Entrevues

Association du nord-ouest du Québec

les projets du nouveau président

Nathalie Vallerand  |  2024-02-01

L’Association des médecins omnipraticiens du nord-ouest du Québec a plusieurs demandes concernant les conditions de travail et la rémunération des médecins en région éloignée. Son président, le Dr Jean-François Verville, souhaite notamment des mesures pour rendre le travail en cabinet plus attrayant sur son territoire.

M.Q. – Quels problèmes faudrait-il corriger concernant le recrutement ?

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J.-F.V. Nous avons de plus en plus de difficulté à attirer de jeunes médecins qui veulent exercer en cabinet. Cette situation s’explique surtout par le fait que les ententes de l’Annexe 12 les obligent à travailler à l’hôpital. Pour avoir droit à une rémunération majorée dans notre région, il faut en effet être membre actif d’un conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP). De plus, cette majoration est plus élevée en établissement qu’en cabinet. Alors, les jeunes médecins ont tendance à se dire que puisqu’ils doivent avoir une pratique hospitalière, aussi bien y consacrer une partie importante de leur temps. Le nombre de patients pris en charge par de jeunes médecins demeure donc assez bas. Nous observons également davantage de demandes de changements vers des activités médicales particulières (AMP) à l’hôpital. En outre, l’attractivité de notre territoire a diminué avec les années parce que les ententes sont axées sur la prise en charge tandis qu’ici, il est plus avantageux financièrement d'exercer en établissement. Cela nuit au recrutement.

M.Q. – Justement, l’accord-cadre sur les conditions de travail et de rémunération des médecins sera bientôt renouvelé. Quels changements souhaitez-vous ?

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J.-F.V. Il est temps de réviser l’Annexe 12 qui ne l’a pas été depuis longtemps. D’abord, on pourrait vérifier si la rémunération majorée pour notre région éloignée est toujours adéquate. Ensuite, il faut se demander s’il est encore nécessaire d’être membre d’un CMDP pour bénéficier des ententes. Si on enlève cette contrainte, il y aurait un frein de moins au recrutement des médecins en cabinet. Le département régional de médecine générale (DRMG) pourrait alors mieux déterminer où se trouvent réellement les besoins plutôt que d’orienter d’emblée la majorité des ressources vers les centres hospitaliers. Les AMP, de leur côté, permettraient d’assurer la présence de médecins à l’hôpital.

M.Q. – Avez-vous d’autres demandes ?

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J.-F.V. Une autre mesure à considérer serait d’offrir de nouveau des primes d’installation et de rétention aux médecins qui décident de venir pratiquer en région éloignée. Ces incitatifs n’existent plus dans la plupart de nos milieux de soins, sauf dans de rares endroits isolés. Je pense que ce genre de mesure pourrait aider à recruter des médecins. Par ailleurs, dans la dernière entente sur l’accessibilité, des forfaits ont été accordés pour compenser la différence de rémunération entre le travail en cabinet et celui en établissement. Mais comme l’entente prend fin en juin prochain, nous demandons que ces forfaits soient pérennisés. L’enjeu dans les années à venir ne sera pas seulement de recruter des médecins dans les hôpitaux, mais aussi dans les cabinets. Il faut changer de paradigme !

M.Q. – À quoi ressemble la situation en matière de prise en charge ?

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J.-F.V. Le taux d’inscription se situe entre 70 % et 85 % selon le réseau local de services (RLS), ce qui n’est pas si mal. Cependant, les patients orphelins ont accès à peu de services. Et comme notre bassin de médecins en cabinet est vieillissant, un grand nombre de patients vont se retrouver orphelins dans les prochaines années. L’inscription collective peut nous aider, mais pour l’instant elle demeure insuffisante pour répondre aux besoins. Par exemple, l’inscription collective n’a pas bien fonctionné dans le RLS de Val-d’Or, là où la pénurie d’effectifs est très importante.

M.Q. – Des médecins de l’Afrique francophone ont été recrutés pour exercer dans le nord-ouest du Québec. Est-ce une solution pour la pratique en cabinet et l’inscription collective ?

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J.-F.V. Ces médecins seraient en effet excellents en cabinet et très utiles. Mais pour le moment, ils sont une dizaine et ils travaillent surtout en établissement en raison de leur permis restrictif. De toute façon, ils sont eux aussi pris avec les règles concernant l’obligation d’être membre d’un CMDP pour obtenir une meilleure rémunération. Une solution pour favoriser la pratique en cabinet pourrait être d’instaurer des AMP de prise en charge. Nous n’en avons pas sur notre territoire. Je pense que ce serait une bonne idée dans certains milieux. Avec les départs à la retraite, les besoins seront encore plus grands. Je souhaite en discuter avec le DRMG.

M.Q. – Quels sont vos projets en tant que nouveau président ?

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J.-F.V. Lors de mon élection, je me suis engagé à faire la tournée des cinq RLS d’Abitibi-Témiscamingue pour rencontrer mes collègues et bien comprendre leurs préoccupations. Je travaille dans le RLS de La Sarre. Donc, d’ici l’automne, j’irai à Amos, à Rouyn-Noranda, à Ville-Marie et à Val-D’Or. Mais le territoire de notre association couvre aussi le Nord-du-Québec ainsi que les Terres-Cries-de-la-Baie-James. Je veux donc établir des liens avec les médecins de ces régions qui sont peu présents dans notre association. La vidéoconférence nous permet maintenant de les joindre plus facilement, ce qui n’était pas le cas avant la pandémie.

M.Q. – Que pouvez-vous leur offrir ?

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J.-F.V. Si ces médecins ont des revendications concernant des dossiers qui leur sont propres, ils ont besoin d’être représentés auprès du ministère de la Santé et des Services sociaux. Nous sommes donc prêts à réviser les statuts de l’Association pour qu’ils puissent avoir un représentant au conseil d’administration. Cette présence leur donnerait également la possibilité d’avoir un délégué ou un observateur au conseil de la FMOQ. Déjà, des médecins de Chibougamau et de Chapais ont montré un certain intérêt. Quant aux médecins de Lebel-sur-Quévillon, de Matagami et de Senneterre, ils font partie du réseau de garde intégrée des CLSC et sont pour la plupart membres de l’Association des médecins de CLSC du Québec. Pour ce qui est des communautés cries, elles sont principalement couvertes par des médecins dépanneurs, dont certains sont membres d’associations d’autres régions. Nous sommes cependant prêts à accueillir les médecins qui n’ont aucune affiliation.

M.Q. – Pour conclure, quelle est votre vision de la médecine familiale ?

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J.-F.V. La médecine familiale ne doit plus être la seule porte d’entrée du système. Il faut miser sur l’interdisciplinarité et déléguer davantage. Avec des ordonnances collectives et des discussions avec d’autres professionnels de la santé, il est possible de traiter des maladies chroniques et d’offrir des soins sans forcément voir nous-mêmes les patients. Cela se fait déjà, mais il va falloir changer le modèle de la rémunération si nous voulons aller plus loin dans cette direction. L’idée de la capitation, c’était un peu cela : le médecin est rétribué même si c’est un autre membre de l’équipe qui voit le patient. Cependant, la capitation repose encore sur l’inscription individuelle. Or, les médecins aiment le partage de la charge de travail lié à l’inscription collective. Il faut donc garder cet aspect et réfléchir à un nouveau mode de rémunération.