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Problèmes et douleurs musculosquelettiques

un nouvel outil : la prolothérapie

Élyanthe Nord  |  2023-03-31

La prolothérapie, une technique nouvelle au Québec, pourrait être un outil de plus pour les médecins de famille qui traitent des patients souffrant de problèmes musculosquelettiques comme les tendinopathies ou l’arthrose.

DrGoulet

En 2018, le Dr Serge Goulet, médecin de famille, participe à un congrès sur l’échographie à Toronto. Omnipraticiens, anesthésistes, cliniciens spécialisés dans le sport et experts en douleur chronique canadiens et américains s’y côtoient. Il se rend alors compte que parmi les 25 médecins présents, tous pratiquent la prolothérapie, sauf un. Lui...

La prolothérapie est cette technique qui consiste à injecter de petites quantités d’une solution irritante dans les points douloureux des articulations, des tendons ou des ligaments qui ont subi une dégénérescence. Le but : stimuler la croissance des cellules et des tissus.

Le Dr Goulet voit rapidement les avantages du traitement. « J’avais des patients qui souffraient de douleurs chroniques et prenaient de nombreux médicaments. C’étaient des cas complexes pour lesquels je n’avais plus rien à offrir. Les infiltrations de cortisone ne fonctionnaient plus. Les blocs facettaires, les blocs foraminaux, les épidurales n’étaient pas non plus utiles. »

Le Dr Goulet a depuis suivi plusieurs ateliers. Il y a un an, il a soigné son premier patient par prolothérapie. Un homme de 62 ans au genou douloureux. « C’est une articulation très facile à traiter », explique le médecin. Le patient présentait de l’arthrose. « Sa douleur était invalidante, il ne répondait plus à la cortisone et ne pouvait être opéré. On n’avait rien à perdre. » Le résultat s’est révélé bénéfique. Maintenant, le Dr Goulet, qui pratique au GMF-U Charles-Le Moyne, à Saint-Lambert, effectue des traitements de prolothérapie toutes les semaines.

« Dans l’Ouest canadien, les médecins recourent à cette technique depuis trente ans. Au Québec, nous sommes des années en retard », affirme l’omnipraticien. Également professeur agrégé à l’Université de Sherbrooke, il donne par ailleurs, avec d’autres formateurs, des ateliers sur ce traitement pour la FMOQ.

Le renforcement des articulations

Au cours des vingt dernières années, un nombre croissant de médecins et de patients se sont intéressés à la prolothérapie, affirment la Dre Joanne Borg-Stein, de la Faculté de médecine de Harvard, et ses collègues dans une récente revue de littérature1. « Cela est dû en partie à une augmentation de la quantité et de la qualité des essais cliniques récents qui ont apporté des données solides appuyant le recours à la prolothérapie dans le traitement des douleurs musculosquelettiques chroniques », écrivent-ils. Dans les études que les auteurs ont analysées, ce traitement présentait en outre peu d’effets indésirables.

Comment agit la prolothérapie ? Cette technique, dont le nom vient de la fusion de « prolifération » et de « thérapie », produirait une faible inflammation grâce à l’injection d’une solution hyperosmolaire, généralement du dextrose de 10 % à 25 %. Cette réaction favoriserait la croissance cellulaire et la réparation du tissu conjonctif. La régénérescence serait également stimulée par l’action effractive de l’aiguille.

Sur le plan de l’articulation, la prolothérapie renforcerait et stabiliserait les différentes structures comme les ligaments, les tendons, les ménisques, la capsule articulaire, etc. « La prolothérapie ne régénère pas le cartilage, mais consolide l’articulation, ce qui permet de réduire les frottements, les mouvements internes et ainsi la douleur », précise le Dr Goulet. La prolothérapie pourrait par ailleurs également intervenir sur les récepteurs de la douleur.

Tendinopathies et arthrose

Pour quels problèmes la prolothérapie est-elle efficace ? « Selon les études, la prolothérapie a le plus de succès dans le traitement des tendinopathies – en particulier de l’épicondylite latérale – et de l’arthrose de la main et du genou », indiquent la Dre Borg-Stein et ses collaborateurs.

C’est ce qu’a constaté le Dr Goulet. « La plus belle utilisation de la prolothérapie réside dans le traitement de l’épicondylite latérale, le “tennis elbow”. Après un ou deux traitements, la réponse est vraiment intéressante. La prolothérapie, comme l’injection de plasma riche en plaquettes, est une technique de médecine régénérative, mais elle est beaucoup moins chère que cette dernière. »

Le clinicien recourt également beaucoup à la prolothérapie pour les genoux. « Je l’utilise pour toutes les douleurs d’arthrose non maîtrisées. On peut s’attendre à une bonne diminution de la douleur qui, dans certains cas, est assez impressionnante. » Parfois, sans être miraculeux, le résultat permet simplement au patient de garder son autonomie. Le Dr Goulet a ainsi soigné un homme qui avait été opéré dans un premier genou, mais ne pouvait l’être dans le second à cause de son état général. « Il était vraiment handicapé par la douleur. Après trois traitements de prolothérapie, il a eu une amélioration de 40 %. Il m’a dit : “Je peux maintenant monter et descendre de ma voiture, la conduire et faire mes commissions. Je n’en demande pas plus”. »

La prolothérapie est particulièrement utile en association avec d’autres méthodes. « Elle doit être employée avec des traitements reconnus comme la physiothérapie, l’exercice et l’ergothérapie », mentionne le clinicien. Elle peut aussi succéder à des infiltrations de cortisone. « Si le genou est très enflammé, la cortisone est indiquée. Mais parfois, le soulagement que cette dernière procure ne dure que deux semaines, et on ne peut injecter de la cortisone à l’infini. »

Mains, dos, hyperlaxité

La prolothérapie peut en outre être utile dans les cas d’arthrose de la main et des doigts. « On ne l’emploie pas assez pour ces régions », estime le Dr Goulet. On peut également avoir recours à cette technique pour l’épaule, le fascia plantaire et le tendon d’Achille.

Et pour les lombalgies ? « Le dos, c’est un autre niveau qui demande une formation avancée », affirme le médecin de famille. Lui-même a commencé à effectuer quelques traitements. « J’ai, dans ma clientèle, trois ou quatre cas désespérés. Les patients en étaient à l’étape de se faire installer des tiges et des vis dans le dos. Après seulement quelques séances, la réponse thérapeutique semble prometteuse. »

Toutefois, les études sur l’utilisation de la prolothérapie seule dans la lombalgie chronique sont abondantes, mais contradictoires, préviennent la Dre Borg-Stein et ses collègues. « Il y a cependant des preuves solides pour appuyer le recours à cette technique lorsqu’elle est associée à des traitements complémentaires. De plus, il existe des données prometteuses concernant son utilisation pour traiter les douleurs articulaires de la région sacro-iliaque », écrivent-ils.

La prolothérapie peut aussi être indiquée pour l’hyperlaxité des articulations. « La prolothérapie en tant que traitement de l’articulation temporo-mandibulaire a été largement étudiée et a donné des résultats impressionnants », reconnaissent les chercheurs.

Globalement, quelle est la qualité des données sur la prolothérapie ? Plusieurs études sont petites, soulignent la Dre Borg-Stein et ses collaborateurs. De plus, les protocoles et les concentrations de dextrose varient, et la prolothérapie est souvent utilisée en plus d’un autre traitement, ce qui peut limiter les conclusions sur son efficacité.

Prolothérapie et échographie

La prolothérapie nécessite généralement plusieurs séances espacées de quatre ou cinq semaines. Le Dr Goulet débute par deux ou trois traitements. « On continue ensuite tant que l’état des patients s’améliore. Quand il plafonne, on arrête. Si, par la suite, les gens en ont de nouveau besoin, ils reconsultent. »

Les bienfaits de la prolothérapie sembleraient permanents. « Toutefois, le traitement peut devoir être répété à cause de l’usure qui se poursuit », explique le Dr Goulet. Les résultats, par ailleurs, varient d’une personne à l’autre. « Ils dépendent de la manière dont les gens guérissent et réussissent à régénérer leurs ligaments. Probablement que pour des raisons génétiques, certains fabriquent du très bon collagène, mais d’autres en produisent du moins bon. »

Même si elle peut être effectuée sous échographie, la prolothérapie est souvent pratiquée à partir de la palpation, surtout pour des structures comme le genou ou le coude. « Il faut savoir quel est l’endroit douloureux. Est-ce l’attache du ligament ou tout le ligament ? Il faut appuyer avec le doigt, toucher. » De bonnes connaissances en anatomie sont d’ailleurs nécessaires. Pour les régions complexes, par contre, l’échographie est recommandée. « Pour le dos, je pense qu’elle est essentielle », estime le Dr Goulet.

Position du Collège des médecins

La prolothérapie n’est pas réellement une nouvelle technique. Elle a été mise au point par le Dr George Hackett, un chirurgien américain qui l’a décrite dans des articles scientifiques à la fin des années 1950. Au Canada, des organismes comme l’Association canadienne de la médecine orthopédique donnent des formations sur cette méthode depuis plusieurs années. Au Québec, c’est la FMOQ qui s’en charge depuis peu. « Nous allons bientôt avoir formé 75 médecins de famille », indique le Dr Goulet.

Que pense le Collège des médecins du Québec (CMQ) de ce traitement ? En 2013, il a demandé un avis à l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) qui a conclu que les données ne permettaient pas d’appuyer l’utilisation de la prolothérapie. Le CMQ s’était alors prononcé contre.

Récemment, toutefois, des médecins ont fait pression sur le Collège pour qu’il tienne compte de la littérature scientifique des dix dernières années. Celui-ci a donc demandé à l’INESSS une mise à jour de son rapport. « Nous attendrons les résultats de son analyse avant de nous prononcer sur cette technique », indique le CMQ. //

1. Hsu C, Vu K et Borg-Stein J. Prolotherapy: A narrative review of mechanisms, techniques, and protocols, and evidence for common musculoskeletal conditions. Phys Med Rehabil Clin N Am 2023 ; 34 (1) : 165-80. DOI : 10.1016/j.pmr.2022.08.011.