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Chirurgie bariatrique et modification des habitudes de vie

quelle est leur efficacité à long terme contre le diabète mal maîtrisé ?

Élyanthe Nord  |  2024-04-22

Carpentier

À l’heure des nouvelles molécules antidiabétiques, qu’en est-il de la chirurgie bariatrique et du changement des habitudes de vie ? Quelle est leur efficacité à long terme contre le diabète mal maîtrisé chez les patients ayant un important surplus de poids ? La réponse apparaît dans une étude récente du Journal of the American Medical Association (JAMA) : au bout de sept ans, et même de douze ans, l’intervention chirurgicale reste la plus performante des deux méthodes1.

L’étude ARMMS-T2D (Alliance of randomized trials of medicine vs metabolic surgery in type 2 diabetes) a réuni quatre essais cliniques à répartition aléatoire effectués dans quatre centres américains. Les participants, des patients atteints de diabète de type 2 dont l’indice de masse corporelle (IMC) variait de 27 à plus de 35, avaient soit subi une chirurgie bariatrique (n 166), soit suivi un programme intensif de changement des habitudes de vie (n 96) (groupe « traitement médical ») entre 2007 et 2013. Le suivi médian, effectué dans le cadre de l’étude ARMMS-T2D, a été de onze ans.

Une étude importante

Dès le début, la chirurgie bariatrique s’était révélée très efficace. La première année, 51 % des participants opérés avaient connu une rémission du diabète* contrairement à 0,5 % des sujets du groupe « traitement médical ».

Mais au bout de sept ans ? Chez les sujets opérés, 18 % sont encore normoglycémiques sans l’aide de médicaments. Leur hémoglobine glyquée, initialement de 8,7 %, a diminué de 1,6 %. En outre, 40 % ne prennent plus d’antidiabétiques, et leur perte de poids reste en moyenne de 20 % (tableau). Ils sont cependant plus nombreux que les sujets du groupe comparatif à subir des effets indésirables comme l’anémie, les fractures et les troubles gastro-intestinaux.

Dans le groupe « traitement médical », après sept ans, 6 % béné­ficient d’une rémission du diabète. L’hémoglobine glyquée des sujets, à 8,2 % au début de l’étude, a diminué de 0,2 %. Leur perte de poids moyenne est de 8 % de la valeur initiale et presque tous (96 %) continuent à prendre des anti­dia­bétiques (tableau).

Le critère d’évaluation principal de l’étude : le changement du taux d’hémoglobine glyquée après sept ans. La différence entre les deux groupes s’élève à 1,4 %. « Cet écart est cliniquement significatif. La plupart des médicaments antidiabétiques ont des effets de 0,5 % à 1,5 % de réduction par rapport au placebo. Le résultat est donc très impressionnant après tout ce temps », estime le Dr André Carpentier, endocrinologue et directeur scientifique du Centre de recherche du CHU de Sherbrooke.

L’étude ARMMS-T2D, menée par la Dre Anita Courcoulas, de l’Université de Pittsburgh, constitue la preuve la plus solide jusqu’à présent de l’efficacité à long terme de la chirurgie bariatrique contre le diabète de type 2, affirment pour leur part le Dr Thomas Wadden et ses collègues dans l’éditorial du JAMA2.

Les deux côtés de la médaille

« On savait déjà que la chirurgie bariatrique était le traitement le plus efficace contre le diabète de type 2, affirme le Dr Carpentier, également professeur à l’Université de Sherbrooke. L’intérêt de cette étude est de montrer la durée de son effet, mais aussi sa perte progressive d’efficacité. Une proportion grandissante de participants redevenaient diabétiques. »

Le taux de rémission du diabète, de 51 % la première année, chute à 38 % au bout de trois ans, puis à 18 % après sept ans et finalement atteint 13 % après douze ans. « Il peut y avoir une diminution du fonctionnement des cellules bêta du pancréas ou un effet du vieillissement », indique le spécialiste. Mais malgré la récidive, les participants continuaient à avoir une meilleure maîtrise de leur glycémie. Leur perte de poids s’est également maintenue au fil des ans : de 20 % après sept ans, elle était de 19 % au bout de douze ans.

Dans le groupe « traitement médical », la perte pondérale, qui était de 8 % après sept ans, ne s’atténuait pas non plus cinq ans plus tard. Les interventions avaient par ailleurs été intensives. Elles incluaient des éléments de programmes reconnus pour leur efficacité, comme Look AHEAD et Prévention du diabète. Toutefois, au cours des années, 25 % des patients de ce groupe ont subi une chirurgie bariatrique. Après douze ans, le groupe ne comptait plus qu’une trentaine de participants, dont aucun n’était en rémission du diabète ou ne présentait un IMC de 25 ou moins.

« Il est très difficile de garder une importante perte de poids à long terme par des approches strictement comportementales », explique le Dr Carpentier. Certains de ses patients y réussissent toutefois. « Généralement, c’est parce qu’ils ont complètement changé leur vie. Il faut souvent une approche globale qui va au-delà de l’alimentation et de l’exercice. Les gens modifient radicalement leur façon de vivre. Ils effectuent des changements profonds qui touchent la manière dont ils mangent, pourquoi ils mangent, avec qui ils mangent, combien de temps ils mangent, qu’est-ce qu’ils font entre les repas, pendant les repas. Ce sont fréquemment des changements comportementaux, familiaux, de couple, d’emploi. Les gens ne vivent plus de la même manière, ne se comportent plus de la même façon. »

Réduire le gras viscéral

À la lumière de l’étude ARMMS-T2D, faudrait-il recom­mander davantage la chirurgie bariatrique aux patients ? Au CHU de Sherbrooke, environ 150 patients se font opérer chaque année. « Je pense que c’est une minorité à qui l’on doit proposer cette intervention, affirme le Dr Carpentier. Par contre, on aurait avantage à intensifier beaucoup notre approche thérapeutique globale pour s’attaquer au surplus de gras viscéral des patients. Cela se fait par la révision des habitudes de vie et l’emploi judicieux de médicaments. »

L’algorithme de traitement actuel n’est toutefois pas idéal. « On ne respecte pas les données scientifiques dans les protocoles cliniques habituels pour le remboursement des médicaments. On est par exemple obligés d’utiliser certaines classes de molécules, comme les sulfonylurées, dans notre algorithme alors que l’on sait qu’elles n’ont pas de bienfaits en dehors de la réduction de la glycémie. Elles ne diminuent ni le risque cardiovasculaire, ni le poids, ni la pression artérielle. Elles peuvent même causer des hypoglycémies et faire grossir certains patients. Elles sont employées uniquement parce qu’elles sont bon marché », indique l’endocrinologue.

Le prix de ces médicaments constituerait en fait une fausse économie. « Les sulfonylurées ne coûtent presque rien tant qu’on ne calcule pas le prix des effets indésirables, le coût de ne pas traiter efficacement les gens pendant des années et la perte de temps de professionnels forcés d’utiliser des médicaments en fin de compte inefficaces. »

Des traitements puissants parfois nécessaires

Il existe maintenant de puissantes molécules, comme le sémaglutide (Ozempic) et bientôt le tirzépatide (Mounjaro). Où se situent-elles dans la lutte contre le diabète ? Elles pourraient faire concurrence à la chirurgie bariatrique. « C’est possible qu’elles deviennent un traitement de choix pour certains patients », affirme le Dr Carpentier.

Dans un essai clinique à répartition aléatoire de 72 semaines comprenant 938 sujets obèses ou ayant un surplus de poids et atteints de diabète de type 2, le tirzépatide a réduit l’hémoglobine glyquée de 2,1 % contre 0,5 % pour le placebo. Le médicament a par ailleurs diminué le poids en moyenne de 14,7 % tandis que le placebo ne l’a baissé que de 3,2 %2. Mais l’effet de ces médicaments s’atténuera-t-il avec les années comme celui de la chirurgie bariatrique ? se demandent les éditorialistes du JAMA. Des études devront le déterminer.

Des traitements puissants, qu’ils soient chirurgicaux ou pharmacologiques, sont importants dans l’arsenal contre le diabète et l’obésité. « Lorsque le risque cardiométabolique d’une personne est suffisamment élevé, je pense qu’il faut considérer ces approches. Elles s’attaquent à des facteurs très intimement associés au développement du diabète, comme la présence de gras viscéral et l’excédent de graisse dans des organes comme le foie », mentionne le Dr Carpentier.

* Une hémoglobine glyquée inférieure à 6,5 % sans médicament pendant au moins trois mois.

Bibliographie

1. Courcoulas A, Patti ME, Hu B et coll. Long-term outcomes of medical management vs bariatric surgery in type 2 diabete. JAMA 2024 ; 331 (8) : 654-64. DOI : 10.1001/jama.2024.0318.

2. Wadden T, Kushner R et Chao A. Bariatric surgery produces long-term benefits in patients with type 2 diabetes: evidence supporting its expanded use and coverage. JAMA 2024 ; 331 (8) : 643-5. DOI : 10.1001/jama.2023.28141.

 

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