Nouvelles syndicales et professionnelles

Espaces cliniques

des lieux optimisés grâce aux simulations

Nathalie Vallerand  |  2023-09-01

Dans le domaine de la santé, les simulations sont couramment employées à des fins d’enseignement et de perfectionnement. On sait moins, toutefois, qu’elles sont également utiles pour optimiser les espaces de soins. Coup d’œil sur cette approche innovante.

Mme Isabelle Savard

L’hôpital de Vaudreuil-Soulanges ouvrira seulement en 2026, mais déjà quelques personnes ont pu le visiter, dont des médecins, des infirmières et des patients partenaires. Des incursions effectuées grâce à la réalité virtuelle. Certains locaux, comme le bloc opératoire, l’urgence, les salles de bain et les chambres, ont en effet été modélisés en trois dimensions. Grâce à cette technologie, on peut plus facilement visualiser l’espace, indique Mme Isabelle Savard, directrice adjointe à la Direction des projets majeurs d’infrastructures du CISSS de la Montérégie-Ouest. « On a vraiment l’impression d’être sur place. On peut alors s’assurer que les espaces sont bien aménagés et que l’équipement est au bon endroit », note-t-elle.

Jusqu’ici, la réalité virtuelle a surtout servi à alimenter la réflexion lors des ateliers de conception. Mais une fois les plans définitifs de l’hôpital terminés, elle sera utilisée pour simuler des interventions cliniques. Des membres du personnel de la santé pourront ainsi tester les lieux avant même qu’ils ne soient construits, ce qui permettra d’apporter des corrections et de prévenir des problèmes potentiels.

Dr J.F. Deshaies

« Un espace bien conçu est plus sûr pour le personnel et les patients, répond mieux à leurs besoins et augmente l’efficacité des équipes de soins », affirme le Dr Jean-François Deshaies, un médecin de l’urgence du CIUSSS de l’Estrie-CHUS qui a récemment fait un stage d’observation en Australie auprès de la Dre Victoria Brazil, une experte en simulation.

Le recours aux simulations dans le processus de conception des établissements de santé est une tendance croissante. Associé à l’emploi de maquettes grandeur nature, il permet d’expérimenter divers aménagements. Outre les maquettes en réalité virtuelle, il en existe deux autres types :

1. Les maquettes simples. Ce sont les plus faciles et les moins coûteuses à réaliser. Il suffit d’utiliser du ruban gommé pour délimiter au sol la superficie de la pièce à aménager et d’indiquer l’emplacement des portes. On y place ensuite les meubles et l’équipement (ou des boîtes pour les représenter), puis une équipe de soins simule les interventions qui auront lieu dans ce local. « Par exemple, si vous voulez modifier la configuration de votre salle de petites chirurgies, vous trouvez une pièce un peu plus grande, la salle d’attente, par exemple. Et un dimanche, quand la clinique est fermée, vous testez si votre idée de nouveau design fonctionne », explique le Dr Deshaies. On peut ainsi recourir aux simulations pour aménager ou réaménager des cliniques médicales, précise-t-il.

2. Les maquettes détaillées. Plus élaborées que les maquettes simples, elles peuvent comprendre des murs, un revêtement de sol, un plafond, des luminaires, des fournitures, etc. L’Hôpital Santa Cabrini, à Montréal, a eu recours à ce type de maquette en 2022 pour s’assurer que les plans de son nouveau bloc opératoire correspondaient bien aux besoins du personnel. De taille réelle, la reproduction d’une salle d’opération comprenait la majorité de l’équipement qui sera utilisé dans les futures salles, a expliqué Le Fil, le journal des employés du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. Les équipes de soins y ont simulé plusieurs types d’interventions chirurgicales, confirmant ainsi le positionnement des bras articulés et des écrans de monitorage ou encore la fluidité de la chorégraphie entre les professionnels.

« Les gens ne font pas nécessairement ce qu’on pense qu’ils feront, explique le Dr Deshaies. Avec les simulations, on peut voir comment ils agissent réellement. Pour mieux comprendre leur façon de travailler, on peut aussi leur demander de décrire à voix haute les gestes qu’ils posent à chaque étape de l’intervention qu’ils simulent. »

Le débreffage est cependant très important, selon l’omni­praticien. « Après une simulation, il faut recueillir les commentaires des participants et les questionner : “Il y avait un bouton pour ouvrir la porte. Pourquoi ne l’as-tu pas utilisé ? On pensait qu’il était visible, le bouton !” »

Retour sur l’investissement

Quelles données peut-on recueillir grâce aux simulations dans des maquettes ? On peut, par exemple, évaluer le flux de travail, c’est-à-dire les déplacements des personnes travaillant en même temps dans une même pièce ; les heurts entre personnes ou avec un objet ; les entraves qui forcent un travailleur à contourner un collègue ou un objet pour effectuer sa tâche ; le temps d’accomplissement des tâches ou encore le nombre de fois et le temps que les gens passent à chercher des fournitures ou un appareil, mentionne le Health Quality Council of Alberta (HQCA) dans son document Healthcare Facility Mock-up Evaluation Guidelines.

Sans surprise, ce sont les simulations avec maquettes détaillées qui permettent d’obtenir avec précision le plus grand nombre de données, d’après l’organisme albertain. C’est d’ailleurs pourquoi l’équipe de projet de l’hôpital Vaudreuil-Soulanges y aura recours. « On a notamment l’intention de construire une salle de bains pour tester les déplacements d’une personne en fauteuil roulant. Est-ce que ça coince quelque part ? Il faut l’expérimenter pour le savoir, car la réalité virtuelle a ses limites », mentionne Mme Savard.

C’est au moment de la préparation des plans que les simulations sont les plus rentables, car elles évitent d’avoir à effectuer certaines modifications après la construction. Pour chaque dollar investi, les maquettes simples permettent d’économiser plus tard 26,85 $, les maquettes détaillées, 16,66 $ et les virtuelles, 5,06 $, selon le HQCA. Une estimation qui date toutefois de 2017.

M. Bobby Paré

Au-delà de l’argent, les simulations présentent par ailleurs des avantages intangibles pour le personnel comme pour les patients, affirme M. Bobby Paré, coordonnateur services cliniques et pratiques professionnelles au sein de la Direction des projets majeurs d’infrastructures. « À quelle hauteur placer les barres dans les corridors pour les personnes à mobilité réduite ? Est-ce que ces personnes pourront se relever facilement des bancs qu’on prévoit installer dans des alcôves ? Pour vérifier tous ces éléments et optimiser l’ergonomie, on va mener des simulations avec la participation de patients partenaires, d’ergothérapeutes et de physiothérapeutes. Le confort des personnes ne se calcule peut-être pas en dollars, mais il est important. »

Dans son guide Simulation-Based Mock-Up Evaluation, le HQCA indique d’ailleurs que le recours aux membres du public pour les simulations permet de trouver des solutions qui améliorent l’expérience des patients. Par exemple, configurer les chambres de sorte que ces derniers puissent voir à l’extérieur, qu’ils soient assis ou allongés dans leur lit.

Tester si ça fonctionne

Une fois les espaces livrés et l’équipement installé, d’autres simulations sont nécessaires avant l’occupation d’un établissement de santé, précise le Dr Deshaies. « Elles servent à s’assurer que tout fonctionne, à vérifier que chaque chose est à la bonne place et à organiser les processus de soins dans ces espaces. Il y a toujours des ajustements à faire, car c’est impossible de penser à tout. » Dans le cas de l’hôpital de Vaudreuil-Soulanges, cet exercice aura lieu pendant la phase d’activation clinique et technique, la période de neuf mois qui précédera l’arrivée des patients.

Illustration RV

Les simulations dans des environnements réels permettent également de déceler des dangers latents pour les patients et le personnel. Avant l’ouverture en 2018 du Children’s Healthcare of Atlanta’s Center for Advanced Pediatrics, aux États-Unis, des chercheurs ont mené 31 simulations dans 15 des 30 centres de consultation externe spécialisés de l’établissement. Ils ont ainsi détecté 334 problèmes, dont certains pouvaient présenter un risque élevé de préjudice pour les patients1. Voici quelques exemples : contenants à objets tranchants à la portée des enfants ; absence d’accès par badge à la zone de traitement des instruments contaminés ; absence de désinfectant pour les mains à l’extérieur de certaines salles d’examen ; manque d’indications dans la salle d’attente pour guider les familles vers chacune des cliniques ; absence de tableau blanc à l’extérieur des chambres pour identifier chaque patient ; tables d’examen orientées dans la mauvaise direction, obligeant les soignants à examiner les patients du côté gauche ; salle d’accueil difficile d’accès pour les fauteuils roulants.

Espaces existants

Les simulations sont également utiles pour rendre plus fonctionnels les espaces existants, surtout lorsqu’elles se déroulent in situ, dit le Dr Deshaies. « Lorsqu’une personne va chercher une lame pour son bistouri dans un tiroir, on voit la distance qu’elle doit parcourir. On peut aussi constater qu’un tiroir est verrouillé ou qu’une porte d’armoire est difficile à ouvrir. On remarque tous ces détails parce qu’on est dans la vraie salle, et non dans une pièce imaginaire. »

Ainsi, dans la salle d’attelle et de plâtre de l’urgence de l’Hôpital de Fleurimont, des fournitures étaient rangées à des endroits difficiles à trouver, ce qui allongeait le temps de préparation et diminuait l’efficacité, donne comme exemple l’omnipraticien. « Il a suffi d’une simulation de pose d’attelle de quelques minutes pour prendre conscience des problèmes de rangement. Et cela n’a rien coûté ! »

Avant d’effectuer des changements, mieux vaut cependant faire l’exercice à quelques reprises avec des personnes différentes. « Il faut éviter de réaménager une salle en fonction de la façon de travailler d’une seule personne ou uniquement des médecins, souligne le Dr Deshaies. Nous, les médecins, ne sommes pas très bons pour imaginer ce qui se passe dans la tête des infirmières et des techniciennes ! Les changements doivent être bénéfiques pour tous les utilisateurs de la salle et pour toutes les techniques. » //

Pour en savoir plus

h Healthcare facility mock-up evaluation guidelines – Using simulation to optimize return on investment for quality and patient safety. Health Quality Council of Alberta : 2020 ; 78 pages.

h Simulation-based mock-up evaluation framework. Health Quality Council of Alberta, 2016, 52 pages.

h Ces documents peuvent être téléchargés à partir du site www.hqca.ca

1. Colman N, Stone K, Arnold J, Doughty C, Reid J, Younker S, Hebbar KB. Prevent safety threats in new construction through integration of simulation and FMEA. Pediatr Qual Saf 2019 ; DOI : 10.1097/pq9.0000000000000189.