Un outil qui aide à rassurer les médecins de famille… et les patients
Afin de réduire le temps d’attente des patients pour l’accès à des soins spécialisés, le Collège québécois des médecins de famille (CQMF) propose une nouvelle solution : la plateforme eConsult.
Quand on compare les temps d’attente pour l’accès aux soins spécialisés, le Canada arrive bon dernier parmi les onze pays les plus industrialisés. Et le Québec ne fait guère mieux en s’accrochant au 6e rang du classement des provinces canadiennes. Une consultation en médecine spécialisée peut prendre plus de six mois pour la plupart des spécialités, voire même deux ans. Une situation peu reluisante que le CQMF souhaite améliorer avec l’aide de la toute nouvelle plateforme eConsult Québec.
Créé en 2010 par des médecins de l’Est ontarien, les Dres Clare Liddy et Erin Keely, ce concept se veut un mode de communication asynchrone entre fournisseurs de soins primaires et spécialisés sur une plateforme Web sécurisée. « Un peu comme une télé-expertise », explique la Dre Maxine Dumas-Pilon, présidente du comité directeur d’eConsult Québec. Cette dernière a découvert cette plateforme lors d’un colloque du Collège des médecins de famille du Canada en 2014. Conquise, elle l’a importée au Québec.
Utilisé depuis juillet 2017 en Outaouais (et depuis quelques mois en Abitibi-Témiscamingue et en Mauricie), cet outil favorise une communication rapide entre les médecins de famille et les médecins spécialistes, indique cette omnipraticienne qui travaille au Département de médecine de famille du Centre hospitalier de St. Mary, à Montréal.
Pour le moment, une centaine de médecins de famille répartis dans une dizaine de GMF et GMF-U participent au projet pilote. Ces derniers ont accès à plus de cinquante médecins spécialistes représentant près de vingt-cinq spécialités. « C’est un outil formidable que j’utilise au moins une ou deux fois par semaine », mentionne d’emblée la Dre Annabelle Lévesque-Chouinard, du GMF-U de Gatineau, l’une des cliniques inscrites au projet pilote. En Outaouais, ce sont une vingtaine de médecins spécialistes de seize spécialités qui ont adhéré au projet.
À quel moment la Dre Lévesque-Chouinard utilise-t-elle particulièrement cette plateforme ? Dès qu’un cas soulève de petites questions à ses yeux. « Il m’arrive régulièrement de voir un patient inquiet par l’apparition d’une nouvelle tache brune suspecte sur son corps. Auparavant, dans un tel cas, je recommandais systématiquement au patient de prendre rendez-vous avec un dermatologue. Grâce à eConsult, je n’ai qu’à photographier la tache et à téléverser la photo sur la plateforme en ajoutant une courte description. J’attends ensuite qu’un dermatologue me réponde pour m’indiquer s’il s’agit d’un cas bénin ou d’un cas où le patient doit absolument le consulter », souligne la Dre Lévesque-Chouinard.
Elle cite également l’exemple d’un rapport de radiologie qui soulève chez elle un questionnement. « Je n’ai qu’à le téléverser et j’obtiens ma réponse très rapidement. C’est merveilleux. Dire qu’il n’y a pas si longtemps, il fallait que je prenne le téléphone pour obtenir une réponse à mes questions. Grâce à la plateforme, je peux demander l’avis des médecins spécialistes sans avoir l’impression de les déranger », ajoute-t-elle.
Les médecins spécialistes participant au projet eConsult Québec ont sept jours pour répondre aux médecins de famille. « Jusqu’à maintenant, plus de 90 % des médecins que j’ai consultés m’ont répondu en moins de 24 heures », souligne, impressionnée, l’omnipraticienne de Gatineau. Selon la Dre Maxine Dumas-Pilon, les médecins spécialistes participants affichent en moyenne un temps de réponse de trois jours.
Cette plateforme aide à rassurer le médecin de famille sur son diagnostic, admet la Dre Lévesque-Chouinard, tout comme le patient. Ce dernier, dit-elle, n’a plus besoin d’attendre de six à douze mois pour obtenir un rendez-vous avec un médecin spécialiste afin d’avoir un diagnostic plus précis. « Et dans le cas où le médecin spécialiste juge que le patient doit être rencontré, il m’indique la façon de procéder pour qu’il soit vu en temps opportun », observe la Dre Lévesque-Chouinard.
« Cette plateforme permet non seulement d’optimiser l’accès aux médecins spécialistes, mais réduit aussi considérablement le nombre de rendez-vous non pertinents », insiste la Dre Dumas-Pilon. À ce propos, l’utilisation de la plateforme eConsult en Outaouais a permis, dans 53 % des cas, d’éviter une consultation auprès d’un médecin spécialiste. Dans 36 % des cas, la consultation en personne est cependant demeurée nécessaire, « mais l’information obtenue grâce à la plateforme a permis une visite plus efficace chez le spécialiste. L’omnipraticien, à la suggestion du médecin spécialiste, a pu faire faire quelques tests au patient avant son rendez-vous », soutient la présidente du comité directeur d’eConsult Québec.
Jusqu’à maintenant, les demandes des médecins de famille dans eConsult ont principalement été adressées à des gynécologues, à des dermatologues, à des psychiatres et à des internistes, indique la Dre Dumas-Pilon. En neuf mois, la plateforme a fait l’objet de plus de 120 consultations en Outaouais. Dans 67 % des cas, le médecin de famille a obtenu une information qui lui a permis de bonifier sa prise en charge. Une fois sur trois, l’information reçue a confirmé la marche à suivre qu’il avait déjà envisagée, souligne la Dre Maxine Dumas-Pilon.
La plateforme eConsult Québec est le fruit d’un partenariat entre plusieurs joueurs. Outre le CQMF, on trouve parmi les partenaires le Centre de coordination de la télésanté du Centre universitaire de santé McGill, le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de l’Outaouais, le CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue, le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la Mauricie-et-Centre-du-Québec ainsi que la Fondation canadienne pour l’amélioration des services de santé (FCASS). La plateforme eConsult Québec fait partie du projet collaboratif de médecine connectée de la FCASS, un organisme subventionnaire qui regroupe onze équipes à l’échelle du Canada. Le projet pilote se poursuivra jusqu’en décembre 2018. « Nous souhaitons que la plateforme soit un jour offerte à l’ensemble des médecins de famille de la province », soutient la Dre Dumas-Pilon.
« Pour que le modèle fonctionne, nous devons sélectionner des médecins spécialistes volontaires, compétents et généreux de leur temps », souligne la Dre Maxine Dumas-Pilon. La recette, dit-elle, consiste à repérer les « champions » dans les régions prêtes à accueillir la plateforme. Il faut déterminer, poursuit-elle, qui sont les omnipraticiens et médecins spécialistes convaincus de la pertinence de cet outil et qui voudront en faire la promotion. Jusqu’à maintenant, ajoute la responsable d’eConsult Québec, près de quatre médecins spécialistes sur cinq ont adhéré au projet parce qu’ils se disent convaincus de faire partie d’une solution innovante. Notez que les médecins spécialistes sont rémunérés en fonction du temps qu’il consacre à la plateforme.
L’un d’eux, le Dr Éric Himaya, obstétricien-gynécologue expert en fertilité qui travaille actuellement à l’Hôpital de Gatineau, n’a pas hésité à se joindre au groupe. « Dès que j’ai reçu le coup de fil, j’ai accepté de faire partie de l’équipe », souligne-t-il. Aux yeux de ce gynécologue, eConsult, c’est comme un médecin de famille qui lui poserait une question dans le corridor d’un hôpital. « Ce sont des interrogations dont la réponse prend généralement moins de cinq minutes. »
Remarquez, précise le Dr Himaya, que cet outil n’allège pas sa tâche. Mon agenda est toujours aussi rempli de rendez-vous. « J’ai néanmoins le profond sentiment que cette plateforme permettra d’éviter des centaines de consultations par année au Québec, au grand bénéfice des patients. Ils n’auront pas eu à perdre du temps pour se déplacer ni, surtout, à attendre de longs mois avant d’obtenir une confirmation de leur diagnostic. Leur médecin de famille s’en sera chargé. » //