Droit au but

La vaccination obligatoire dans une clinique médicale

Philippe Desrosiers  |  2022-07-27

La pandémie ! Qui ne souhaiterait pas que ce mot disparaisse à jamais de notre vocabulaire ? À chaque fin de vague, nous espérons ardemment que le virus et ses variants soient chose du passé afin que la vie normale reprenne son cours.

Me Philippe Desrosiers est directeur général adjoint et directeur de la négociation à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec

Les médecins qui exploitent des cliniques médicales ne sont pas différents et expriment tous le même souhait partout au Québec. Parmi les nombreux volets d’adaptation, il y a eu bien sûr la vaccination des collègues, des professionnels et des employés. Dans bien des cas, un casse-tête lorsque venait le temps d’équilibrer droits individuels et droits collectifs.

Heureusement, depuis, la jurisprudence, tant québécoise que canadienne, s’est enrichie de décisions qui viennent jeter un meilleur éclairage sur l’application des principes de droit. Dans la foulée des décisions rendues, nous aimerions nous attarder plus particulièrement à celle du 27 avril 2022 mettant en cause la Société canadienne des postes et son syndicat (https://bit.ly/relation-travail-vaccination). Bien que cette décision ait été rendue en droit canadien, il n’en demeure pas moins que les principes discutés et les conclusions s’appliquent au droit québécois avec les adaptations nécessaires. Nous ferons le survol des éléments les plus importants de cette décision rendue par l’arbitre Thomas Jolliffe.

L’enjeu en cause était de déterminer si l’employeur pouvait adopter une politique pour contraindre ses salariés à se faire vacciner adéquatement, ce qu’a fait la Société canadienne des postes. Cette politique visait l’ensemble du personnel, dont une unité syndiquée de 42 000 personnes qui a formulé un grief collectif contestant l’exigence de vaccination obligatoire au motif qu’elle était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés. Tout salarié qui violait la politique était suspendu sans solde jusqu’à ce qu’il s’y conforme et remédie à la situation.

Dans les semaines qui ont suivi l’adoption de la politique de vaccination obligatoire, le syndicat a déposé une injonction devant le tribunal d’arbitrage afin d’en suspendre l’application le temps que le tribunal en établisse le bien-fondé. L’arbitre Kevin Burkett a analysé l’affaire selon les règles usuelles et a rejeté l’injonction, permettant ainsi à la Société canadienne des postes de continuer d’appliquer sa politique. L’argument principal de l’arbitre était que les salariés lésés pourraient être indemnisés si la politique était ultérieurement invalidée par le Tribunal. Il a donc considéré qu’il n’y avait pas urgence étant donné la réparation possible. Plus de 2000 salariés ont contrevenu à la politique au cours de la période visée par le grief collectif.

Malgré cette première bataille perdue, le syndicat a poursuivi sa contestation sur le fond. Il soutenait que la politique était déraisonnable et que d’autres mesures pouvaient être prises pour offrir un milieu de travail sûr, telles que les tests rapides antigéniques. Pour le syndicat, toute politique sur la santé doit assurer l’intégrité de la personne et protéger ses intérêts privés. Bien sûr, l’employeur a un devoir légal de protéger la santé et la sécurité de ses salariés, même en l’absence de certitude scientifique. Cependant, une politique de vaccination obligatoire est déraisonnable quant aux droits des salariés lorsqu’il existe d’autres options raisonnables. De plus, le syndicat soulevait le point qu’un salarié n’a pas abandonné ses droits en acceptant un emploi à la Société canadienne des postes et qu’il ne peut donc être vacciné contre sa volonté.

Quant à l’employeur, il a soutenu que l’adoption d’une politique de vaccination obligatoire était essentielle pour assurer la bonne marche de ses opérations et que, même si elle pouvait entrer en opposition avec les droits fondamentaux des salariés, la politique s’avérait raisonnable et légitime dans les circonstances.

Les principaux arguments de la Société canadienne des postes pour établir le bien-fondé de sa politique étaient les suivants :

h le nombre élevé d’interactions avec les clients, qui peuvent être ou non vaccinés ;

h la distanciation physique qui n’est pas toujours possible avec les clients ;

h les cas d’infection en hausse malgré un guide sanitaire interne rigoureux ;

h les ruptures de service dues aux nombreuses absences de salariés ayant des répercussions importantes sur les activités ;

h la productivité en baisse ;

h la moyenne d’âge des salariés se situant autour de 49 ans, dont 65 % dans la tranche d’âge de 45 à 64 ans, qui augmente le risque de maladie grave, voire de décès ;

h deux décès survenus dans d’autres unités de la Société canadienne des postes ;

h la contagiosité du variant Omicron ;

h le fait que la population canadienne doit pouvoir compter sur un service postal continu et efficace pour ses activités courantes, 1,2 million de Canadiens étant liés à l’entrepôt visé par le grief ;

h la sécurité des salariés et la poursuite des opérations qui ne peuvent être assurées en raison du nombre élevé de faux négatifs des autres options, comme les tests rapides antigéniques ;

h le gouvernement fédéral qui a demandé à de grandes organisations, dont la Société canadienne des postes, de mettre en place une politique de vaccination obligatoire ;

h le fait que la vaccination est le seul moyen de réduire la transmission de la COVID-19 ;

h le fait que la vaccination est le moyen le plus efficace de protéger les salariés et de réduire la gravité de la maladie ;

h l’innocuité de la vaccination.

Après avoir entendu l’ensemble de la preuve présentée par la Société canadienne des postes et le syndicat, l’arbitre a conclu que la politique de vaccination obligatoire adoptée par l’employeur était justifiée et raisonnable. Selon lui, elle constituait une réponse proportionnelle et adéquate aux droits en cause, soit protéger la santé et la sécurité des salariés et l’intégrité de la personne et de la vie privée. Pour l’arbitre, il ne faisait aucun doute que l’adoption d’une telle politique réduirait grandement les risques d’infection en milieu de travail et qu’elle représentait la seule voie logique, à moins d’isoler complètement chaque salarié pour limiter la transmission entre personnes, sur les lieux de travail ou en dehors. De l’avis de l’arbitre, les tests rapides antigéniques constituaient un outil intéressant et complémentaire pour maîtriser la transmission du virus, mais ne remplaçaient d’aucune façon la vaccination adéquate.

Bien que la preuve scientifique entourant la vaccination puisse soulever certaines incertitudes et que nous soyons à en évaluer les probabilités, l’arbitre a conclu que les données actuelles indiquent que la vaccination diminue de beaucoup la possibilité de développer une forme grave de la maladie. De plus, en tenant compte des circonstances factuelles qui lui étaient présentées, le Tribunal a retenu la multiplication des risques par de nombreux contacts entre salariés et clients, la distanciation physique réduite et pas toujours possible sur les lieux de travail ainsi que les répercussions de l’absentéisme pour valider la politique de l’employeur et considérer que ce dernier avait usé de ses droits de direction raisonnablement.

Nous espérons que le survol de cette décision arbitrale canadienne mettra en relief le cadre entourant la mise en œuvre d’une politique de vaccination obligatoire en milieu de travail, particulièrement dans les cliniques médicales. Il est nécessaire de rappeler que chaque cas est spécifique et doit être analysé à la lumière de sa propre réalité et de façon individuelle. Il reviendra toujours aux dirigeants d’une entreprise de démontrer que leur politique est raisonnablement nécessaire et qu’elle constitue une réponse adéquate à un risque réel et établi ou à un besoin commercial. À défaut, le principe de base voulant que chaque personne ait le droit d’accepter ou de refuser de se faire vacciner aura préséance. //