Nouvelles syndicales et professionnelles

Entrevue avec le président de l’association du nord-ouest du Québec

les effets du projet de loi no 15 en région éloignée

Élyanthe Nord  |  2023-09-01

Président de l’Association des médecins omnipraticiens du nord-ouest du Québec, le Dr Jean-Yves Boutet estime que la réforme de la santé proposée est une occasion ratée de vraiment changer le système.

M.Q. — Que pensez-vous du projet de loi no 15 ?

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J.-Y.B. – On ne peut être contre l’amélioration du système de santé. Cependant, je ne crois pas qu’il est des plus souhaitables de créer un organisme comme Santé Québec s’il est sous les ordres du ministre de la Santé. Moi, j’avais rêvé d’une sorte de régie de la santé, indépendante des programmes électoraux, un peu comme Hydro-Québec. Elle pourrait avoir des plans de développement triennaux ou quinquennaux. Elle pourrait prendre des décisions parfois difficiles politiquement, mais dans l’optique de mieux servir les patients dans le contexte du vieillissement de la population et du manque de main-d’œuvre. Ce sont deux facteurs qui m’inquiètent beaucoup. Je voulais vraiment que l’on retire l’aspect politique de la gestion de la santé.

M.Q – Par ailleurs, le conseil d’administration de Santé Québec ne comprendra pas d’office un médecin.

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J.-Y.B. – Notre système repose sur la médecine occidentale. On a donc besoin des connaissances des acteurs du terrain pour savoir ce qui se passe. Le plus bel exemple, ce sont les retraites des médecins de la génération des baby-boomers. Quand on n’est pas sur le terrain, on ne peut pas percevoir tout le travail qu’ils font et ce qui se produira une fois qu’ils cesseront de pratiquer. Certains vont laisser 2000 patients, souvent âgés et vulnérables. On n’a pas prévu cette situation, parce que l’on se fie aux chiffres et aux tableaux. Je pense que c’est important de toujours avoir le point de vue des médecins dans les décisions. On peut croire qu’une mesure va fonctionner, mais ce n'est pas nécessairement le cas à cause de la manière dont les choses se passent sur le terrain.

M.Q – Vous qui êtes aussi chef du département régional de médecine générale (DRMG) de votre région, que pensez-vous des changements qui toucheront votre poste ?

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J.-Y.B. – Le DRMG sera remplacé par un département territorial de médecine familiale dont le chef sera nommé et non élu. Je pense que le fait d’élire un chef lui assure une crédibilité auprès de ses collègues. Un chef qui sera nommé risque d’avoir les mêmes opinions et les mêmes idées que le PDG de l’établissement qui le choisira. Je suis chef de DRMG depuis 13 ans, et mon équipe et moi travaillons en collaboration avec les médecins, et non en nous plaçant en position d’autorité. Nous coopérons avec eux pour améliorer les services à la population. Cela a été le cas par exemple pour la mise sur pied du guichet d’accès à la première ligne (GAP) ou, pendant la pandémie, pour la création des cliniques désignées d’évaluation (CDE) et des cliniques désignées pédiatriques (CDP). Pendant la crise de la COVID-19 en particulier, j’ai tenté de garder cet esprit de collaboration parce que c’était la clé pour maintenir les services à la population.

M.Q – Le projet de loi no 15 prévoit également que les médecins pratiquant uniquement en clinique devront obtenir des privilèges de l’établissement de soins.

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J.-Y.B. – Les médecins de famille doivent déjà faire des activités médicales particulières (AMP) pendant quinze ans. Cette obligation de demander des privilèges est une autre contrainte qu’on leur impose. Elle est inutile parce que les AMP existent depuis déjà 20 ans et que les médecins les respectent en général.

M.Q – Cette mesure touchera-t-elle les médecins de votre région ?

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J.-Y.B. – Cet aspect du projet de loi ne changera pas beaucoup de choses chez nous. L’annexe 12, qui permet aux médecins des régions éloignées d’avoir une rémunération rehaussée, leur demande d’être membres du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens, de faire des gardes et d’effectuer des AMP. Le projet de loi no 15 ne leur impose donc pas de nouvelles obligations. Mais il le fait dans d’autres régions et pourrait y précipiter des départs à la retraite.

M.Q – Est-ce que le projet de loi a un effet sur le moral des médecins ?

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J.-Y.B. – Oui. Les autorités nous disent : « Vous avez été là tout le temps. Vous avez poussé à la roue. Quand est survenue la pandémie, vous avez ouvert des CDP, des CDE. Vous avez suivi des patients et fait des téléconsultations. » Ensuite, l’an passé, est arrivée l’inscription collective. Les médecins se sont dit : « On va essayer d’améliorer notre accessibilité. C’est important pour les patients. » On a aussi participé au GAP, à l’orchestrateur et à d’autres initiatives. Et maintenant le projet de loi no 15 nous tombe dessus. Il met de la pression sur les médecins. On oublie qu’il manque encore plus de 1000 omnipraticiens et que le ratio devrait être 55 % de médecins de famille et 45 % de médecins spécialistes alors que c’est presque l’inverse. Pour les médecins de famille, ce projet de loi constitue une pression de plus qui est inutile si on regarde tous les efforts qu’ils ont fournis depuis quatre ans. On s’attendait plus à avoir une tape dans le dos qu’un coup de poing.

M.Q – Que disent vos membres ?

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J.-Y.B. – Ils ne parlent pas beaucoup du projet de loi. Ils attendent de voir. Étant donné qu’il manque beaucoup de médecins dans la région et que l’on a grandement recours au dépannage, ils sont plus préoccupés par les listes de garde et les découvertures. Ils ont entendu parler de ce projet de loi, mais il y a trop travail à effectuer sur le terrain.

M.Q – Le manque d’infirmières et de médecins a fait les nouvelles il y a quelques mois. Y a-t-il eu des solutions concrètes ?

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J.-Y.B. – La situation ne s’est pas améliorée. Le plan d’urgence mis en place durant l’été a réduit le personnel infirmier à 30 % dans les GMF pour rediriger les effectifs vers les hôpitaux. Certaines cliniques ont eu plus de chance et ont pu garder un peu plus d’infirmières. Cependant, il est sûr que si la situation continue, les choses vont devenir difficiles. Les GMF vont baisser de niveau, parce qu’ils vont perdre des inscriptions. Il y aura par conséquent une diminution de budget et de personnel. Mais on manque de personnel de toute façon. Et l’on ne peut pas inscrire de patients si l’on n’a pas le personnel. Il y a actuellement un certain désabusement devant les services que l’on peut offrir. Les GMF constituent un beau modèle, mais quand on n’a pas toutes les ressources nécessaires, il se produit un certain désengagement. Le suivi retombe encore dans les mains du médecin. Dans certains GMF, en outre, des infirmières praticiennes spécialisées sont parties. Les patients inscrits à leur nom se retrouvent donc dans la patientèle du médecin collaborateur, ce qui engendre une pression additionnelle sur lui. C’est ce qui se passe sur le terrain. C’est pour cela que le projet de loi no 15 est un peu comme une gifle. Le réseau de la santé ne va pas bien dans notre région. On essaie de le maintenir à flot. Et là, le gouvernement dépose ce projet de loi alors qu’il devrait plutôt nous demander : « Comment peut-on vous aider ? »