Entrevues

Entrevue avec le président de l’association des médecins de CLSC

des signaux encourageants pour la médecine familiale en CLSC

Nathalie Vallerand  |  2023-02-03

L’heure est à l’optimisme au sein de l’Association des médecins de CLSC du Québec, selon son président, le Dr Philippe Melanson. En effet, le ministère de la Santé s’est dit favorable au maintien des services médicaux en CLSC et les jeunes médecins s’intéressent de plus en plus à cette pratique.

M.Q. — Il y a quelques mois, votre association doutait de la volonté du ministère de la Santé de maintenir les services de médecine familiale en CLSC. Que s’est-il passé depuis ?

61925.png

P.M. – L’automne dernier, nous avons fait des démarches auprès du ministère pour connaître ses intentions. Il nous a alors clairement dit que la médecine familiale en CLSC était là pour de bon. Il y croit ! Nous avons découvert que le volet des CLSC était tombé entre deux chaises depuis des années. À la suite de notre intervention, le ministère a fait son mea culpa et a confié la responsabilité de la pratique médicale en CLSC à la Direction de l’accès et de l’organisation des services de première ligne.

M.Q. — Concrètement, est-ce qu’il y a eu des actions ?

61925.png

P.M. – Notre association a créé une table de concertation avec le ministère. Deux rencontres ont eu lieu l’automne dernier, et d’autres sont prévues cette année. Le ministère s’est engagé à travailler avec nous pour trouver des solutions aux problèmes sur le terrain, comme le manque de ressources. Par exemple, nous disons depuis longtemps qu’il est inadmissible que des médecins en CLSC n’aient pas encore de dossier médical électronique (DME). Même si certains CISSS et CIUSSS considèrent la situation acceptable, le ministère est d’accord avec nous. Et il va nous aider à faire respecter la circulaire Soutien clérical et administratif à la pratique et outils technologiques en installation publique offrant des services de première ligne.
On veut par ailleurs qu’il garantisse des places aux plans d’effectifs médicaux (PEM) en CLSC pour qu’il y ait un nombre suffisant de médecins pour répondre aux besoins et aussi pour remplacer ceux qui partent. Par le passé, des places au PEM ont été refusées même si elles étaient nécessaires.

M.Q. — Justement, le réseau des CLSC a connu une baisse de ses effectifs médicaux au cours des dernières années. Est-ce que ça se poursuit ?

61925.png

P.M. – On constate une amélioration. La vague des départs à la retraite des baby-boomers a frappé plus tôt dans les CLSC, où plusieurs médecins sont salariés. Comme ils ont droit à une pension, ils ont tendance à prendre leur retraite à un plus jeune âge que ceux qui exercent à leur compte. Cette vague tire cependant à sa fin. Et à l’inverse, on voit de plus en plus de jeunes médecins joindre nos rangs. On n’a pas de statistiques, mais la décroissance semble terminée. Cela se reflète dans le nombre de membres de l’Association. Depuis un an, nous avons accueilli une cinquantaine de nouveaux membres.

M.Q. — Que faudrait-il pour attirer encore plus de médecins en CLSC ?

61925.png

P.M. – Le passage à la formule des GMF pourrait aider les CLSC à attirer de nouveaux médecins, car le programme offre d’intéressants avantages. Cependant, il est difficile pour les CLSC de créer un GMF mixte en s’associant à une clinique, car les subventions du programme des GMF sont gérées par le CISSS ou le CIUSSS. Cette mesure fait peur à bien des cliniques. Nous avons discuté de la situation avec le ministère lors d’une des rencontres de la table de concertation, et il n’est pas fermé à l’idée de réviser le cadre des GMF.
Par ailleurs, même s’ils perdent la maîtrise de leur budget de fonctionnement, les GMF existants ou les cliniques peuvent avoir des avantages à s’associer à un CLSC. Grâce à la fusion des clientèles, un GMF de niveau 1 pourrait monter à un niveau 2, ce qui signifie un plus gros budget de fonctionnement. Une clinique, pour sa part, peut avoir en se jumelant à un CLSC la possibilité de faire partie d’un GMF. La synergie que l’on peut créer quand des médecins, des travailleurs sociaux, des infirmières et d’autres professionnels de la santé travaillent en collaboration peut être tellement belle !

M.Q. — Y a-t-il un autre dossier qui préoccupe votre association ?

61925.png

P.M. – La question des soins à domicile constitue un enjeu important. Si on vit une crise dans les hôpitaux et les CHSLD, c’est en partie parce que des lits sont occupés par des personnes qui pourraient être soignées chez elles. Les CLSC ont une expertise en soins à domicile qu’il faut préserver et développer, mais c’est difficilement faisable sans une participation accrue des médecins.
En septembre, l’Association a publié un énoncé de position qui comprend seize recommandations pour attirer davantage de médecins vers cette pratique. Par exemple, nous suggérons d’ajouter les soins à domicile à la formation des résidents en médecine familiale grâce à une plus grande participation des GMF-U. Nous proposons aussi de sensibiliser les départements régionaux de médecine générale pour qu’ils octroient plus d’activités médicales particulières en soins à domicile.
Plusieurs de nos recommandations concernent par ailleurs la hausse de la rémunération, car ces soins sont sous-payés. Notamment, il faut que les patients suivis à domicile par des médecins exerçant en mode individuel soient pondérés. Les forfaits d’inscription doivent en effet tenir compte de la complexité de l’état de ces patients, tout comme en GMF. Nous demandons aussi une bonification de la rémunération des médecins qui font partie d’une équipe de CLSC en soins intensifs à domicile (SIAD) ainsi que la création de codes d’actes pour l’utilisation de la télémédecine dans le suivi à domicile.

M.Q. — Concernant le renouvellement prochain de l’Entente, avez-vous des demandes ?

61925.png

P.M. – À part l’amélioration de la rémunération pour le suivi des patients à domicile, notre principale revendication est d’augmenter le tarif horaire en CLSC qui est trop bas. On pourrait également ajouter un forfait de capitation au tarif horaire. L’important, c’est de hausser la rémunération globale des médecins en CLSC.

M.Q. — Que pensez-vous de l’évolution prochaine vers la capitation ?

61925.png

P.M. – La capitation va encourager les médecins à gagner en efficacité en déléguant les tâches qui peuvent l’être, entre autres en travaillant avec des infirmières. Si ce mode de rétribution permet d’optimiser la pratique et de voir plus de patients, c’est une bonne chose. En CLSC, cependant, la réussite de la capitation va dépendre des CISSS et des CIUSSS. Jusqu’à quel point permettront-ils aux médecins de recourir au personnel en place pour suivre davantage de patients ? Certains établissements cloisonnent les infirmières et les autres professionnels dans des programmes ou leur interdisent de travailler avec des médecins. Pour que la capitation fonctionne en CLSC, il faut que tout le monde travaille ensemble.
Notre association souhaite également que les médecins payés à l’heure puissent conserver ce mode de rémunération s’ils le désirent. Plutôt que de composer avec les forfaits et les multiples changements aux codes de facturation, qui sont compliqués et prennent du temps, ces médecins ont choisi la simplicité et la paix d’esprit. Si la capitation devenait obligatoire, il faudrait à tout le moins trouver des moyens de simplifier la facturation.