Nouvelles syndicales et professionnelles

Présidence du Dr Louis Godin

14 ans dans l’histoire de la FMOQ

Élyanthe Nord  |  2021-12-10

Dr Louis Godin

En 14 ans, le Dr Louis Godin a parcouru un long chemin en tant que président de la FMOQ. Un trajet émaillé de réalisations, d’avancées, parfois de reculs, souvent parsemé de difficultés, mais aussi empreint de moments de satisfaction.

L’une des réalisations les plus marquantes du président sortant ? Le premier pas pour réduire l’écart de rémunération avec les médecins spécialistes. Une avancée qui va se poursuivre même si tout semble en suspens. « Le processus est enclenché. On a eu l’étude de l’Institut canadien d’information sur la santé. On se préparait à en discuter avec le gouvernement et à aborder aussi la question de la capitation qui y est liée, quand est arrivée la pandémie. Ce dossier va être repris. C’est prévu sur le plan conventionnel », explique le Dr Godin.

La porte a ainsi été ouverte. « Le Dr Godin a été capable d’obtenir de l’État, dans le dernier accord-cadre, une re­connaissance de l’écart de rémunération avec les spécialistes, affirme le Dr Sylvain Dion, deuxième vice-président pendant le mandat du Dr Godin. Dans cette entente, l’État s’est engagé à réduire cette différence de rétribution et a accordé pour commencer une augmentation de 2,4 % aux médecins de famille. Le président a également réussi à mettre dans l’accord un plan d’action précis pour diminuer cet écart. » En cas d’impasse, médiation et arbitrage sont prévus.

Le Dr Godin s’est attaqué à ce dossier dès le début de sa présidence. « C’était audacieux et ambitieux de sa part », estime le Dr Marc-André Amyot, nouveau président de la FMOQ. Le Dr Godin avait d’ailleurs été averti que la lutte serait ardue. Qu’il y aurait des conflits. « Quand je suis arrivé avec ma nouvelle équipe, on s’est dit qu’il fallait s’attaquer à ce problème, indique le président sortant. Nos études nous indiquaient que l’écart de rémunération avec les spécialistes était de 50 % à 60 %. Pour nous, une différence acceptable était d’environ 20 %. »

De premières discussions ont alors lieu avec le gouvernement. « Cela a provoqué beaucoup de tensions avec le Dr Gaétan Barrette, alors président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec. Malheureusement, c’est un dossier qui n’a pas été terminé avant mon départ », regrette l’ex-président.

Un négociateur chevronné

Le Dr Godin a négocié d’importantes ententes avec le gouvernement au nom des médecins de famille : deux accords-cadres et l’entente sur l’étalement des hausses de rémunération. Mais il y a eu aussi quantité d’autres accords.

Le Dr Godin était un négociateur chevronné. « Il donnait la chance au coureur, mais était ferme. Il savait qu’à un moment donné, il fallait mettre le poing sur la table. Cela permettait de clarifier et de relancer les discussions », explique le Dr Dion.

Quand débutaient les négociations, le Dr Godin et son équipe étaient prêts. Ils avaient fait les consultations nécessaires auprès des omnipraticiens. L’équipe des Affaires économiques de la FMOQ avait fourni les chiffres et fait des modélisations. « On ne peut faire une demande au gouvernement sans savoir ce qu’elle représente ni quelles vont en être les conséquences. L’État va aussi souvent faire une proposition, et notre équipe va alors effectuer une autre modélisation. Il faut savoir ce que cette offre signifie dans les faits, et lesquels de mes objectifs elle va me permettre de réaliser », explique le Dr Godin.

Puis les discussions s’amorcent. « Au cours de la préparation, on a regardé ce dont on a besoin pour répondre aux préoccupations de nos membres. On a défini ce que l’on veut absolument et ce que l’on est prêt à laisser tomber. C’est cette évaluation qui fait que l’on parvient ou non à s’entendre avec l’autre partie. »

Le Dr Amyot a beaucoup appris de son prédécesseur. « C’est un homme qui avait des convictions et qui défendait la médecine familiale, dit-il. Il n’a jamais accepté de pénalités ni d’obligations pour les médecins de famille. Il a toujours privilégié la collaboration et la participation volontaire. » Le Dr Godin ne nie pas sa ligne de conduite : « Si on ne peut obtenir le respect de certains éléments fondamentaux, mieux vaut ne pas avoir d’accord. »

Mais l’ex-président était aussi un pragmatique. « La négociation, c’est finalement l’art du compromis. Si on gagne tout et l’autre rien, les prochaines négociations risquent d’être très difficiles. Chacun doit y trouver son compte », soutient-il.

La crise de la loi 20

L’une des crises les plus aiguës de la présidence du Dr Godin a été celle de la loi 20. Le 28 novembre 2014, le ministre de la Santé, le Dr Gaétan Barrette, dépose son fameux projet de loi sur l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée. Sans se douter de rien, la FMOQ négociait alors un autre dossier avec le gouvernement. « Soudain, on se retrouve devant un projet de loi déposé à l’Assemblée nationale, explique l’ex-président. C’était une mesure législative totalement inacceptable. Elle reposait sur le contrôle, l’obligation, la coercition. Elle allait permettre d’imposer aux médecins tant de rendez-vous par jour, de telle heure à telle heure. Le ministre se donnait tous les pouvoirs, dont celui de rouvrir les ententes. C’était énorme. » Et, le projet de loi contenait en outre la menace d’une importante réduction de rémunération pour les omnipraticiens récalcitrants.

L’onde de choc a été terrible. « Le projet de loi a créé une profonde anxiété chez les médecins, parce qu’ils se sentaient attaqués directement dans leur autonomie professionnelle. Ils voyaient leur capacité de donner des soins de qualité menacée », se souvient le Dr Godin.

La FMOQ se bat. Campagne publicitaire, interventions dans les médias, mémoire à la commission parlementaire. Finalement, quelques mois plus tard, la Fédération négocie un accord avec le gouvernement : l’entente pour accroître l’accessibilité aux services médicaux de première ligne. L’application de la loi 20 est suspendue, mais les médecins de famille s’engagent à inscrire 85 % de la population. « C’était une entente où la participation des médecins était volontaire. Le Dr Godin avait réussi à écarter la coercition et les pénalités », souligne le Dr Amyot, qui a été son premier vice-président.

Un grand mouvement d’inscriptions

L’objectif de prendre en charge 85 % des Québécois est exigeant. Mais le Dr Godin est conscient des besoins de la population. Il lance un grand mouvement d’inscriptions. « Pour moi, un leader c’est une personne qui a la capacité de montrer à ses membres les enjeux et les menaces et de les mobiliser vers une solution commune. C’est ce que le Dr Godin a fait », observe le Dr Amyot.

Dans tous les milieux, les médecins de famille se mettent à multiplier le nombre de patients qu’ils prennent en charge. « Le Dr Godin a réussi, en collaboration avec ses associations affiliées, à faire monter le taux d’inscription de 65 % à 82 %, qui est la proportion atteinte avant la pandémie », affirme le Dr Dion. Ainsi, 1,2 million de Québécois de plus trouvent un médecin de famille.

Malheureusement, l’objectif de 85 % n’est pas atteint. « Dans l’entente que l’on avait signée, l’État aussi avait des obligations, mais il ne les a jamais remplies, rappelle le Dr Godin. Il fallait aux médecins de famille l’accès au plateau technique, l’aide d’autres professionnels, une diminution de la charge administrative et une réduction de certaines tâches hospitalières, mais ces mesures n’ont pas été au rendez-vous. »

Amélioration des conditions de pratique

À titre de président de la FMOQ, le Dr Godin a modifié le milieu professionnel dans lequel évoluent les médecins de famille. Hausse de leur rémunération. Amélioration de leurs conditions de travail : entente pour faciliter l’adoption des dossiers médicaux électroniques, bonification du programme des GMF et ajout de professionnels de la santé, collaboration avec les infirmières praticiennes spécialisées. « On a amélioré plusieurs aspects de la pratique des médecins dans un contexte qui n’était pas toujours facile », précise le Dr Godin.

Les omnipraticiens de tous les secteurs ont également vu leur mode de facturation modifié au cours des quatorze dernières années. « C’était un peu révolutionnaire de refaire la nomenclature. Cela a donné des coups de barre importants. Le Dr Godin a beaucoup été à l’écoute des membres qui réclamaient des changements », affirme le Dr Dion.

Le Dr Amyot voit deux phases dans la présidence de son prédécesseur. « Il y a eu une période florissante, positive, qui est la première partie. Il a réussi à négocier des conditions de travail intéressantes pour le médecin de famille, à revaloriser la médecine familiale, à faire reconnaître l’écart de rémunération avec les spécialistes. »

Puis la situation est devenue plus difficile. « Le climat s’est assombri pendant l’ère Barrette, la loi 20, le dénigrement des médecins de famille. Les étudiants en médecine ont également commencé à se désintéresser de la médecine familiale. Des points positifs sont quand même sortis de cette période : beaucoup de patients ont été pris en charge », mentionne le Dr Amyot.

Faire face à la pandémie

Mars 2020. Arrivée de la pandémie de COVID-19. Une autre période de crise s’amorce. Tout se déroule à une vitesse accélérée. « On se retrouve dans une situation totalement inconnue. Les médecins de famille doivent complètement réorganiser leur pratique dans un contexte excessivement difficile », se rappelle le président sortant.

La Fédération joue immédiatement un rôle clé. « La pandémie est déclarée un lundi matin. Deux jours avant, le samedi, on négociait avec le gouvernent les modalités de la téléconsultation, parce qu’on allait annoncer aux médecins qu’il leur faudrait voir le moins de patients possible dans leur cabinet. C’était énorme », mentionne le Dr Godin.

Le problème de la sécurité des médecins se pose également. « Plusieurs devaient intervenir auprès des patients sans avoir d’équipement de protection. Ils couraient de grands risques. On était vraiment à la guerre. »

Les feux à éteindre sont alors nombreux. « Il fallait négocier les modalités d’ouverture des cliniques d’évaluation. À l’urgence et aux soins intensifs, l’environnement de travail venait d’être complètement bouleversé. Le temps nécessaire pour voir des patients s’était grandement accru. Il y avait également une crise énorme qui commençait dans les CHSLD, et il fallait amener des renforts. » Pour gérer ces différents problèmes, la FMOQ et le gouvernement élaborent la lettre d’entente 269, un accord complexe et inédit, qu’ils adaptent au fur et à mesure que la situation évolue.

La période a été très difficile. « On a réussi à passer à travers, comme on a réussi à passer à travers toutes les crises », affirme le Dr Godin.

Communication et visibilité

L’un des domaines où la Fédération a beaucoup investi au cours des quatorze dernières années : les communications. « Quand je suis arrivé à la présidence, il y avait un travail à effectuer pour bien faire connaître à la population toute l’importance du rôle du médecin de famille. Pour nous, il était crucial de bien le positionner », dit le président sortant.

Rapidement, le président agrandit son équipe de communication. Des consultants sont engagés. Différentes campagnes médiatiques sont lancées. « Le concept du “médecin de famille” a été tellement bien développé que toutes les autres professions voulaient avoir le même. On a vu le “pharmacien de famille”. Il y avait même des publicités avec le “mécanicien de famille” », se souvient le Dr Amyot.

Depuis quelques années, des séries de clips sous le thème « Prendre soin de vous » sont présentées à la télévision. « Au début de chaque année, on montre divers aspects de la médecine familiale sous des angles différents, parfois sous celui du médecin, parfois sous celui de son champ d’activité, parfois sous celui du patient », explique le Dr Godin.

La FMOQ a ainsi obtenu une grande visibilité. « Aujour­d’hui, la Fédération est interpellée quasi quotidienne­ment sur toutes sortes de sujets. Elle est maintenant un acteur incontournable. »

Les retombées de ces campagnes de communication sont très larges. « Elles ont eu entre autres un effet sur l’attractivité de la médecine familiale. Elles avaient aussi pour but de faire comprendre au gouvernement l’importance d’investir en médecine familiale et dans les milieux de formation », indique le Dr Godin.

Renouer avec l’attractivité

En 2008, un an après l’arrivée en poste du Dr Godin, les résultats du Service canadien de jumelage des résidents (CaRMS) sont catastrophiques. De nombreuses places de résidence en médecine familiale restent vacantes. « Nous nous sommes dit que nous devions régler ce problème. » La FMOQ conçoit alors un plan de valorisation de la médecine familiale qui s’attaque autant à la formation qu’à l’organisation du travail et la rémunération. « Il y avait une douzaine de grands volets qui touchaient différents partenaires : les universités, le gouvernement, les milieux d’enseignement. Tout le monde a participé. Certains aspects ont bien fonctionné, d’autres moins. Le résultat final a été fort intéressant : au bout de quelques années, plus de 90 % des postes de résidence en médecine familiale étaient pourvus », précise le Dr Godin.

Puis la situation a recommencé à se dégrader. « Avec l’ère Barrette et l’arrivée de la loi 20, l’attractivité de la médecine familiale s’est détériorée. Cette année, soixante-dix postes sont restés vacants. L’opération va être à refaire », déplore le président sortant.

Le Dr Godin est inquiet pour la médecine familiale. « Il manque actuellement 1000 omnipraticiens. Il faut que l’on augmente nos cohortes en médecine et que plus d’étudiants choisissent la médecine familiale. Mais pour passer au travers des six ou sept prochaines années, il faut d’autres solutions. On doit mieux soutenir les médecins, entre autres grâce à la collaboration des autres professionnels de la santé. »

Le moment de partir

Quels ont été, pour le Dr Godin, les meilleurs moments de sa présidence ? « Chaque jour, c’était la journée qui venait de finir. J’ai eu du plaisir à faire mon travail. J’aimais négocier, travailler à l’organisation des soins et défendre les médecins de famille », confie-t-il.

Alors, pourquoi s’en aller ? « J’ai 66 ans. Cela fait quatorze ans que je suis président. Quand 90 % des gens que l’on représente sont plus jeunes que soi, il est temps de partir. C’est une question de représentativité. Je n’ai peut-être plus les préoccupations des médecins de 35 et de 40 ans. Il faut laisser la place à d’autres. Pour le bien d’une organisation, il faut savoir s’en aller », laisse tomber le Dr Godin.

Son engagement aura duré quarante-deux ans. Le Dr Godin est entré au conseil d’administration de l’Association des médecins omnipraticiens de la Côte-du-Sud en 1979. « C’est un président qui a vraiment la Fédération et les médecins de famille tatoués sur le cœur », résume le Dr Dion. //