Entrevues

Entrevue avec la présidente de l’association des Bois-Francs

un modèle stimulant de pratique

Élyanthe Nord  |  2022-03-30

Présidente de l’Association des médecins omnipraticiens des Bois-Francs, la Dre Esmeralda Elias Lopez expérimente dans son GMF, la Clinique médicale de Princeville, un modèle d’interdisciplinarité particulièrement intéressant.

M.Q. — Dans votre GMF, vous avez mis au point un modèle de pratique interdisciplinaire particulièrement stimulant. En quoi consiste-t-il ?

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E.E.L. – Nous sommes deux co-cheffes, la Dre Marie-Christine Fréchette et moi, dans un GMF de onze médecins ayant une clientèle de 18 000 patients. Nous nous sommes réorganisés pour être plus efficaces. Pour nous, ce qui était important, c’était que notre patient ait un bon accès aux soins. Nous avons donc misé sur une pratique interdisciplinaire. Actuellement, nous avons deux infirmières de GMF, bien que nous devrions en avoir trois. Nous travaillons également avec une nutritionniste, une inhalothérapeute à mi-temps, un pharmacien et deux travailleuses sociales à temps plein que nous a fournis notre CIUSSS, avec qui nous avons une bonne collaboration.

M.Q. — Qu’est-ce qui rend votre pratique si motivante ?

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E.E.L. – Ce sont les échanges avec les autres professionnels de la santé. Nous avons misé sur les nouvelles technologies. Nous disposons d’un logiciel de clavardage interne qui nous permet de nous parler entre professionnels. Par exemple, si je suis dans mon bureau avec un patient qui ne va pas bien et que je veux lui faire passer rapidement une spirométrie, j’envoie la demande à mon inhalothérapeute qui est à côté et qui peut le voir immédiatement. Cette manière de fonctionner permet un échange dynamique et nous rend beaucoup plus efficaces.
Comme médecin, on se pose parfois aussi des questions au sujet d’un cas. On se dit : “Avec tel patient, il me semble que je n’avance pas”. On peut alors aller voir notre pharmacien. Il y a une multitude de choses que l’on peut faire différemment en ayant accès à ces professionnels. Ils ont d’autres connaissances que nous et peuvent nous apporter beaucoup afin d’aider le patient. De les avoir auprès de nous, dans la même la clinique, change complètement la donne. La dynamique est beaucoup plus interactive.

M.Q. — Vous reproduisez la collaboration interprofessionnelle qu’il y a dans les hôpitaux ?

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E.E.L. – Tout à fait. Travailler directement avec d’autres professionnels de la santé nous permet d’obtenir une rétroaction sur les patients. Et si le professionnel a besoin de nous, on est là. Cette manière de fonctionner donne vraiment une interaction fantastique. Il arrive parfois qu’on envoie un patient en physiothérapie à l’hôpital, même si la liste d’attente est très longue, mais ce n’est pas le même lien avec le physiothérapeute.

M.Q. — Quels professionnels vous manque-t-il dans votre GMF ?

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E.E.L. – On aimerait avoir des psychologues. On a une difficulté énorme à avoir accès aux services de psychiatrie. On désirerait aussi avoir un physiothérapeute. Nous avons des patients sans assurance qui ont des problèmes musculosquelettiques. Moi, comme médecin, je suis la meilleure personne pour poser le diagnostic et prescrire un traitement médical, mais ensuite c’est le physio qui doit faire le reste.

M.Q. — Et qu’en est-il des infirmières ?

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E.E.L. – Sept des onze médecins du GMF travaillent avec une infirmière qu’ils ont engagée eux-mêmes. La présence de ces collaboratrices change la pratique, parce que l’on peut en faire davantage et être plus accessible pour nos patients. Cela rend également la pratique plus intéressante. On a une autre professionnelle avec qui échanger et l’on est deux à prendre en charge la clientèle. Pour moi, c’est le jour et la nuit. Je ne suis plus toute seule. On est une équipe. C’est moins lourd et, surtout, cela permet d’offrir un meilleur service aux patients.

M.Q. — Comment augmentez-vous l’accès des patients aux soins ?

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E.E.L. – Le patient a maintenant une équipe pour le soigner. Si, par exemple, son problème d’asthme se détériore, il peut appeler à la clinique et voir mon inhalothérapeute si cette dernière le connaît déjà et est libre. Si elle a besoin de me consulter, je suis disponible.
Nos infirmières GMF, elles, sont toutes en mesure de prendre en charge un patient dont la glycémie ou la pression artérielle ne va pas bien. Si elles le suivent déjà, ce n’est pas nécessaire que ce soit moi qui le voie d’emblée. On essaie ainsi de permettre aux patients d’avoir un meilleur accès non seulement au médecin, mais aussi à la clinique et aux autres professionnels de la santé.

M.Q. — Est-ce rentable d’engager une infirmière clinicienne ?

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E.E.L. – Oui, certainement. Et la présence de cette infirmière améliore la qualité de vie professionnelle. Avec la nouvelle génération de médecins, c’est un point important. Les jeunes omnipraticiens ont des valeurs peut-être différentes. On veut avoir du temps et trouver un équilibre de vie où le travail ne prend pas toute la place. Pour ne pas se sentir étouffés par le travail et les tâches médico-administratives, on doit donc trouver des solutions. Mais certaines ont un prix.

M.Q. — Vous accueillez des externes et des résidents dans votre GMF. Est-ce que votre modèle de pratique les intéresse ?

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E.E.L. – Oui, on voit qu’il est attrayant pour eux. Nos jeunes médecins veulent travailler en équipe et collaborer avec d’autres professionnels. Il faut être capable de leur montrer que ça se fait. Mais pour cela, il faut avoir tous ces professionnels, et c’est ce qui est le plus difficile actuellement.
Le modèle interdisciplinaire est par ailleurs sécurisant pour les nouveaux omnipraticiens. Même si l’on est très bien formés comme médecins, il y a bien des choses que l’on apprend avec l’expérience. Pour ces jeunes cliniciens, le fait de commencer dans un milieu où ils ont accès à tous ces professionnels qui peuvent les aider rend leur pratique non seulement plus stimulante, mais aussi plus rassurante.
Ce qu’on essaie également de montrer à ces jeunes, c’est qu’il y a moyen d’être plus efficace et de trouver du plaisir à exercer. On aime notre travail. On est des passionnés. Il faut donc s’organiser pour que notre pratique soit plaisante. La Dre Fréchette et moi essayons de voir comment on peut transmettre ce message autour de nous à partir de notre expérience.

M.Q. — Allez-vous proposer votre modèle à d’autres GMF ?

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E.E.L. – Oui. Nous aimerions l’enseigner à d’autres médecins, dans d’autres cliniques. Notre GMF fonctionne depuis un an, mais cela fait quatre ans que nous travaillons sur ce concept. Nous nous sommes dit que si nous voulions continuer à avoir du plaisir à exercer et augmenter l’accès de nos patients aux soins, nous ne pouvions pas simplement accroître notre nombre d’heures de travail. Nous avons donc décidé de trouver une structure pour nous réorganiser.
Par ailleurs, on ne peut pas porter tous seuls, comme omnipraticiens, le fardeau de la clientèle qui vieillit et qui est de plus en plus malade. Ces patients ont besoin de plus qu’un médecin ; il leur faut d’autres professionnels de la santé. Je pense que c’est un peu le plaidoyer qui a été présenté à la commission parlementaire sur le projet de loi 11. On doit trouver des solutions aux problèmes actuels. Et il y en a. Il faut seulement que le ministère de la Santé et des Services sociaux ait une écoute attentive concernant cette question et soit sensible aux besoins des médecins de famille sur le terrain. //