Questions... de bonne entente

Choisir sa date de départ à la retraite

Michel Desrosiers  |  2021-08-27

Quand doit-on prendre sa retraite pour maximiser ce qu’on retire de l’Entente ? Voilà une question fréquente dont nous avons déjà traité sommairement en janvier 2019 dans la chronique Enfin la facturation. Toutefois, de plus en plus de médecins indiquent qu’ils comptent faire un transfert en bloc de leur clientèle, ce qui risque de modifier la réponse. Comprenez-vous pourquoi ?

Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la FMOQ.

Vous avez décidé de prendre votre retraite par choix personnel, et non par obligation en raison d’un problème de santé ou de pressions du Collège des médecins ? Dommage pour le système de santé, mais tant mieux pour vous ! Malgré les nombreuses démarches qui vous attendent, l’effort en vaut la peine si on se fie aux commentaires des médecins à la retraite. Différents outils peuvent vous aider (voir les chroniques Question de bonne entente de septembre et d’octobre 2013). Toutefois, il peut être difficile de fixer une date de départ.

Différents facteurs peuvent influencer votre décision : le désir d’éviter l’hiver au Québec (retraite en décembre ou en janvier) ou de devoir payer une nouvelle cotisation au Collège des médecins (retraite le 1er avril). Un facteur important peut aussi être de tenter de maximiser les versements de l’Entente (retraite le 3 ou le 4 janvier si vous avez une clientèle inscrite). Toutefois, il ne faut pas oublier un autre élément, soit l’intérêt de la date choisie pour le ou les médecins qui pourraient vouloir prendre un bloc de votre clientèle. Voyons de quoi il en retourne.

La nature humaine fait en sorte qu’on cherche généralement à maximiser ses revenus. Pour le médecin qui ne fait pas de prise en charge, il n’y a pas de périodes particulièrement avantageuses pour partir à la retraite. Le renouvellement de certains frais annuels (cotisation au Collège et au CMDP d’un établissement) peut en inciter certains à le faire avant la date fatidique. Cependant, il s’agit généralement de sommes peu importantes. Les autres frais, tels que l’assurance responsabilité professionnelle ou la cotisation à la Fédération pour l’année de la retraite, sont calculés au prorata du temps travaillé. Ils ne constituent donc pas un incitatif à opter pour une date particulière. Pour le médecin qui paie un loyer, les conditions du bail peuvent avoir une très grande influence, mais on parle d’un autre genre « d’entente ».

Le médecin qui fait de la prise en charge reçoit différents versements périodiques qui peuvent entrer en ligne de compte dans l’établissement de la date de sa retraite, mais aussi dans le choix du médecin qui accepte le transfert de sa clientèle. Les différents forfaits lui seront octroyés (tant qu’il satisfait les conditions) après la date de sa retraite, même plusieurs mois plus tard. Le départ à la retraite n’annule donc pas le paiement des forfaits périodiques liés aux activités du médecin. Revoyons les différents forfaits.

Forfait annuel de responsabilité (pour les patients vulnérables)

Le forfait annuel de responsabilité pour les patients vulnérables est versé trimestriellement en fonction d’un calcul mensuel effectué par la RAMQ. Vous n’avez pas besoin d’être en exercice à la fin de l’année pour y avoir droit. Ainsi, si vous quittez fin juin, vous recevrez la moitié du montant annuel. Comme le paiement est proportionnel à la période d’activité, le choix de votre date de départ n’a pas un effet disproportionné.

Si vous comptez transférer votre clientèle au moment de votre retraite, n’oubliez pas de tenir compte de l’effet possible du choix de la date sur l’intérêt des autres médecins à prendre vos patients.

Forfait d’inscription générale

Le versement de ce forfait dépend de l’inscription du patient auprès d’un médecin au 31 décembre, le paiement se faisant au mois de juin suivant. Si le patient n’est pas inscrit auprès d’un médecin à la fin de l’année, personne ne reçoit le forfait pour ce patient. Ainsi, un médecin traitant qui part à la retraite en octobre ou en novembre n’y aura pas droit. Une façon simple de s’assurer de le recevoir est de prendre sa retraite en janvier. Toutefois, le transfert en bloc constitue une autre solution possible. Lorsque le patient est inscrit auprès d’un médecin à la fin décembre, mais qu’il y a eu changement de médecin durant l’année, la RAMQ répartit le paiement du forfait annuel entre les deux médecins en fonction de la durée relative d’inscription auprès de l’un et de l’autre. Par conséquent, en cas de transfert en bloc, le traitement du forfait devient comparable à celui du forfait annuel de vulnérabilité, du moins pour la clientèle transférée.

Forfait d’inscription ou forfait annuel en GMF

Ce forfait se facture lors de l’inscription du patient auprès du médecin inscripteur ou de sa première visite de suivi en GMF. Sa perception est largement proportionnelle aux activités du médecin, mais pas de façon aussi parfaite que pour les deux suppléments précédents, car un médecin peut toujours voir l’ensemble de ses patients dans ses six premiers mois d’activité.

Supplément à l’inscription générale (750–1000 patients inscrits, paragraphe 4.15)

Ce supplément, prévu au paragraphe 4.15 de l’Entente particulière sur la prise en charge et le suivi, est fonction du volume de patients inscrits (750-1000) auprès du médecin au 31 décembre. Un médecin qui prend sa retraite le 15 décembre ne recevra donc aucun supplément dans le cadre de cette mesure, même s’il avait plus de 1000 patients au moment de sa retraite. Il s’agit d’un paiement « tout ou rien ». Il est versé en entier pour l’année précédente si le médecin exerce encore au début de l’année suivante ou pas du tout s’il quitte ne serait-ce que quelques jours avant la fin de l’année. Par conséquent, le médecin qui part à la retraite le 3 ou le 4 janvier est avantagé par rapport à celui qui le fait le 20 décembre.

Si vous transférez votre clientèle à un médecin pendant l’année, la RAMQ va partager le paiement du forfait d’inscription générale entre vous deux en fonction de la durée relative d’inscription auprès de l’un et de l’autre, un avantage pour vous par rapport à simplement laisser votre clientèle en cours d’année.

Supplément selon le volume de patients inscrits (paragraphe 15)

Ce supplément, prévu au paragraphe 15 de l’Entente particulière sur la prise en charge et le suivi, est aussi fonction du volume de patients inscrits auprès du médecin au 31 décembre. Les modalités sont ainsi comparables à celles du supplément précédent. Toutefois, le paiement est calculé par patient après un certain seuil, et le montant par patient augmente graduellement par tranche successive. La relation entre le nombre de patients et la somme versée n’est donc pas linéaire, mais plus exponentielle. Pour avoir droit au plein montant, le médecin doit avoir un taux d’assiduité qui dépasse le seuil prévu (80 % présentement).

Vous aurez compris que l’enjeu quant au choix de la date de la retraite est surtout lié aux deux suppléments qui sont fonction du volume de patients inscrits.

L’autre élément à garder en tête est que le choix de la date n’a pas un effet symétrique. Ainsi, le gain d’un des médecins ne correspond pas nécessairement à la perte de l’autre. Selon la situation relative de chacun, la perte de quelques patients peut entraîner peu d’effets pour le médecin qui effectue un transfert, mais avoir des répercussions importantes pour celui qui prend les patients et vice versa. Voyons donc pourquoi !

Le médecin qui prend sa retraite

Le médecin qui part à la retraite ne peut tenir pour acquis que l’ensemble de sa clientèle trouvera preneur, quelle que soit la date qu’il choisit. La disponibilité des médecins qui peuvent accepter un bloc de clientèle peut varier dans le temps. Si le médecin qui part à la retraite n’arrive pas à transférer sa clientèle, il devra possiblement répondre à plus de demandes de copie de dossier ou faire le suivi des résultats de laboratoire de ses patients, ce qu’il n’aura pas à faire si un autre médecin assure la relève. Afin de maximiser ses chances de placer sa clientèle par transfert en bloc, il pourrait devoir tenir compte des contraintes de celui qui est intéressé par sa clientèle.

De plus, à partir du moment qu’un médecin n’inscrit plus de nouveaux patients, le nombre de patients inscrits va diminuer graduellement en raison des décès et des déménagements. Par ailleurs, une fois qu’un médecin annonce la date de son départ à la retraite, certains patients feront des démarches pour se trouver un nouveau médecin. Bref, le choix d’une date de retraite optimale pour le médecin qui quitte ne se traduira pas nécessairement par le montant attendu, la clientèle pouvant être moins nombreuse que projetée à la date du départ du médecin.

Si le médecin qui part compte près de 750 ou de 1000 pa­tients inscrits, la réduction de clientèle, sur laquelle il n’a pas de contrôle, peut faire en sorte que le supplément qui motivait le choix de la date ne se matérialise pas. Même si le nombre de patients est plus important, les répercussions d’une réduction sur le supplément du paragraphe 15 progressent d’autant plus rapidement que le nombre initial de patients inscrits est élevé. Sans nécessairement faire perdre au médecin l’ensemble du montant attendu, une baisse du nombre de patients inscrits peut donc avoir un effet disproportionné sur l’importance du supplément.

 

Encadré

 

Enfin, le médecin qui prend sa retraite ne gagne rien à avoir au moins 500 patients inscrits jusqu’au jour de son départ. Comme il sera généralement en exercice depuis plus de 35 ans, il conserve l’accès à la tarification bonifiée tant qu'ils comptent quelques patients inscrits à leur nom.

Le médecin qui prend le transfert de la clientèle

Pour un médecin qui commence à pratiquer, l’avantage d’avoir rapidement 500 patients inscrits peut ne présenter aucun intérêt, car il a accès à la tarification bonifiée durant sa première année s’il a pris l’engagement auprès du DRMG et de la RAMQ d’inscrire 500 patients dans sa première année. Néanmoins, s’il modifie sa pratique après sa première année pour accroître ses activités de prise en charge, il pourrait y trouver un intérêt certain. Si votre transfert lui fait passer la barre des 500 patients, il aura alors accès à la tarification bonifiée le jour même du transfert jusqu’à l’évaluation subséquente de la RAMQ.

Le médecin qui commence pourrait toutefois préférer accepter des blocs successifs de clientèle afin d’augmenter sa charge de travail progressivement de manière à ne pas avoir « trop » de patients. Un médecin peut prendre au plus 1000 patients par transfert en bloc, mais certains peuvent craindre d’être débordés avec un tel nombre, du moins au début. Par conséquent, le médecin qui part à la retraite pourrait devoir étaler le transfert de sa clientèle dans le temps pour respecter les contraintes de certains preneurs.

Et il ne faut pas oublier que plusieurs médecins partent à la retraite chaque année. Selon votre région, les jeunes médecins prêts à accepter des blocs de patients ont donc l’embarras du choix. Et c’est sans compter qu’ils pourraient aussi préférer la clientèle d’un médecin qui a informatisé l’ensemble de ses dossiers et qui utilise un dossier médical électronique plutôt que celui qui fonctionne encore avec des dossiers papier. Comme la gestion de tels dossiers impose des obligations à celui qui accepte le transfert, cet élément pourrait constituer un frein à la prise d’une clientèle.

Enfin, il ne faut pas oublier que le médecin qui pren­dra votre clientèle sait également compter et qu’il pourra voir un avantage à avoir plus de 750 ou 1000 patients à la fin de son année. À moins d’être dans ses quatre premières années de pratique, il pourra aussi trouver un avantage à étaler sur deux ans la prise de patients de façon à atteindre le maximum de 150 patients orphelins donnant droit au supplément sur deux ans et ainsi maximiser les montants reçus. Durant les quatre premières années, il n’y a pas de tel maximum annuel.

Bref, vous pouvez bien fixer une date pour votre retraite, mais vous pourriez par la suite devoir négocier les dates des transferts avec le ou les médecins intéressés par votre clientèle, ce qui pourra vous amener à modifier votre date. Les raisons qui motivaient votre choix pourraient ainsi être réduites par les transferts.

Afin de se faire une idée de l’évolution des incitatifs selon le nombre de patients inscrits, regardons quelques exemples (encadré). Les calculs ont été faits avec des chiffres ronds pour le nombre de patients inscrits par palier, ce qui n’affecte pas les chiffres de façon matérielle. Et dans le cas du supplément selon le volume de patients inscrits, nous avons présumé que le médecin atteint le seuil de taux d’assiduité requis.

On peut faire des exemples à l’infini, mais il est clair que plus le nombre de vos patients inscrits est faible, moins il est avantageux pour vous de repousser votre retraite jusqu’en janvier. En mettant fin à votre pratique à l’été ou à l’automne, vous pourriez d’autant plus facilement intéresser d’autres médecins à prendre votre clientèle. Vous réduirez ainsi le risque que votre clientèle doive se faire assigner un médecin par le GAMF et que vous deviez alors répondre à des demandes de copies de dossier ou que vous ayez à faire le suivi des rapports de laboratoire ou de consultation de vos anciens patients.

Bref, si le volume de votre clientèle est plus modeste, vos contraintes personnelles l’emporteront généralement sur les questions d’argent. Si votre clientèle est plus importante, le volet pécuniaire a son importance, mais n’oubliez pas que vous pourriez devoir gérer les rapports de labo et de consultation de votre ancienne clientèle au début de votre retraite. Si vous prenez votre retraite pour réduire la pression sur vos épaules de manière à profiter enfin d’un hiver de golf en Floride, soyez logique et ne soyez pas obnubilé par le volet pécuniaire.

Si le médecin qui part à la retraite a près de 750 patients inscrits, les avantages d’étirer le transfert jusqu’en janvier sont faibles et, selon l’évolution de la clientèle, peuvent très bien ne pas se matérialiser.

Alors, quelle date choisir ? Ça dépend des occasions qui se présentent, de votre situation personnelle, de votre capacité ou de votre intérêt à assurer les responsabilités de suivi de votre clientèle après votre départ à la retraite et de l’importance que vous attachez à optimiser le volet pécuniaire. Si des médecins sont prêts à prendre en bloc vos patients, il peut être avantageux de saisir l’occasion pour réduire progressivement votre clientèle grâce à des transferts successifs.

Ça vous éclaire ? À la prochaine ! //