Entrevues

Entrevue avec la présidente de l’Association du Bas-Saint-Laurent

projet de loi no 15 et démotivation des médecins

Entrevue et photo : Élyanthe Nord  |  2023-07-01

 

Présidente de l’Association des médecins omnipraticiens du Bas-Saint-Laurent, la Dre Josée Bouchard fait le point sur les réactions que suscite sur son territoire le projet de loi no 15, destiné à devenir la Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace.

M.Q. — Que pensez-vous du projet de loi no 15 ?

61925.png

J.B. – C’est un projet de loi très nocif pour la médecine familiale. Il permet aux gestionnaires et aux fonctionnaires d’avoir la main mise sur la pratique médicale. Je pense qu’il va démotiver de manière particulière les médecins qui exercent en première ligne et n’ont pas d’activités en établissement. Parce que pour pouvoir facturer à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), ils devront obtenir des privilèges du centre intégré de santé et de services sociaux de leur territoire. Cela signifie que l’établissement pourra leur demander de faire des activités en deuxième ligne. Ainsi, les médecins qui ont fait de l’hospitalisation, de l’urgence, des gardes et d'autres activités pendant des années, puis décidé de se concentrer sur leur pratique en première ligne, devront redemander des privilèges. Il n’y aura donc plus d’activités médicales particulières, mais des activités qui nous seront imposées.

M.Q. — Quelles sont les réactions des médecins concernés ?

61925.png

J.B. – Un médecin proche de la retraite, qui exerce uniquement dans un GMF, m’a dit qu’il n’avait pas l’intention de demander des privilèges dans un établissement. Il irait plutôt travailler quelques jours par semaine dans une clinique privée. Ce serait une sorte de préretraite. Une autre médecin, qui doit avoir environ 20 ans de pratique, elle, m’a écrit que depuis l’adoption de la loi 20, elle a planifié ses finances pour pouvoir prendre sa retraite dès qu’elle le voudrait si la situation se détériorait. Si le projet de loi no 15 est adopté tel quel, elle non plus n’a pas l’intention de recommencer à travailler en établissement.

M.Q. — Comment réagit l’ensemble de vos membres ?

61925.png

J.B. – Ils n’ont pas beaucoup de réactions. Peu de membres ont d’ailleurs assisté aux réunions d’information que j’ai organisées sur le projet de loi no 15. Je ne sais pas si c’est comme ça dans le reste de la province, mais je suis inquiète. Je pense que les médecins sont désabusés et qu’ils en ont assez de se battre. On a fait beaucoup d’efforts jusqu’à présent. Quand la loi 20 a été votée, en 2015, on a inscrit beaucoup de patients individuellement. Ensuite, il y a eu l’inscription de groupe. On a encore inscrit un grand nombre de personnes. On a même dépassé les objectifs. Et maintenant, il y a ce projet de loi. On se dit que ce n’est jamais assez. Il y a toujours quelque chose de plus qui arrive. Je pense que le projet de loi no 15 va avoir des effets extrêmement néfastes sur la pratique médicale. Il semble démobiliser les médecins de famille.

M.Q. — Craignez-
vous que beaucoup de médecins prennent leur retraite ?

61925.png

J.B. – Je pense que c’est ce qui va arriver. Au Québec, 20 % des omnipraticiens ont plus de 60 ans. Avec les obligations liées au projet de loi, je crois que ces médecins, dont beaucoup ont concentré leur pratique en première ligne, vont partir. Ce sont des cliniciens qui ont une grande clientèle. Des milliers de patients risquent donc de devenir orphelins. La FMOQ voulait, au contraire, négocier des mesures pour garder ces médecins en pratique encore un, deux ou trois ans, quitte à leur permettre d’exercer à temps partiel. Je crois que des jeunes aussi pourraient quitter la pratique. Le projet de loi ne fait rien pour rendre la médecine familiale attrayante.

M.Q. — Personnellement, comment avez-vous réagi devant
ce projet de loi ?

61925.png

J.B. – Très mal, parce qu’il me touche de plein fouet. Pendant 33 ans, j’ai exercé en deuxième ligne. J’ai fait de l’obstétrique, de l’urgence, de l’hospitalisation, etc. Je pense que j’ai largement apporté ma contribution. Depuis deux ans, je n'exerce qu’en cabinet à Pohénégamook, un village du Bas-Saint-Laurent. J’ai 2200 patients. Je suis donc très occupée. Si je dois redemander des privilèges en établissement dans le Bas-Saint-Laurent, et peut-être me faire imposer des activités en deuxième ligne, je vais fermer ma clinique.

M.Q. — Allez-vous continuer
pratiquer ?

61925.png

J.B. – J’ai une deuxième pratique à l’urgence de Sainte-Anne-de-Beaupré. Si le projet de loi est adopté sans aucune modification, je vais donc aller travailler à Québec, parce que j’y ai des privilèges en établissement. Je n’aurai qu’à rajouter des activités en première ligne dans cette région. On ne pourra pas me demander de faire n’importe quelle tâche en établissement, parce que j’ai déjà des activités approuvées. Ce n’est pas une perspective qui me plaît. Mais c’est cette solution ou risquer de ne plus avoir le droit de facturer mes services à la RAMQ. Cela n’a pas de bon sens.

M.Q. — Le projet
de loi no 15 semble globalement faire perdre beaucoup de pouvoir aux médecins de famille. Il touche de nombreuses structures.

61925.png

J.B. – Effectivement. Dans les départements territoriaux de médecine familiale (DTMF), qui remplaceront les départements régionaux de médecine générale, les chefs ne seront plus élus par leurs pairs, mais nommés par des instances ministérielles. Et quand une personne est nommée par un supérieur immédiat, en général, son indépendance professionnelle est réduite. Le chef du DTMF sera là pour faire appliquer les règles. Il n’y aura donc plus de gestion professionnelle, mais une gestion hiérarchique. Le nouveau chef aura tous les pouvoirs pour exiger ce qu’il veut des médecins en brandissant la menace de les priver du droit de facturer à la Régie. C’est très dangereux. Ce seront des médecins fonctionnaires qui vont faire appliquer les règles. Sur le terrain, cette façon de faire pourrait causer de grandes insatisfactions. Le futur conseil des médecins, dentistes, pharmaciens et sages-femmes, lui, n’aura pratiquement plus de pouvoir sur quoi que ce soit dans l’hôpital. Le comité d’examen des titres, par exemple, n’existera plus. C’est le directeur médical, lui aussi nommé, qui décidera quel médecin il accepte et quel médecin il refuse. Et en plus, sur le comité de direction de Santé Québec, aucun médecin ne sera membre d’office du conseil d’administration. Personne n’aura donc d’expérience dans l’exercice de la médecine. Ce sera la mainmise des fonctionnaires sur la pratique médicale. Je ne pense pas que ce sera avantageux pour les services à la population.

M.Q. — Que
comptez-vous faire ?

61925.png

J.B. – Je vais demander à mes membres d’écrire personnellement à leur député pour leur expliquer comment le projet de loi no 15 va les toucher. Je l’ai moi-même fait auprès de ma députée de Rivière-du-Loup. En ce qui concerne ma pratique personnelle, je vais mettre une petite affiche dans la salle
d’attente pour aviser mes patients qu'ils risquent de ne plus avoir de médecin de famille si le projet de loi 15 est adopté sans aucune modification. Les patients ne connaissent pas les conséquences de cette future loi. Le ministre de la Santé et des Services sociaux, M. Christian Dubé, affirme que grâce à sa loi il va améliorer les services à la population, dépolitiser le réseau et décentraliser les décisions, ce qui est absolument faux. Les gens, cependant, le croient. Ils n’ont pas le regard critique des médecins. Ils doivent savoir que si le projet de loi no 15 est adopté tel quel ses répercussions seront épouvantables. //