Nouvelles syndicales et professionnelles

Nouveau Code de déontologie des médecins

interdire les avantages financiers dans une clinique ?

Emmanuèle Garnier  |  2014-03-26

Le Collège des médecins du Québec souhaite apporter plusieurs changements à son Code de déontologie, entre autres à l’article 73 qui concerne les avantages financiers qu’un médecin peut tirer du fait de rédiger des ordonnances. Cette modification pourrait avoir d’importantes conséquences.

Me Pierre Belzile-vp1

Les cliniques médicales qui abritent dans leurs murs un centre de prélèvement devront-elles rompre son bail ? Devront-elles expulser l'entreprise ? C’est la ques­tion que se posent certains en lisant les modifications que le Collège des médecins du Québec (CMQ) suggère d’apporter à son Code de déontologie.

Le nouvel article 73 qui est proposé indique que le médecin doit s’abste­nir, quand il prescrit des examens, des mé­di­ca­ments ou des traitements, de cher­cher « un avantage financier » di­rectement, indirectement ou par l’en­tre­mise d’une entreprise qui lui ap­par­tient. Cela exclut toutefois les ho­no­raires. Cette modification consti­tue un grand changement, parce qu’ac­tuel­le­ment le Code n’interdit que d’obtenir « indûment un profit » (encadré).

« On risque de mettre en péril l’entrepreneuriat médical avec des mesures comme celle-ci », soutient Me Pierre Belzile, directeur des Affaires juridiques de la FMOQ. Poussé à l’extrême, le nouvel article 73 pourrait signifier que la prescription d’une analyse sanguine à un patient peut éventuellement être interprétée comme un acte apportant un avantage financier si le médecin est propriétaire d’une clinique dans laquelle se trouve un laboratoire.

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Mais de quel avantage financier s’agirait-il ? « Certains médecins reçoi­vent, par exemple, un loyer ou ont né­go­cié d’autres types d’arrangements financiers avec certains laboratoires. Les cliniciens retirent donc un avantage financier de la prescription d’ana­lyses, puisque s’ils ne rédigeaient pas d’ordonnances, le laboratoire n’aurait aucun intérêt à s’installer dans leurs locaux », répond l’avocat.

La même logique pourrait s’appliquer aux cabinets médicaux logés à prix concurrentiels dans l’immeuble d’une pharmacie. Les médecins qui bénéficient de frais réduits dans des centres de santé pourraient aussi être touchés : leur attrait vient de leur capacité de prescrire des traitements que d’autres professionnels de la santé présents sur les lieux peuvent donner.

Évidemment, il s’agit là d’interprétations rigoristes du nouvel article 73. Le syndic du Collège pourrait ne pas se montrer aussi sévère, mais il aurait le pouvoir de l’être.

Cesser d’offrir certains services ?

Quelles seraient les répercussions de la modification de l’article 73 pour les cliniques actuelles ? « Les médecins devraient remettre en question les activités qu’ils font tous les jours si elles leur permettent de réaliser des profits dans l’ordonnance d’examens, de médicaments ou de traitements. Certaines cliniques médicales exploitées par des médecins pourraient se demander si elles continuent à offrir tel ou tel service à leurs patients. »

La FMOQ a vivement réagi aux changements proposés par le Collège des médecins. Elle estime qu’il serait « dangereux de procéder à une modification qui aurait pour effet de nuire grandement à la pratique de milliers de médecins qui gèrent leurs cliniques de manière honnête et légitime. Il n’y a aucune raison valable d’empêcher un médecin, par l’introduction d’une disposition extrême, de réaliser un bénéfice juste et suffisant par rapport aux sommes qu’il a investies pour administrer de façon professionnelle sa clinique médicale », a écrit la Fédération à l’Office des professions du Québec dans le cadre de la consultation qui était menée sur le nouveau Code de déontologie.

Le remaniement de l’article 73 est, aux yeux de la FMOQ, l’élément clé de la révision du Code de déontologie que le Collège a entreprise il y a un peu plus d’un an. Au début de l’année, les modifications que le CMQ désirait apporter ont été envoyées à l’Office des professions et une consultation publique a ensuite été organisée.

Des propriétaires non-médecins

La FMOQ remarque que les règles qui régissent la pratique médicale dans les cliniques deviennent de plus en plus contraignantes. « Quand on ajoute encore des restrictions à l’exercice médical dans un cabinet privé, on n’incite pas les cliniciens à devenir entrepreneurs ni à continuer à l’être », fait remarquer Me Belzile.

Si l’article 73 est modifié, les praticiens pourraient y réfléchir à deux fois avant d’investir dans la construction d’une clinique. « Ils préféreront peut-être pratiquer dans une clinique qui n’appartient pas à un médecin. »

Cependant, si bien des médecins renoncent à être propriétaires de cliniques médicales, qui va l’être ? Probablement des non-médecins. « On va alors se trouver dans une situation où des gens pourront exploiter des cliniques médicales sans être soumis à des normes déontologiques. » L’effet obtenu risque d’être à l’opposé de celui que cherche le Collège des médecins : la protection de la population.

Sous-jacent à la question des avantages financiers, il y a aussi, dans le nouvel article 73, celle des profits. Un enjeu à la fois tabou et incontournable. « Quand on se fait dire qu’on ne peut plus réaliser quelque profit que ce soit dans le cadre de certaines activités médicales pourtant non assurées en cabinet, qu’est-ce que cela donne d’investir dans une clinique ? », demande Me Belzile.

Certaines cliniques investissent de grandes sommes : matériel à la fine pointe de la technologie, appareils facilitant la pratique, équipement permettant d’offrir plus de services aux patients, décor moderne. « Pourquoi le médecin ne pourrait-il pas faire de profits avec ses investissements ? Cela permet à la clinique non seulement de se renouveler constamment, mais aussi de recruter plus facilement de nouveaux médecins. Cela rend le lieu de travail attrayant, dynamique, performant, intéressant et rentable. »

La Fédération est inquiète. « Si elle est approuvée, cette mo­dification à portée très restrictive pourrait avoir des répercussions néfastes importantes sur le développement des services médicaux de première ligne au Québec. La FMOQ est d’avis que le Collège doit revoir sa position et qu’il ne doit pas nier aux médecins le droit de réaliser des profits de façon juste, légitime et raisonnable. » Aucun autre code de déontologie n’est par ailleurs aussi sévère sur le plan financier.

Une modification nuisible

« On aimerait que le Collège examine davantage les conséquences qui découleront des modifications qu’il propose. On estime qu’il n’y a pas eu une analyse suffisante des répercussions », affirme Me Belzile. La formulation actuelle de l’article 73 semble tout à fait adéquate à la FMOQ. En interdisant « de rechercher ou d’obtenir indûment un profit », elle permet de prévenir les abus.

La FMOQ s’oppose donc vigoureusement à la nouvelle version du Code de déontologie. À son avis, l’Office des professions ne doit pas l’approuver tel quel. « Ce projet de modification de l’article 73 fragilise dangereusement la pérennité des cliniques médicales qu’administrent les médecins, et ce, au détriment de la protection du public », a-t-elle écrit à l’Office des professions. //