Entrevues

Entrevue avec le président de l’Association des médecins de CLSC

Assurer la pérennité de la médecine familiale en CLSC

Nathalie Vallerand  |  2021-07-28

Inquiet quant à l’avenir de la pratique de la médecine familiale en CLSC, le conseil d’administration de l’Association des médecins de CLSC du Québec (AMCLSCQ) a récemment effectué une tournée virtuelle des régions. Son président, le Dr Sylvain Dion, fait le point sur les défis à relever.

M.Q. — Quels étaient les objectifs de votre tournée virtuelle ?

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S.D. – Au cours de la dernière année, le conseil d’administration a réfléchi à la pratique de la médecine familiale en CLSC, sur ce qui la définit et ce qui la distingue. Parmi nos particularités, il y a nos valeurs. Par exemple, les médecins en CLSC tiennent à la primauté d’un système de santé universel et public, à l’accès des personnes plus vulnérables aux services de santé, à la collaboration interprofessionnelle, aux liens avec les collectivités et les organismes communautaires, à la prévention, etc. La tournée provinciale visait à présenter ces valeurs ainsi que des dossiers prioritaires sur lesquels il faut travailler pour que la pratique en CLSC soit reconnue à sa juste valeur. Nous souhaitions, en outre, entendre les préoccupations de nos membres et des médecins qui ne sont pas encore membres de notre association, qui étaient aussi conviés à la discussion.

M.Q. — Vous avez mentionné des dossiers prioritaires. Quels sont-ils ?

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S.D. – D’abord, les services médicaux à domicile. En CLSC, on a une expertise en maintien à domicile qu’on veut consolider, mais également développer. Il y a des territoires urbains ou semi-urbains où ces soins sont pratiquement absents. C’est le cas dans la région de Chaudière-Appalaches. À Lévis et à Saint-Nicolas, par exemple, la population est vieillissante, mais il n’y a pas d’équipe de médecins à domicile. Plus largement, on estime qu’il faut aussi déployer davantage les services et les programmes qui caractérisent les CLSC, comme les services destinés à la jeunesse et les services de santé mentale. Au fil des années et des restructurations, le réseau des CLSC a été malmené. Il y a aussi de grandes inégalités entre les établissements. Il faut améliorer les choses, d’autant plus qu’on observe une baisse des effectifs médicaux dans les CLSC et que le recrutement y est difficile.

M.Q. — Avez-vous des données sur cette baisse d’effectifs ?

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S.D. – Je n’ai pas de chiffres précis, malheureusement. Mais les témoignages recueillis lors de notre tournée régionale confirment nos inquiétudes. Depuis quelques années, beaucoup de médecins prennent leur retraite, des gens qui, souvent, travaillaient en CLSC depuis les années 1970 ou 1980. Et ils ne sont pas remplacés en nombre suffisant. Certains CLSC ont seulement deux ou trois médecins qui sont fréquemment en fin de carrière. Dans plusieurs établissements, maintenir la pratique médicale est devenu un défi.

M.Q. — Pourquoi est-ce si difficile d’attirer des médecins ?

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S.D. – Avant les années 2000, ce n’était qu’en CLSC que les médecins pouvaient avoir une pratique interdisciplinaire en groupe. Maintenant, les omnipraticiens intéressés par ce type de pratique la trouvent aussi en GMF, dont le modèle s’inspire de celui des CLSC. Le manque de ressources est un autre facteur qui complique le recrutement. Cependant, les équipes de médecins de CLSC qui se sont constituées en GMF ou qui se sont associées avec un GMF sont capables d’attirer de nouveaux médecins. Pourquoi ? Parce qu’elles disposent d’une grande autonomie, de ressources administratives et de budgets supplémentaires. Elles ont également un DME, ce que beaucoup de médecins en CLSC ont de la difficulté à obtenir. On est en 2021 ! Lorsqu’un CLSC n’offre pas de DME ni de services adéquats de secrétariat, les jeunes médecins tournent les talons et vont travailler ailleurs. Pour finir, certains chefs de DRMG sont moins sensibles aux besoins des CLSC et orientent les recrues vers les GMF.

M.Q. — Que compte faire votre association pour améliorer la pratique médicale en CLSC et la rendre plus attrayante ?

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S.D. – Bientôt, notre conseil d’administration va se réunir pour décider des actions qui seront entreprises pour faire entendre notre message. Mais en premier lieu, c’est le ministère de la Santé qu’il faut questionner. Quelle est sa vision de la pratique de la médecine familiale en CLSC ? Depuis quelques années, on parle beaucoup des soins intensifs à domicile. C’est important, mais le reste ? On veut savoir à quoi s’en tenir. On fera aussi des démarches auprès de la FMOQ et d’autres instances pour obtenir du soutien dans la reconnaissance de notre pratique.
De plus, il faut trouver le moyen d’améliorer le réseautage entre les omnipraticiens des CLSC d’une même région. Dans certains CISSS et CIUSSS, des médecins de CLSC réussissent à avoir un DME, et pas ceux d’une ville voisine. Ce n’est pas normal. Il faut que nos membres soient capables de monter aux barricades ensemble. Parler d’une même voix sera tout aussi important lorsqu’on travaillera avec les DRMG pour faciliter le recrutement de nouveaux médecins.

M.Q. — Y a-t-il d’autres défis à relever pour valoriser la médecine familiale en CLSC ?

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S.D. – Il n’y a pas eu d’augmentation importante du tarif horaire depuis plusieurs années. La rémunération mixte en CLSC devait procurer une majoration de la rétribution, mais l’objectif n’a pas été atteint. On a senti beaucoup de déception sur le terrain lors de notre tournée virtuelle. C’est un problème qu’on veut soumettre à la FMOQ.

M.Q. — En octobre, après 20 ans, vous quitterez la présidence de l’AMCLSCQ. Pourquoi ?

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S.D. – Il est temps de laisser la place au renouveau. On a de jeunes médecins qui se sont joints à nous ces dernières années et qui s’impliquent, notamment le Dr Philippe Melanson, du CLSC de Saint-Donat. Il est vice-président de l’Association et il va peut-être se présenter à la présidence. C’est quelqu’un qui a plein d’idées. D’ailleurs, c’est lui l’instigateur de la tournée provinciale.
Je trouve aussi important que les jeunes médecins aient le sentiment que ceux qui parlent en leur nom dans les associations syndicales sont en phase avec leurs valeurs et avec ce qui les anime. Je suis vraiment heureux d’avoir réussi à aller chercher de la relève. Je suis fier également du programme de formation continue en ligne que l’Association a mis en place cette année sous la forme de midi-conférence ou de demi-journée de perfectionnement. J’ai poussé pour l’obtenir. C’est une bonne façon d’accroître le sentiment d’appartenance envers l’association.

M.Q. — Pour terminer, que diriez-vous à un jeune médecin pour lui donner envie de pratiquer en CLSC ?

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S.D. – En raison des divers programmes qui y sont offerts (toxicomanie, maintien à domicile, jeunesse, etc.), exercer en CLSC procure une proximité avec les intervenants qu’on trouve peu ailleurs. La collaboration interprofessionnelle et le travail d’équipe constituent également une grande force du milieu. Il y a aussi la possibilité de soigner des clientèles vulnérables. Certains jeunes médecins sont particulièrement sensibles aux réalités difficiles. Ils peuvent y voir une occasion de contribuer à améliorer les choses. Enfin, la pandémie a mis en lumière la nécessité de s’occuper autrement des personnes âgées. Et le CLSC demeure un milieu de choix pour avoir une pratique de soins à domicile et de soins palliatifs. Sans compter qu’on y travaille avec des collègues qui partagent de belles valeurs humaines.