Nouvelles syndicales et professionnelles

Lutte contre la COVID-19

le prix payé pour les efforts et les combats

Nathalie Vallerand  |  2022-07-27

La COVID-19 s’est invitée dans la vie de la Dre Mélanie Lacasse en avril 2021. Et malheureusement, elle s’est incrustée. La médecin de famille de 45 ans, qui exerçait au CHSLD Vallée-de-la-Lièvre et au GMF de la Basse-Lièvre, à Gatineau, est aujourd’hui aux prises avec la redoutable COVID longue.

Dre Mélanie Lacasse

Le virus a frappé fort dès le début. « Je faisais de la tachycardie, j’avais des étourdissements et j’étais tellement essoufflée que j’arrivais à peine à faire quelques pas. Je dormais 20 heures par jour », se souvient la clinicienne. Malgré cela, elle a recommencé à pratiquer après seulement deux semaines de congé. « Je me disais qu’il fallait que je reprenne le dessus sur la maladie. »

Mais ça ne s’est pas passé comme elle l’espérait. « Plus j’essayais de pousser mon corps, moins ça fonctionnait. En juin 2021, je me suis retrouvée avec une myocardite, en plus de mes autres symptômes. » La Dre Lacasse a néanmoins continué d’exercer jusqu’en mars 2022 où elle n’a eu d’autre choix que de ranger son stéthoscope après s’être blessée en tombant. « Ce stress physique a grugé le peu d’énergie qu’il me restait. Plus rien n’allait », dit-elle, émotive.

Depuis, la médecin de famille se consacre à son rétablissement. Elle est suivie par l’équipe de la Dre Emilia Liana Falcone, directrice de la Clinique de recherche post- COVID-19 de l’Institut de recherches cliniques de Montréal, ainsi que par la cardiologue Thao Huynh qui dirige une étude sur la COVID de longue durée. Elle consulte aussi en ergothérapie, en physiothérapie et en psychologie. « Je veux mettre toutes les chances de mon côté. J’aimerais effectuer un retour progressif au travail prochainement. »

La Dre Lacasse est cependant consciente qu’elle devra adapter sa pratique. Selon les études, de nombreuses personnes atteintes de la COVID longue n’ont pas encore retrouvé la santé. « Je participais à divers comités et j’avais des tâches de gestion, notamment comme responsable du GMF. Je pense que je ne pourrai pas revenir à ce rythme. Je crains aussi ne plus être capable de suivre mes 1200 patients. » Et elle s’inquiète : « Je me demande comment je vais faire pour exercer au meilleur de moi-même si le Collège des médecins ne me permet pas de me délester d’un certain nombre de patients. »

Quel regard jette-t-elle sur la situation ? « Je me trouve chanceuse d’avoir eu une première dose de vaccin avant d’attraper la COVID. Je pense que cela m’a permis d’éviter une hospitalisation et peut-être même de mourir. Mais pour la COVID longue, j’ai vécu de la colère et un sentiment d’injustice. »

Maintenant, la Dre Mélanie Lacasse dit cheminer vers l’acceptation. Ce n’est toutefois pas facile. « J’ai beaucoup de deuils à faire : celui de ma vie d’avant, de la carrière que j’avais et, surtout, de la mère que j’étais pour mon fils de 13 ans. On jouait au basket ensemble, on faisait des batailles de sabre laser et toutes sortes d’activités. Je ne suis plus capable d’être cette mère-là. Et c’est ce qui me fait le plus mal. »

Une fin de carrière bouleversée

La Dre Patricia Michaud prévoyait d’exercer en soins palliatifs à domicile jusqu’à sa retraite dans quelques années. Mais la COVID-19 en a décidé autrement. « La pandémie a bousillé mes plans et m’a empêchée de faire ce que j’aimais le plus », déplore-t-elle.

Lorsque l’épidémie générale a été déclarée, l’omnipraticienne de Québec travaillait au service des soins palliatifs à domicile du CLSC Orléans-Beaupré ainsi qu’à l’unité de soins palliatifs de l’Hôpital de Sainte-Anne-de-Beaupré. Souffrant d’une maladie pulmonaire qui pourrait la rendre particulièrement vulnérable aux effets de la COVID-19, elle s’était entendue avec ses collègues pour être remplacée dès l’apparition d’un premier cas. « Même si c’était risqué, j’ai tout de même pu continuer ma pratique jusqu’en octobre 2020, moment où nous avons eu un premier patient atteint de la COVID. »

La Dre Michaud ne le réalisait pas encore, mais cette étape a signifié la fin de sa carrière en soins palliatifs. Voulant se rendre utile, elle a ensuite donné des soins en téléconsultation aux habitants de résidences pour personnes âgées qui avaient contracté la maladie. Puis elle s’est jointe à la Santé publique de la Capitale-Nationale comme médecin-conseil en maladies infectieuses, poste qu’elle occupe toujours aujourd’hui.

« L’année qui a suivi mon changement de pratique a été difficile, confie la médecin de 63 ans. Les soins palliatifs à domicile me manquaient. J’étais profondément déçue d’avoir dû abandonner un travail gratifiant qui permet de soulager des personnes en fin de vie. Ma déception était d’autant plus vive que j’avais contribué à structurer l’équipe médicale en soins palliatifs à domicile de la Côte-de-Beaupré. »

Heureusement, cette période n’est plus qu’un mauvais souvenir pour la Dre Patricia Michaud. « Je suis heureuse dans ce que je fais à la Santé publique. J’ai trouvé un champ d’intérêt qui me passionne. Si ce n’avait pas été le cas, j’aurais cessé de travailler. Mais maintenant, la retraite peut attendre ! »

« Des collègues se cachaient pour pleurer, et moi aussi »

Certains médecins ont été particulièrement touchés par leur travail dans une unité COVID. C’est le cas de la Dre Marie-Hélène Baron qui exerçait à l’Hôpital de Chicoutimi au début de la pandémie. Son expérience de cinq semaines auprès des patients atteints, lors de la deuxième vague, l’a laissée avec un trouble d’adaptation doublé d’un stress post-traumatique.

Médecin en soins palliatifs, elle était habituée à voir des patients mourir. Mais beaucoup de personnes admises à l’unité COVID avaient été contaminées à l’hôpital. Une situation difficile à accepter pour la clinicienne. « Je n’arrêtais pas de penser que c’était le fait d’être hospitalisées qui avait abrégé leurs jours », dit-elle. La Dre Baron était aussi profondément troublée par le nombre de patients qui mouraient quotidiennement ainsi que par les circonstances de ces décès. « Il y avait trois ou quatre décès par jour, tous les jours. Les premiers mois, les gens mouraient seuls. C’était tellement triste. Comme nous étions débordés, il pouvait s’écouler un certain temps avant que nous puissions faire les constats de décès. Des patients ont ainsi passé cinq ou six heures avec leur voisin de chambre décédé. »

Un incident a fortement secoué la clinicienne. Un jour, elle a été agressée verbalement par le fils d’un patient, qui n’acceptait pas la mort imminente de son père. « J’aurais eu besoin d’aller décanter, mais il y avait trop de malades à voir. J’ai donc continué à travailler même si j’étais ébranlée et épuisée. Et puis, il y a eu un autre décès, et j’ai oublié d’aviser la famille. L’infirmière qui m’accompagnait n’y a pas pensé non plus. Imaginez : je suis médecin en soins palliatifs et j’ai oublié d’appeler les proches d’un défunt. » Un an et demi plus tard, elle s’en veut encore.

Le manque de matériel contribuait également à la fatigue psychologique des soignants, selon l’omnipraticienne. « Nous n’avions pas de gants longs, nous n’avions pas le droit de porter le masque N95. Nous demandions du matériel simple, mais il n’y en avait pas. Tout était compliqué. Nous nous sentions impuissants. Des collègues se cachaient pour pleurer, et moi aussi. La possibilité d’instaurer des groupes de soutien entre pairs pour les médecins de l’unité COVID a été évoquée, mais ne s’est jamais concrétisée. »

Plus les jours passaient, plus la détresse de la médecin augmentait. « Je faisais des crises de larmes. J’étais anxieuse, irritable, hypervigilante. Quand j’allais à l’épicerie et que je voyais quelqu’un porter son masque sous le nez, j’avais des malaises physiques. » Elle s’est aussi mise à faire des cauchemars.

Environ un an après son expérience à l’unité COVID, la clinicienne est allée signer des dossiers aux archives de l’hôpital. « Quand j’ai constaté qu’il s’agissait de cas de COVID, j’ai eu une crise de panique. Je me croyais de retour à l’unité COVID. »

Malgré sa difficile expérience, elle ne regrette pas d’être allée au front. Elle regrette cependant de ne pas avoir écouté ses signaux de détresse. « J’ai maintenant compris que je suis la seule responsable de mon bien-être et que je ne peux plus me permettre d’en faire fi. »

Après son congé de maladie, elle aimerait contribuer à mettre en place une politique de bien-être pour les médecins de son CIUSSS. « Le Programme d’aide aux médecins du Québec est une excellente ressource, mais on pourrait éviter beaucoup de souffrance avec une approche préventive », estime la Dre Baron qui exerce maintenant à l’Hôpital de Jonquière.

« Le système n’a pas été à la hauteur »

Dre Danielle Perreault

Au cours de sa carrière, la Dre Danielle Perreault a multiplié les missions humanitaires dans les pays en développement. Elle n’a pas attrapé l’Ebola ni d’autres infections graves. Mais, au Québec, elle a contracté la COVID pendant qu’elle travaillait dans un CHSLD privé au sein de la brigade de prévention des infections de la Santé publique de Montréal.

« Comme la pandémie sévissait depuis huit mois, j’aurais voulu que le système déploie des mesures efficaces pour éviter de nouvelles infections parmi le personnel de la santé. Il est à souhaiter que le gouvernement examine les aspects qui ont mené aux ratés dans la gestion de la crise afin qu’on soit prêts la prochaine fois », affirme l’omnipraticienne qui pratique à Saint-Jérôme, au GMF-U Dre Andrée Gagnon.

Sur le plan personnel, la Dre Perreault a vécu de durs moments. Hospitalisée deux semaines en décembre 2020, elle a par la suite souffert d’une toux et d’un essoufflement pendant plusieurs semaines. Déconditionnée, elle avait peine à monter les escaliers de sa maison. Même sa santé mentale a été affectée. De plus, elle a perdu presque tous ses cheveux. « J’ai pensé à mes patientes qui perdaient les leurs lors d’une chimiothérapie et à qui je disais que ce n’était pas grave. Maintenant, ma perspective a changé. »

La Dre Perreault est aujourd’hui rétablie. Et même si elle pense que le système n’a pas été à la hauteur, elle considère que contracter la COVID fait partie des risques du métier. « Je suis toutefois soulagée de ne pas souffrir de la COVID longue. Je suis triste pour mes collègues qui en sont atteints, surtout que certains auraient pu l’éviter s’ils avaient été mieux protégés. »

Vivre dans le sous-sol pour protéger sa famille

Dr François Piuze

En avril 2020, l’hôpital en soins gériatriques et palliatifs Jeffery Hale, qui inclut un CHSLD, a été le premier établissement de la ville de Québec touché par une éclosion importante. La maladie a emporté 41 des 113 patients. Et pour la première fois de sa carrière, le Dr François Piuze, chef médical, a craint pour sa vie et pour celle des membres de sa famille. Un sentiment partagé par plusieurs de ses collègues.

« Les membres du personnel tombaient comme des mou­ches. La dernière chose qu’on voulait, c’était d’amener la COVID à la maison », se souvient l’omnipraticien qui se sentait mal protégé par le dérisoire masque d’intervention. Pour éviter d’infecter ses proches, il s’est installé dans le sous-sol de la résidence familiale. « J’ai dormi là plusieurs mois. En revenant du travail, je me dépêchais de prendre une douche afin de ne contaminer personne », dit le Dr Piuze, qui a six enfants et qui est nouvellement grand-père à seulement 50 ans. Mais s’il a échappé à la maladie au cours de de la première vague, il a été rattrapé par le virus en décembre 2020. « Dès les premiers symptômes, je me suis isolé dans la chambre, et c’est ma conjointe qui est allée dormir au sous-sol. »

Pendant cette période, le clinicien, qui était alors chef par intérim des unités de soins palliatifs et gériatriques du CIUSSS de la Capitale-Nationale, a enchaîné les réunions à partir de sa chambre. « J’étais notamment engagé dans la lutte pour élargir l’accès aux masques N95. »

Le Dr Piuze affirme n’avoir jamais connu un degré de stress aussi élevé ni avoir travaillé autant que pendant les deux premières années de la crise. Une moyenne de 70 à 80 heures par semaine. « Cette charge de travail, c’est le coût que ma famille et moi avons payé pour la COVID-19. Ma conjointe, particulièrement, a eu un lourd fardeau puisqu’elle s’est occupée presque seule de notre fille de 25 ans qui est autiste et qui a une déficience intellectuelle. Elle a même dû cesser de travailler comme professeure au cégep puisque les services pour personnes handicapées étaient fermés. »

Quelle leçon tire-t-il de son expérience ? « J’ai appris que plus une situation est difficile, plus il faut être solidaire pour l’affronter, répond le Dr François Piuze. La pandémie a ainsi soudé encore plus les équipes médicales. » Cependant, il ne peut s’empêcher d’être inquiet pour l’après-pandémie. « L’état des troupes dans le réseau est catastrophique. Il y a des pertes de personnel, d’expérience, d’expertise et de continuité. Il manque de professionnels dans tous les domaines. La plus grande séquelle de la pandémie, c’est qu’on a franchi le point de bascule en ce qui a trait à l’engagement du personnel. » //