Dossiers spéciaux

5. Le don de tissus pour la greffe, vous connaissez ?

Étienne Fissette, Marc Germain et Mélanie Dieudé  |  2024-04-22

La première greffe de tissus a eu lieu il y a près de 150 ans. De nos jours, il se fait chaque année plusieurs milliers de greffes de tissus au Québec, dont plus de 800 greffes de cornées uniquement ! Pourtant, la greffe de tissus est encore mal connue, même si elle permet parfois de sauver des vies. Sauriez-vous dire dans quelles situations ? Continuez votre lecture pour en savoir plus !

M. Étienne Fissette est directeur de l’exploitation des tissus humains à Héma-Québec. Le Dr Marc Germain est vice-président–Affaires médicales et innovation, à Héma-Québec. Il est aussi directeur médical de la banque de tissus. Mme Mélanie Dieudé, Ph. D., est directrice des opérations de recherche à Héma-Québec, chercheuse au CRCHUM et professeure à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.

Le rôle d’Héma-Québec, du donneur et du professionnel de la santé

Les greffes de tissus humains sauvent des vies ou améliorent considérablement la qualité de vie de nombreux patients. Ainsi, les greffes de cornée permettent de redonner la vue, les tendons et les ligaments sont utilisés pour traiter les blessures sportives ou réparer les lésions dégénératives, les valves cardiaques remplacent celles qui sont endommagées et prolongent la vie de nombreux patients, la peau est essentielle à la survie des grands brûlés tandis que les os sont utilisés en orthopédie (générale et oncologique), en médecine du sport et pour des interventions craniofaciales et maxillo-faciales, dentaires et neurochirurgicales. Depuis la première greffe de tissus il y a près de 150 ans, les pratiques entourant le don, le prélèvement, la préparation et la greffe n’ont cessé d’évoluer dans le but d’augmenter la disponibilité, la qualité et l’innocuité des tissus. Grâce aux bonnes pratiques et aux règlements en place1, les enjeux d’approvisionnement et d’innocuité des tissus s’apparentent beaucoup à ceux du système de sang. C’est pour cette raison que le ministre de la Santé et des Services sociaux a confié à Héma-Québec, en 2001, le prélèvement et la distribution des tissus humains. Fonctionnant déjà dans un environnement très réglementé, Héma-Québec a su tirer profit de son expérience dans le domaine du sang pour mener à bien ce nouveau mandat. Héma-Québec a depuis graduellement élargi la gamme de tissus humains offerts, qui comprend désormais des tissus oculaires, cardiaques, vasculaires, cutanés et osseux.

Héma-Québec et Transplant Québec, l’organisme chargé de coordonner le don conduisant à la transplantation d’organes au Québec, défendent la même cause. Héma-Québec intervient après le prélèvement des organes par Transplant Québec. Les donneurs d’organes sont aussi, la plupart du temps, des donneurs de tissus. Cependant, ces donneurs conjoints ne peuvent assurer à eux seuls un apport suffisant pour répondre aux besoins de la population du Québec.

Le consentement des donneurs et de leurs proches est essentiel pour que ces tissus puissent sauver des vies et améliorer la santé de la population. En vertu du Code civil du Québec2, le prélèvement des tissus ne peut se faire sans consentement. Ainsi, toute personne peut, de son vivant, consentir au don ou le refuser. Au Québec, les trois moyens servant à officialiser son consentement au don d’organes s’appliquent aussi aux tissus, soit 1) l’inscription au Registre des consentements au don d’organes et de tissus de la Régie de l’assurance maladie du Québec, 2) l’autocollant signé apposé au dos de la carte d’assurance maladie et 3) l’inscription de son acceptation ou de son refus du prélèvement dans le Registre des consentements aux dons d’organes et de tissus de la Chambre des notaires du Québec. Si la volonté du défunt n’est pas connue, le prélèvement peut être effectué avec le consentement de la personne qui aurait pu consentir aux soins, tel que le prévoit l’article 44 du Code civil du Québec3. Pour un majeur, cette personne est, par ordre de priorité, le mandataire, le tuteur, le curateur, le conjoint (marié, de fait ou en union civile), un proche parent ou toute personne qui démontre un intérêt particulier envers le défunt. Pour un mineur, cette personne est le titulaire de l’autorité parentale ou le tuteur.

Après l’arrêt cardiaque et respiratoire, le temps est compté. Le prélèvement des tissus doit être effectué dans les vingt-quatre heures, et parfois moins selon le tissu4. C’est pourquoi il est si crucial d’identifier rapidement un donneur potentiel et de le recommander à Héma-Québec. Cette identification est le plus souvent effectuée par le personnel de soins en milieu hospitalier, qui obtient alors l’autorisation des proches du défunt de les mettre en contact avec Héma-Québec. Une fois notifié, le personnel d’Héma-Québec vérifie d’abord les registres de consentement et s’assure que le donneur potentiel ne présente aucun des principaux critères d’exclusion au don (tableau I). Par la suite, le questionnaire d’évaluation médicale et sociale du donneur est rempli avec un proche du défunt, et le consentement au don est obtenu (s’il n’est pas déjà consigné dans l’un des registres, auquel cas le proche en est informé). Le plus souvent, cette démarche se fait par téléphone. Les équipes de prélèvement sont ensuite mobilisées les tissus oculaires peuvent être prélevés directement dans les centres hospitaliers, les maisons de soins palliatifs, la morgue ou les maisons funéraires, tandis que les autres tissus doivent l’être dans les installations d’Héma-Québec. Il convient de préciser que c’est le personnel d’Héma-Québec qui s’occupe de l’entièreté de l’évaluation de l’admissibilité du donneur et du processus de don. Le rôle des professionnels de la santé consiste donc uniquement à identifier un donneur potentiel et à faire le lien avec Héma-Québec.

Au Québec, la Loi sur les services de santé et les services sociaux5 spécifie que le directeur des services professionnels d’un établissement qui exploite un centre hospitalier de soins généraux et spécialisés a l’obligation de communiquer avec Héma-Québec et Transplant Québec pour les prévenir de la mort imminente ou récente d’un donneur potentiel d’organes ou de tissus. En réalité, cependant, ce rôle revient le plus souvent aux professionnels de la santé en première ligne, dont la contribution au processus de recommandation au don est inestimable. Cette collaboration est aussi essentielle quand le donneur ne meurt pas ou ne séjourne pas dans un centre hospitalier de soins généraux et spécialisés.

Les mécanismes d’identification et de recommandation des donneurs potentiels de tissus

En 2022, le Québec a enregistré 78 400 décès6, et 43 % des personnes décédées étaient potentiellement admissibles au don de tissus. Il est important de préciser qu’Héma-Québec et les agences réglementaires établissent des critères d’admissibilité qui diffèrent pour chaque tissu7. Par exemple, la plupart des cancers actifs ou passés ne constituent pas un motif d’exclusion pour le don de la cornée, alors qu’ils le sont pour d’autres tissus. L’âge est aussi un facteur important pour déterminer quels tissus peuvent être prélevés. L’âge maximal est de 85 ans pour le don de la cornée et de 60 ans pour le don des tissus cardiovasculaires.

À noter que les donneurs potentiels chez les enfants doivent aussi être dirigés vers Héma-Québec, car les tissus cardiaques peuvent être prélevés dès la naissance. En effet, Héma-Québec doit maintenir en réserve des valves cardiaques de diamètres variés afin de traiter des enfants. En somme, l’admissibilité au don d’un tissu donné repose sur un examen approfondi des antécédents médicaux et sociaux. Pour cette raison, Héma-Québec demande aux professionnels de la santé de lui recommander tous les patients décédés qui ne présentent pas l’un des critères d’exclusion (tableau I).

Contrairement au don d’organes, le nombre de candidats au don de tissus est beaucoup plus élevé. Par conséquent, le principal défi du don de tissus consiste à s’assurer que les décès sont signalés à Héma-Québec, en temps opportun, afin que les démarches menant au don soient entreprises.

Pour ce faire, Héma-Québec a mis au point des mécanismes permettant d’identifier des donneurs potentiels en collaboration avec ses partenaires. Par exemple, de nouveaux parcours des personnes décédées ont émergé dans les dernières années. Une proportion grandissante des constats de décès se fait maintenant à distance (ex. au domicile du défunt) par des équipes spécialisées. Héma-Québec collabore avec ces équipes pour identifier les donneurs potentiels et aborder l’option du don de tissus avec les proches. Un autre exemple de partenariat est celui qu’Héma-Québec a conclu en 2020 avec le Bureau du coroner du Québec qui reçoit de 7 % à 8 % des signalements des décès survenus chaque année au Québec8. Comparativement aux décès en milieu hospitalier, les décès signalés au bureau du Coroner touchent souvent des personnes ayant des caractéristiques plus favorables au don de tissus cardiovasculaires. Or, ces tissus sont en forte demande, ce qui rend cette collaboration indispensable pour assurer un approvisionnement suffisant pour la population québécoise. Le personnel d’Héma-Québec travaille en collaboration avec les coroners afin de rendre possible le don de tissus sans compromettre la recherche des causes du décès.

Plus récemment, l’aide médicale à mourir, qui représentait 3663 décès en 2021-229, offre une nouvelle façon de donner des tissus. La discussion sur le don de tissus intervient entre le médecin et son patient. Quand un patient consent à donner ses tissus, le personnel d’Héma-Québec remplit le questionnaire médicosocial avec lui, de son vivant.

Ces trois exemples illustrent le fait que le parcours d’un défunt change au gré de l’évolution de la société et des pratiques hospitalières. Ces exemples montrent avant tout l’importance pour Héma-Québec de travailler de concert avec les partenaires du don.

La performance du système de don au Québec et ses particularités

Héma-Québec est responsable de toutes les étapes d’approvisionnement en tissus humains, y compris de la formation du personnel et du public, de la mise en place des mécanismes de recommandation des donneurs, de la détermination de l’admissibilité au don, du prélèvement et de la préparation des tissus, de la distribution ainsi que du service à la clientèle. On trouve ce modèle de banques de tissus intégrées dans d’autres provinces canadiennes, à la différence qu’elles relèvent toutes d’une agence de santé provinciale, et non de l’organisme responsable du système du sang comme au Québec. De plus, il existe des divergences marquées en ce qui a trait aux infrastructures de prélèvement et de transformation des tissus, de sorte que l’accès à la greffe de tissus et l’autosuffisance en tissus humains sont inégaux d’une province à l’autre10. D’ailleurs, le Québec et le reste du Canada sont loin d’être autosuffisants en tissus humains pour répondre aux besoins de la population. Le Québec peut se réjouir de son fort taux d’autosuffisance de certains tissus critiques, tels que les cornées et les tissus cutanés superficiels pour le traitement des grands brûlés. Toutefois, environ 40 % des tissus greffés au Québec proviennent de l’étranger, essentiellement des États-Unis. Ces importations concernent principalement les tissus très transformés, comme les matrices osseuses déminéralisées et les matrices dermiques acellulaires.

En 2021, le ministre de la Santé et des Services sociaux a élargi le mandat confié à Héma-Québec en 2001 en lui octroyant l’exclusivité de la distribution des tissus humains dans les établissements de santé publics du Québec. Ce mandat s’inscrit dans les meilleures pratiques internationales1 et permettra à Héma-Québec d’assurer la qualité des tissus humains et de centraliser les échanges d’informations entre les fournisseurs et les utilisateurs, notamment en ce qui a trait à la déclaration des événements indésirables suivant la greffe de tissus humains. Héma-Québec est ainsi en bonne position pour cibler les besoins de chaque type de tissu et de planifier l’approvisionnement afin de soutenir un accès juste, opportun et équitable en tissus humains. De plus, les informations cruciales sur la capacité et la demande du système québécois ont permis de constater une dépendance excessive à l’égard des tiers. Ainsi, forte de son nouveau mandat, Héma-Québec s’est fixée des objectifs d’accroissement de l’autosuffisance en tissus humains au Québec.

Que nous réserve l’avenir ?

La réglementation entourant les activités des banques de tissus humains s’est grandement bonifiée depuis vingt ans, ce qui a rendu les tissus humains plus sûrs (diminution du risque d’infections et d’autres effets indésirables). Aujourd’hui, toutes les spécialités chirurgicales ont recours à des tissus humains, l’orthopédie détenant le haut du pavé en ce qui concerne la diversité et la quantité de tissus greffés (tableau II).

Le domaine de la greffe de tissus humains est extrêmement dynamique. Les évolutions et les innovations se succèdent à une vitesse vertigineuse. Les chercheurs universitaires et de l’industrie, en collaboration avec les médecins spécialistes, développent de nouveaux traitements à base de tissus ou perfectionnent ceux déjà connus. Il en est de même à Héma-Québec, où les chercheurs et les professionnels collaborent avec les acteurs de l’écosystème du don et de la transplantation à l’échelle internationale. On continue d’apprécier les avantages des tissus humains par rapport aux matériaux synthétiques. Par exemple, des données probantes confirment que les valves pulmonaires humaines confèrent des avantages importants par rapport aux valves mécaniques et aux bioprothèses11. De nouvelles indications médicales sont également découvertes pour certains tissus. Par exemple, les membranes amniotiques (employées depuis longtemps en ophtalmologie) sont de plus en plus utilisées pour prévenir les adhérences et limiter le tissu cicatriciel dans l’espace épidural après une laminectomie12.

Conclusion

Malgré l’essor du génie tissulaire et des thérapies cellulaires, la pertinence des tissus humains dans l’arsenal thérapeutique est bien établie. D’ailleurs, des interactions importantes entre les thérapies cellulaires et le domaine des tissus humains sont à nos portes. Par exemple, la transplantation de cellules endothéliales cultivées in vitro pourraient potentiellement représenter un substitut à certaines greffes de tissus allogéniques13. Cela dit, bien malin celui qui peut prédire si les tissus humains seront encore nécessaires dans 150 ans. Nous pouvons toutefois parier sans grand risque que nous en aurons encore besoin pour au moins quelques décennies. Alors, continuons de nous mobiliser pour le don de tissus afin d’avoir une banque de tissus forte au service de la population du Québec.

Pour en savoir davantage sur le don de tissus et comment recommander un donneur, consultez la section professionnelle du site Web d’Héma-Québec.

Date de réception : le 11 octobre 2023
Date d’acceptation : le 27 octobre 2023

M. Étienne Fissette et Dr Marc Germain n’ont signalé aucun conflit d’intérêts. Mme Mélanie Dieudé a reçu des subventions de recherche de Boehringer Ingelheim Global de janvier 2022 à juin 2023.

Ce que vous devez retenir

  • La greffe de tissus permet chaque année d’améliorer et même de sauver la vie de milliers de patients au Québec.
  • Le rôle crucial des professionnels de la santé est d’identifier les donneurs potentiels. Héma-Québec prend ensuite en charge l’entièreté du processus de don.
  • Le ministère de la Santé a confié à Héma-Québec le mandat exclusif de la distribution de tissus humains dans le réseau hospitalier.

Bibliographie

1. Sánchez-Ibañez J, Humphreys C, Lomero M et coll. Tissue and cell donation: Recommendations from an International Consensus Forum. Transplant Direct 2023 ; 9 (5) e1466. DOI 10.1097/TXD.0000000000001466.

2. LégisQuébec. Code civil du Québec. RLRQ, c. CCQ-1991, c. 64, a. 43. Québec Éditeur officiel du Québec ; 2023.

3. LégisQuébec. Code civil du Québec. RLRQ, c. CCQ-1991, c. 64, a. 44. Québec Éditeur officiel du Québec ; 2023.

4. Brubaker S, Lotherington K, Zhao J et coll. Tissue recovery practices and bioburden: a systematic review. Cell Tissue Bank 2016 ; 17 561-71. DOI 10.1007/s10561-016-9590-5.

5. LégisQuébec. Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, art. 204.2. Québec Éditeur officiel du Québec ; 2023.

6. Institut de la statistique du Québec. Décès et taux de mortalité, Québec, 1900-2022 [en ligne]. Québec l’Institut ; [cité le 3 août 2023].

7. Ministère de la Justice. Règlement sur la sécurité des cellules, tissus et organes humains destinés à la transplantation DORS/2007-118 [en ligne], 7 juin 2007. [cité le 3 août 2023] (Canada).

8. Gouvernement du Québec. Bureau du coroner. Québec Gouvernement du Québec ; 2023.

9. Institut national d’excellence en santé et en services sociaux. Dépôt du rapport annuel 2021-2022 de la Commission sur les soins de fin de vie le Québec continue de bien faire les choses en matière d’aide médicale à mourir [Internet]. Québec l’Institut ; [cité le 3 août 2023].

10. Bae SS, Rocha G, Humphreys C et coll. A National Consensus Forum on improving cornea donation and transplantation access in Canada. BMC Proc 2021 ; 15 (10) 1-4. DOI https://doi.org/10.1186/s12919-021-00215-6.

11. Yokoyama Y, Kuno T, Toyoda N et coll. Ross procedure versus mechanical versus bioprosthetic aortic valve replacement: a network meta-analysis. J Am Heart Assoc 2023 ; 12 (1) e8066. DOI 10.1161/JAHA.122.027715.

12. Tao H, Fan H. Implantation of amniotic membrane to reduce postlaminectomy epidural adhesions. Eur Spine J 2009 ; 18 (8) 1202-12. DOI 10.1007/s00586-009-1013-x.

13. Kinoshita S, Koizumi N, Ueno M et coll. Injection of cultured cells with a rock inhibitor for bullous keratopathy. N Engl J Med 2018 ; 378 (11) 995-1003. DOI 10.1056/NEJMoa1712770.

Les auteurs remercient Samuel Rochette pour ses commentaires et pour avoir fait une révision linguistique.

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Tableau I
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Tableau II
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