’ai fait le sacrifice de la prise en charge de patients pour partir en mission », dit-elle. Elle a donné des soins aux victimes du tremblement de terre de 2010 en Haïti, à celles du typhon Haiyan aux Philippines, aux malades de l’Ebola en Afrique, etc. Elle a effectué de multiples séjours dans le Grand Nord pour soigner les membres des communautés cries et inuites. Elle a vu des femmes affligées d’une fistule obstétricale en Afrique, les conséquences de l’histoire traumatique des Autochtones, des nourrissons mourir de pneumonie par manque de soins tertiaires, etc.

Malgré cela, elle a su, dans son livre, éviter de « sombrer dans le misérabilisme » pour plutôt « montrer la force des soignants locaux et la résilience des populations ». Très riche, son ouvrage retrace ses aventures avec moult détails, comme si on y était. « J’ai toujours écrit mon journal, dit-elle. Cela m’a aidée à retrouver les faits et mes états d’âme. »

Après avoir participé aux efforts contre la COVID-19 et en avoir été elle-même atteinte, la Dre Perreault exerce maintenant au GMF-U Andrée-Gagnon, à Saint-Jérôme, où elle supervise des résidents. « C’est génial, parce que je peux transmettre mes connaissances et voir ce qu’est une pratique médicale urbaine où on a tous les moyens pour soigner. » Mais l’omnipraticienne ne peut pas rester sédentaire longtemps. Cet été, elle retourne dans le Grand Nord, et elle songe déjà à repartir en mission.

Entre deux périples, elle espère trouver le temps de travailler à son prochain ouvrage. « J’ai 70 000 photos en banque. J’aimerais retrouver des gens qui figurent sur ces images et raconter leur histoire. » //