Questions... de bonne entente

Quand l’absence d’un médecin de la clinique se prolonge

la gestion de clientèle

Michel Desrosiers  |  2022-06-29

L’absence d’un des médecins de la clinique se prolonge. Le congé de maternité se transforme en invalidité, ou l’invalidité, qui devait être de courte durée, s’éternise. Entre-temps, l’engagement des médecins du groupe à offrir un suivi temporaire à la clientèle du médecin absent s’alourdit. Que pouvez-vous faire ?

Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

Dans un monde idéal, la clientèle d’un médecin absent pour une longue période serait simplement reprise par un autre de la même clinique ou d’un milieu voisin. Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal. Beaucoup de médecins s’estiment surchargés, et l’idée de remplacer un collègue en plus de s’acquitter de leurs obligations n’est souvent pas la bienvenue. C’est sûr qu’il y a toujours le service de consultation sans rendez-vous, si la clinique ne fonctionne pas entièrement en accès adapté, mais ce genre de suivi ne convient pas à la clientèle vulnérable souffrant de maladies chroniques.

Pour compliquer les choses, l’invalidité peut amener le médecin malade à réfléchir à sa pratique. Il peut remettre en question sa participation au groupe, tout en espérant conserver sa clientèle. D’autres peuvent être réticents à discuter de leur situation ou être débordés par les obligations de toutes sortes. Enfin, pour le médecin malade, faire une croix sur ses perspectives de retour en annonçant qu’il ne reviendra pas est parfois démotivant et peut nuire à sa guérison. Ces réalités provoquent souvent de la frustration chez les autres médecins. Comment s’en sortir ?

Bail, des règles établies d’avance

Plusieurs médecins traitent le bail comme un simple instrument pour fixer le loyer. C’est limiter son rôle inutilement. Le bail devrait régler bien d’autres questions : le sort des dossiers au départ d’un médecin, l’avis à donner de part et d’autre pour le résilier et les conséquences financières qui en découlent, les services fournis, l’horaire de fonctionnement et les obligations du médecin s’il est temporairement incapable d’exercer.

L’obligation de payer le loyer durant une période d’absence, y compris une invalidité, et de donner un préavis permettant la résiliation du bail peut inciter un médecin à indiquer ses intentions.

En ce qui a trait à ce dernier point, le bail peut se limiter à spécifier le montant du loyer que le médecin doit payer durant son absence et la durée de cette obligation. Il pourra aussi prévoir la possibilité de mettre fin au bail en cas d’invalidité, moyennant un préavis suffisant, ainsi que les obligations pour les médecins restants quant aux services offerts aux patients du médecin en invalidité.

Il y a fort à parier que ce genre « d’entente de groupe » se retrouvera plutôt dans une entente contractuelle, comme il est recommandé de le faire en GMF. Mais il est toujours prudent de jeter un coup d’œil au bail. Tout médecin qui exerce hors établissement et qui utilise un local pour ses activités professionnelles doit avoir un bail écrit, même si on lui fournit gratuitement le local en question. C’est une obligation du Code de déontologie des médecins.

D’ailleurs, si le bail prévoit l’obligation de payer le loyer durant une période d’absence et de donner un préavis en cas de volonté de le résilier, le médecin se sentira alors obligé d’indiquer ses intentions. De ne pas le faire prolonge la durée du paiement du loyer, ce qui devient onéreux.

Encadré 1

Les assurances servant à couvrir les frais de loyer limitent généralement la période au cours de laquelle elles versent une indemnité pour le loyer (généralement de 18 à 24 mois). Par la suite, si le médecin en invalidité doit continuer de payer un loyer, il le fera à ses frais. Sans revenus professionnels durant la période d’invalidité, ça devient rapidement lourd.

Par ailleurs, certains médecins ne paient pas de loyer mensuel. Ils ont plutôt négocié un montant fixe par quart de travail, sans obligation de nombre de quarts minimaux et sans engagement à long terme. Si aucun minimum mensuel n’est prévu, le mécanisme évoqué précédemment ne motive pas le médecin à préciser la durée de son absence et à donner un préavis de résiliation. La clinique et les médecins pourraient alors rester dans l’incertitude sur le sort de la clientèle de ce dernier et sur la durée de leurs obligations.

L’inclusion d’une clause de résiliation par le cabinet si un médecin est dans l’impossibilité d’exercer pendant une période préétablie, ou un mécanisme comparable, peut encourager le médecin en invalidité à indiquer l’évolution probable de sa situation. Toutefois, cette clause doit avoir été inscrite dans le bail au départ. Il s’agit donc d’un moyen de prévention, et non d’une solution en cours de route, à moins que le bail prévoie la possibilité de modifier certaines conditions durant sa période de validité.

En GMF, rien ne vaut une entente de groupe

Rien n’est prévu au bail ? Si vous êtes en GMF, il se pourrait que vous ayez conclu une entente contractuelle (d’association ou autre) sur les obligations des membres les uns envers les autres, le partage des responsabilités pour les heures défavorables, les conditions et le processus à suivre pour l’expulsion d’un membre ou l’ajout d’un nouveau membre, les obligations des membres du groupe et leur durée en cas de départ d’un membre ou de son absence temporaire et l’information qu’un membre doit fournir en cas d’absence.

Si votre groupe a convenu d’une telle entente et que l’ensemble des nouveaux membres y adhèrent, vous pourriez avoir une base pour faire des demandes au membre absent. On peut supposer que vous aurez prévu une obligation d’informer le groupe (par l’entremise du médecin responsable) de la durée des absences.

En GMF, une entente contractuelle prévoyant les obligations des membres les uns envers les autres constitue un bon outil pour éviter de se retrouver dans un cul-de-sac.

Il est souvent difficile pour un médecin en invalidité d’accepter la possibilité de ne pas être en mesure de revenir à ses activités professionnelles. Il y a bien sûr le deuil de l’identité professionnelle, que les médecins mettent de nombreuses années à créer. Toutefois, en cas d’invalidité, le médecin pourrait être dans un état qui complique la prise d’une telle décision. Une attitude positive peut être favorable à la récupération. Mais pour les personnes qui dépendent du médecin, soit ses patients et ses collègues, l’effet est fort différent. Même si le médecin en invalidité peut avoir tendance à voir son avenir avec des lunettes roses, le médecin traitant est susceptible d’avoir une opinion plus objective sur ses perspectives de retour au travail et pourrait s’avérer une meilleure source d’information, à condition que le médecin absent accepte le partage de cette information avec son milieu de travail.

En établissement

Il n’y a pas de loyer à payer en établissement, et donc pas de bail. Et il n’y aura pas nécessairement d’entente de groupe, contrairement à ce qu’on retrouve en GMF. Mais il y a des règlements de service ou de département qui fixent les obligations des médecins. L’absence pour des raisons personnelles (année sabbatique, études, activités humanitaires) sera souvent balisée et assortie d’une période maximale, soit au plus un an, par exemple. Par la suite, le médecin qui ne respectera pas ses obligations pourra faire l’objet d’une évaluation par le comité de discipline. Aussi bien dire qu’à la fin de son congé, il devra décider entre reprendre ses activités et donner sa démission.

Néanmoins, les congés de maternité et d’invalidité constituent des cas particuliers. La Fédération a convenu avec le ministère que le médecin en établissement a droit à un congé de maternité d’au moins douze mois, et l’établissement ne pourra mettre fin à ses privilèges pour cause d’absence durant la période en cause. De plus, le médecin à honoraires fixes bénéficie d’un congé sans solde d’un an pour prolonger son congé de maternité (deux ans s’il s’agit d’un congé partiel). Dans le cas de l’invalidité, la loi la traite généralement comme un handicap, et l’établissement doit « accommoder » le professionnel. Le médecin qui est incapable de respecter ses obligations ne pourra donc pas se faire « congédier », du moins tant qu’il y a une possibilité qu’il puisse reprendre ses activités.

Habituellement, le retour au travail dépend de la nature du problème. L’évaluation des perspectives du médecin paraplégique à la suite d’un accident d’escalade se fait différemment de celle du médecin qui souffre d’une dépression ou d’une commotion cérébrale après un accident de vélo. Les établissements laissent donc souvent s’écouler plusieurs années avant de demander au médecin de donner sa démission. Encore là, pour le médecin à honoraires fixes, il peut y avoir d’autres enjeux (encadré 1).

Bref, malgré l’existence de règlements et de règles sur les absences en établissement, les recours pourraient être limités pour forcer un médecin en invalidité à quitter. Le chef de département ou le DSP pourra toutefois lui demander de prouver qu’il est en invalidité et de fournir un rapport de son médecin indiquant son pronostic. Le milieu pourra ainsi au moins se faire une idée de la durée prévisible de l’absence pour invalidité.

Quand les règles ne sont pas établies, avez-vous pensé au téléphone ?

Encadré 2

Que ce soit en établissement ou en cabinet, le chef de service ou de département ou le médecin responsable peut toujours communiquer avec le médecin absent pour s’informer de sa situation et de ses perspectives de retour. Il ne s’agit pas ici d’exiger du médecin qu’il fasse connaître sa date de retour, mais plutôt de le sensibiliser aux répercussions qu’entraîne l’incertitude à ce sujet sur ses patients et les autres membres du groupe. Si le médecin ne peut pas fixer de date de retour ni confirmer s’il reviendra dans le milieu, il pourrait tout de même accepter de mettre fin aux inscriptions de sa clientèle si son invalidité se prolonge et annoncer à ses patients son départ du milieu. Les autres médecins ne seraient toutefois pas simultanément « libérés » de leurs obligations envers cette clientèle. En GMF, ils pourraient collectivement devoir offrir l’accès au service de consultation sans rendez-vous à ces patients nouvellement orphelins, du moins pendant une période leur permettant de se trouver un autre médecin (disons un an). Mais au moins, une certaine limite de durée à leurs obligations envers les patients de leur collègue est ainsi fixée.

Le fait de mettre fin aux inscriptions a des conséquences, tant pour le médecin en invalidité que pour ceux de son groupe. Ces conséquences sont plus limitées après deux ans d’invalidité, du moins pour le médecin absent. Donc, ce dernier pourrait accepter plus volontiers de mettre fin aux inscriptions après un tel délai (encadré 2).

Quand rien ne va plus, il y a toujours le coordonnateur du GAMF

Il se peut que le médecin en invalidité ne veuille pas parler au médecin responsable ou s’en tienne à fournir à l’établissement des billets d’absence de son médecin traitant, billets qui indiquent la prolongation de l’absence sans préciser la date de fin. Il peut alors devenir difficile de se faire une idée du moment où le médecin reviendra. Il va sans dire qu’il est difficile de supposer qu’un médecin ne reviendra pas après une absence de quelques mois. À moins de disposer d’information particulière, avant que l’absence ne dépasse 18 à 24 mois, les chances d’un retour sont généralement bonnes.

En l’absence de règles convenues, le chef ou le médecin responsable peut toujours communiquer avec le médecin absent pour s’informer de sa situation et de ses perspectives de retour.

Afin d’éviter que les patients demeurent dans l’incertitude, l’Entente particulière sur la médecine de famille de prise en charge et de suivi (paragraphe 13.06) permet au coordonnateur de rendre la clientèle admissible aux modalités prévues pour les patients orphelins, sans mettre fin pour autant à leurs inscriptions auprès de leur médecin. Pour la clientèle générale, cette mesure est prévue lorsque l’invalidité ou le congé de maternité ou d’adoption d’un médecin dépasse 24 mois. Dans le cas des patients vulnérables, cette possibilité s’applique lorsque l’invalidité est supérieure à 26 semaines ou que le médecin coordonnateur juge que ce sera le cas en raison du diagnostic. Enfin, une modalité permet aussi au médecin coordonnateur de rendre admissibles aux suppléments prévus pour les patients orphelins les patients du médecin en invalidité partielle pendant une durée suffisamment longue. Si elle ne permet pas au coordonnateur de mettre fin d’emblée aux inscriptions, elle peut tout de même favoriser la prise en charge de ces patients par d’autres médecins, ce qui mettra fin à l’inscription auprès du médecin en invalidité.

Vous aurez sans doute compris que l’entente d’association d’un GMF constitue votre meilleure protection pour ne pas devoir assurer indéfiniment le suivi de la clientèle d’un médecin dont l’invalidité s’éternise. Parfois, une simple discussion avec ce dernier permettra de fixer une limite à l’obligation des médecins du groupe. Toutefois, admettre qu’une invalidité pourrait devenir permanente ou exiger des modifications définitives à la nature de ses activités représente un très grand pas pour un médecin qu’il peut être difficile de franchir. Il faut donc se montrer compréhensif.

Espérons que vous ne vivrez pas ce genre de situation ou que vous aurez pris des précautions avant d’en arriver là. À la prochaine ! //

Le coordonnateur du GAMF peut rendre admissible aux modalités prévues pour les patients orphelins la clientèle inscrite d’un médecin, sans mettre fin à leurs inscriptions auprès du médecin lorsqu’une invalidité ou un congé de maternité se prolonge.