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Au sein de la boîte crânienne

modifications du cerveau et capacités cognitives

Élyanthe Nord  |  2023-12-01

Patrick Bernier

Comment se transforme notre cerveau au cours de notre vie ? Pour commencer, il se développe jusqu’à environ 20 ans. « Dans quelques régions, de nouveaux neurones vont encore pousser, mais il y en a très peu. Après, le cerveau se met à décliner », explique le Dr Patrick Bernier, neurobiologiste et omnipraticien travaillant en psychogériatrie et en neurocognition, à Québec.

Les premiers signes cognitifs liés au vieillissement peuvent commencer à apparaître vers la cinquantaine, la soixantaine ou même plus tard. Ils trahissent différents changements dans le cerveau. « On peut résumer ce qui se passe par trois processus, indique le Dr Robert Laforce, neurologue et neuro­psychologue à la Clinique interdisciplinaire de mémoire du CHU de Québec. Il y a d’abord la leuco-encéphalopathie : une diminution de la substance blanche. Les premiers symptômes cognitifs surviennent alors. Après, une atrophie se produit dans la matière grise. Les neurones vont rétrécir, et certains même mourir, dans des régions du cerveau comme l’hippocampe, lié à la mémoire, et le cortex frontal. Il est normal qu’avec l’âge il y ait une fonte des neurones, comme il y en a une des muscles. Plus tard, des micros-infarctus silencieux vont avoir lieu. Ils diminueront les capacités cognitives au quotidien. Les personnes les plus touchées sont celles qui ont des facteurs de risque cardiovasculaires : hypertension, diabète, taux élevé de cholestérol, etc. »

La cause de toutes ces transformations : la baisse du débit sanguin due à l’âge et l’occlusion de petits vaisseaux, précise le Dr Antoine Hakim, professeur émérite à l’Université d’Ottawa. « Le premier facteur à devenir anormal est l’irrigation sanguine1. L’atrophie des matières blanche et grise en est une conséquence », indique le neurologue.

Des neurones qui prennent la relève

La situation est toutefois moins sombre qu’il n’y paraît. Les conséquences des changements cérébraux ne se manifestent pas immédiatement ni automatiquement. « Plus on a fait travailler notre cerveau, plus la génétique nous a donné une grande intelligence, plus on a d’atouts », mentionne le Dr Bernier.

Notre réserve cognitive va nous permettre de compenser le déclin du cerveau. Comment ? « L’intelligence ne repose pas nécessairement sur un plus grand nombre de neurones ni une plus grande taille du cerveau, mais sur les interconnexions des neurones », explique l’omnipraticien et chercheur. Et ce sont ces synapses qui vont permettre au cerveau d’affronter les dommages liés au vieillissement.

« Toutes ces connexions donnent de la résistance au réseau. Si on perd des neurones dans une région du cerveau, ceux qui sont autour, dans d’autres structures, pourront se réseauter et prendre la relève. Le cortex visuel ne remplacera évidemment pas l’aire de la mémoire. Néanmoins, près des régions touchées, les autres neurones peuvent compenser. Ils sont capables de s’adapter et de remplir de nouvelles fonctions », mentionne le Dr Bernier.

Ces neurones interconnectés dépendent du débit sanguin du cerveau. C’est là qu’entre en jeu la stimulation intellectuelle. « Plus on exige du cerveau, plus les vaisseaux sanguins s’ouvrent, et plus il est ravitaillé. Plus on le pousse à apprendre, le plus longtemps on lui demande des efforts, le mieux ce sera plus tard, affirme le Dr Hakim. Le processus fonctionne dans les deux sens. Si on exige beaucoup du cerveau, les vaisseaux s’ouvrent. Si les vaisseaux se ferment, les problèmes commencent. »

Pour obtenir une bonne réserve cognitive, l’idéal est ainsi non seulement d’avoir fait des études, mais aussi de demeurer actif intellectuellement, d’avoir des contacts sociaux, ce qui est également exigeant, et de faire de l’exercice physique, notamment pour accroître l’apport sanguin cérébral. Il est par ailleurs important de bien protéger le cerveau en réduisant ses facteurs de risque.

Les aptitudes qui résistent à l’âge

Quels sont les symptômes cognitifs d’un vieillissement normal ? « Dans un premier temps, c’est la récupération plutôt que l’encodage qui est difficile. L’information est dans la mémoire, mais on a de la difficulté à aller la chercher. Par exemple, on n’arrive pas à se souvenir du nom du restaurant où on est allé la semaine dernière, mais si on nous en énumère trois, on pourra le retrouver », donne comme exemple le Dr Bernier.

Robert Laforce

La vitesse de traitement de l’information ralentit aussi. « Ce phénomène est causé par les atteintes de la substance blanche », précise le Dr Laforce, également professeur à l’Université Laval. Certaines tâches intellectuelles peuvent donc demander plus de temps. « Lors d’un vieillissement normal, on reste capable de tout faire. Cependant, on remplira peut-être notre déclaration de revenus en deux jours plutôt qu’en un seul. Il nous faudra peut-être un peu plus de temps pour faire l’épicerie. Par ailleurs, si le ralentissement a un effet sur le fonctionnement, si l’on commence à avoir besoin d’aide, là on entre dans la maladie », mentionne le Dr Bernier.

Les changements les plus marqués apparaissent dans les fonctions exécutives : la planification, la gestion, l’organisation, etc. « Dans l’étude que l’on a faite sur le test appelé « Dépistage cognitif de Québec », où l’on évaluait des gens de 50 à 89 ans, on a constaté que ce sont vraiment ces fonctions qui sont affectées2. La mémoire perd également de son efficacité, mais les gens ne deviennent pas séniles », précise le Dr Laforce.

Heureusement, bien des facultés résistent à l’âge. « La re­connaissance des choses, le savoir-faire, le langage, la capacité de comprendre, de s’exprimer, la pensée abstraite, l’imagination se maintiennent longtemps. Les difficultés apparaissent davantage sur le plan de la capacité à voir large, à planifier, à structurer et sur le plan de la performance et de la vitesse (comme l’aptitude à effectuer rapidement une tâche ou à passer immédiatement d’une occupation à l’autre). Le reste continue à bien fonctionner », assure le Dr Bernier.

Les aînés superperformants

Tout le monde n’est pas touché de la même manière par le vieillissement. Il existe des adultes âgés qui, à 80 ans, ont les mêmes résultats aux tests de mémoire que des personnes de 50 à 56 ans. Ce sont les aînés superperformants (superagers). Quel est leur secret ? Des chercheurs européens ont voulu le savoir. Dans une étude publiée dans le Lancet Healthy Longevity, ils ont comparé 64 superaînés à 55 adultes âgés ordinaires et les ont suivis pendant au plus six ans3.

Les aînés hyperperformants avaient dès le départ un plus grand volume de matière grise. Et, au cours du suivi, ils en ont perdu moins. Pour déterminer, parmi 89 facteurs, ce qui les distinguait des adultes âgés normaux, les chercheurs ont utilisé l’intelligence artificielle. C’est la vitesse de mouvement ainsi qu’une meilleure santé mentale qui les différenciaient le plus.

Les superaînés avaient une mobilité et une agilité meilleures, mais ne faisaient pas plus fréquemment de l’exercice que les sujets témoins, selon l’étude. Cependant, peut-être l’intensité de leur activité était-elle plus élevée, avance le Dr Hakim. L’humeur est aussi importante. « Une déprime qui perdure amène vraiment un problème important au cerveau », affirme le neurologue, qui s’est récemment penché sur la relation entre la dépression et les facteurs cognitifs4.

Antoine Hakim

Les aînés superperformants avaient par ailleurs dans le cerveau des concentrations de biomarqueurs de neurodégénérescence semblables à celles des adultes âgés ordinaires : peptides bêta-amyloïdes, protéines tau, neurofilaments, etc. Mais même avec d’abondantes lésions de la maladie d’Alzheimer, le cerveau peut potentiellement continuer à fonctionner normalement. Une étude sur 678 religieuses âgées, publiée en 2003 et devenue un classique, l’a montré, indique le Dr Laforce5. « Il faut qu’il y ait des répercussions sur le fonctionnement pour poser le diagnostic de la maladie », ajoute-t-il.

Les superaînés se plaignaient par ailleurs moins de problèmes de sommeil que les adultes du groupe témoin. On sait que la qualité du sommeil pourrait influer sur le développement de troubles neurocognitifs.

Autres caractéristiques : les superaînés avaient six ans de scolarité de plus que les sujets témoins et avaient plus fréquemment eu un mode de vie actif étant jeunes. Ils étaient également plus nombreux à avoir suivi une formation musicale, formelle ou non. « Jouer d’un instrument est compliqué, tout comme chanter dans une chorale. Il ne faut pas seulement avoir une voix juste et lire la partition, mais aussi se coordonner avec les autres chanteurs. Cela exige beaucoup du cerveau », affirme le Dr Hakim.

L’important est de rester actif mentalement et physiquement, estime le médecin. Âgé lui-même de 82 ans, il a pris sa retraite l’année dernière comme neurologue de l’Hôpital d’Ottawa. Il est cependant toujours professeur à l’Université d’Ottawa. Il donne des conférences – parfois sur Zoom –, écrit des articles scientifiques, comme des revues de littérature, et conseille des jeunes. Sur le plan physique, beau temps, mauvais temps, le Dr Hakim fait quotidiennement de la marche rapide, à un rythme suf­fi­sant pour s’essouffler, et court même un peu.

Surveillance du Collège des médecins

On peut demeurer en forme à un âge avancé, mais peut-on aussi rester compétent sur le plan professionnel ? Le Collège des médecins du Québec (CMQ) surveille cet aspect. « On a pu déterminer avec nos analystes et en travaillant avec d’autres employeurs aux États-Unis et dans le reste du Canada qu’il y a certains facteurs de risque pour les médecins de plus de 70 ans. Quand on avance en âge, il y a une probabilité un peu plus grande d’avoir un certain déclin cognitif. Pour certains, qui constituent vraiment la minorité, les effets peuvent se répercuter sur la pratique », explique le Dr Anas Nseir, directeur et responsable de l’inspection professionnelle au Collège.

Anas Nseir

Le CMQ a ainsi mis sur pied un programme de surveillance des médecins de 70 ans et plus. Quand ses membres deviennent septuagénaires, l’organisme leur envoie un premier questionnaire, puis un deuxième à 75 ans et par la suite tous les deux ans. « Il s’agit d’un questionnaire de dépistage assez court », dit le directeur. Les médecins doivent indiquer leur type de pratique, leur nombre de jours de travail par semaine, le nombre de patients qu’ils voient, leur lieu d’exercice, s’ils font de la formation continue, etc.

Durant les dernières années, seulement 15 % des médecins de 70 ans et plus qui ont rempli le questionnaire ont reçu par la suite une visite d’inspection professionnelle. « De ces derniers, 34 % ont eu un résultat satisfaisant et 66 % un non satisfaisant », mentionne le Dr Nseir. Dans de nombreux cas, cependant, les visites ont été annulées, parce que, par exemple, les cliniciens ont décidé de prendre leur retraite.

Les 15 % de médecins ciblés par le questionnaire ont par ailleurs un risque dix fois plus élevé d’échouer à l’inspection que les cliniciens ayant une pratique standard et n’ayant pas fait l’objet d’une plainte. La pratique des médecins âgés aux résultats sous-optimaux est-elle très inquiétante ? « L’immense majorité ne présente pas de dangerosité. Ils ont toutefois besoin de formation pour s’améliorer », mentionne le directeur.

Aux yeux du Dr Nseir, par ailleurs, l’âge seul n’est absolument pas suffisant pour constituer un risque. « J’ai vu des médecins de 85 ans qui avaient une excellente pratique. On leur a envoyé une lettre en les remerciant pour leur travail et en les encourageant à continuer. »

Le Dr Hakim, pour sa part, estime que le cerveau peut rester en forme si on prend les mesures nécessaires. Lui-même est encore jeune : il a, dans ses connaissances, une dame de 98 ans qui est toujours très vive intellectuellement. Quand elle ne pellette pas la neige, ne tond pas elle-même son gazon ou n’entretient pas sa propriété, elle fait trente fois le tour de sa maison. « L’âge n’est qu’un chiffre », mentionne le professeur émérite. //

bibliographie

1. Iturria-Medina Y, Sotero R, Toussaint P et coll. Early role of vascular dysregulation on late-onset Alzheimer’s disease based on multifactorial data-driven analysis. Nat Commun 2016 ; 7 (11934) : 1-14. DOI : https://doi.org/10.1038/ncomms11934.

2. Gravel A, Hudon C, Meilleur-Durand S, et coll. Validation of the Dépistage cognitif de Québec in the oldest old. Can Geriatr J 2020 ; 23 (4) : 283-8. DOI : https://doi.org/10.5770/cgj.23.432.

3. Garo-Pascua M, Gaser C, Zhang L et coll. Brain structure and phenotypic profile of superagers compared with age-matched older adults: a longitudinal analysis from the Vallecas Project. Lancet Healthy Longev 2023 ; 4 (8) : e374-e385. DOI : https://doi.org/10.1016/S2666-7568(23)00079-X.

4. Hakim A. Perspectives on the complex links between depression and dementia. Front Aging Neurosci 2022 ; 14 : 821866. DOI : https://doi.org/10.3389/fnagi.2022.821866.

5. Snowdon DA. Healthy aging and dementia: findings from the Nun Study. Ann Intern Med 2003 ; 139 (5 Pt 2) : 450-4. DOI : https://doi.org/10.7326/0003-4819-139-5_part_2-200309021-00014.