Nouvelles syndicales et professionnelles

Nouvelle loi sur la réorganisation du réseau de la santé

les changements qui sont apparus

Emmanuèle Garnier  |  2015-02-26

Entre le projet de loi no 10 et la loi qui a été adoptée par l’Assemblée nationale, il y a plusieurs différences importantes. Certains changements répondent aux demandes de la Fédération, mais l’une des modifications constitue une mauvaise surprise.

Pierre Belzile

Adopté le 7 février dernier grâce au recours au bâillon, le projet de loi no 10 réorganise le réseau de la santé. Que contient vraiment la nouvelle loi ? Comporte-t-elle les modifications demandées par la FMOQ ?

Ce que la Fédération appréhendait se confirme : l’incertitude autour de la gestion des futurs centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS). « Comment vont fonctionner ces mégastructures ? On l’ignore », dit Me Pierre Belzile, directeur du Service juridique de la FMOQ. La nouvelle loi n’apporte aucune réponse à cette question.

« Comment les administrateurs pourront-ils être efficaces et assurer le bon exercice de la médecine au sein d’un établissement où tout est surdimensionné ? », demande l’avocat. Comment fera le chef de département pour diriger tous ses cliniciens ? Comment le nouveau conseil des médecins, dentistes et pharmaciens pourra-t-il encadrer tous les membres de son grand territoire ? Les difficultés seront-elles réglées aussi efficacement en ce qui concerne les activités cliniques et les services aux patients ?

Une très mauvaise surprise

La nouvelle loi réserve, par ailleurs, une très mauvaise sur­prise aux professionnels de la santé. « Alors que les par­le­mentaires procédaient à l’étude détaillée du projet de loi, le ministre Barrette a présenté un amendement », explique Me Belzile. Dorénavant, un médecin, un dentiste ou un pharmacien d’un hôpital peut devoir aller pratiquer temporairement dans un autre établissement de son territoire s’il y a un problème d’accès aux services (encadré).

Encadré

Modification de l’article 61 de la nouvelle loi

Mesure en cas de problème d’accès aux services médicaux dans un hôpital

Version présentée initialement par le ministre de la Santé :

(…) la résolution doit prévoir que, dans l’éventualité où des problèmes d’accès à des services sont constatés dans une autre installation du centre intégré, un médecin, un dentiste ou un pharmacien doit, compte tenu de ses compétences professionnelles et sur demande du directeur des services professionnels, du président du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens, d’un chef de département clinique ou, en cas d’absence ou d’incapacité d’agir de ces personnes, du président-directeur général du centre intégré, accepter d’exercer temporairement sa profession dans l’installation qui lui est indiquée.

Version adoptée après l’intervention des trois fédérations de médecins :

(…) la résolution doit prévoir que, dans l’éventualité où des problèmes urgents ou semi-urgents d’accès à des services sont constatés dans une autre installation du centre intégré ou d’un établissement regroupé, un médecin, un dentiste ou un pharmacien doit, sur demande du directeur des services professionnels, du président du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens, d’un chef de département clinique ou, en cas d’absence ou d’incapacité d’agir de ces personnes, du président-directeur général du centre intégré, offrir un support temporaire dans l’installation qui lui est indiquée, et ce, collectivement avec les autres membres de son service ou de son département.

La participation du médecin, dentiste ou pharmacien à un tel support temporaire est déterminée en tenant compte de ses compétences professionnelles, de la situation des effectifs dans son installation et de la nécessité de ne pas y créer également de problèmes significatifs d’accès aux services. Cette participation ne peut avoir pour effet de remettre en question l’exercice principal de sa profession dans son installation, ne s’applique que pour une installation située à moins de 70 kilomètres de celle où il exerce de façon principale et ne peut s’étendre sur une période de plus de trois mois qui pourrait être reconduite après réévaluation de la situation. »

« Cette nouvelle disposition est arrivée de nulle part. Il n’y a pas eu de consultation. On n’a jamais été prévenu. La FMOQ est passée en commission parlementaire. On a eu des échanges avec les parlementaires et le ministre lui-même, et il n’a jamais été question de cette mesure », souligne l’avocat.

Dès que la FMOQ, la Fédération des médecins spécialistes du Québec et la Fédération des médecins résidents du Québec ont découvert le nouvel article de loi, elles sont immédiatement intervenues pour tenter d’en atténuer la portée. « On a proposé une nouvelle approche au gouvernement sachant que le ministre fonctionnait de façon autoritaire et ne renoncerait pas à son amendement. »

Les trois fédérations ont réussi à faire insérer certaines balises dans la loi. Ainsi, un médecin ne devra aller pratiquer dans un autre hôpital que le sien qu’en cas de problèmes urgents ou semi-urgents d’accès à des services. Sa responsabilité ne sera plus individuelle, mais partagée avec les autres membres de son service. On pourra lui demander son aide au plus pendant trois mois et dans un rayon de moins de 70 km. L’absence du clinicien ne devra évidemment pas causer un important problème d’accès aux services dans son propre milieu de travail (encadré). « S’il n’en avait tenu qu’à nous, cet amendement aurait été éliminé », affirme Me Belzile.

Les CA des CISSS

Les omnipraticiens qui pratiquent dans les hôpitaux pourront finalement faire partie du conseil d’administration (CA) des CISSS, contrairement à ce que prévoyait la version initiale du projet de loi 10. « Il n’y avait aucune justification pour en exclure ces médecins. C’était illogique. »

La loi indique donc que le CA du CISSS comprendra « un médecin omnipraticien qui exerce sa profession sur le territoire du centre intégré, désigné par et parmi les membres du département régional de médecine générale. » Aucune exclusion n’est mentionnée. La FMOQ en est satisfaite. « C’est une belle victoire, parce que cela nous tenait à cœur », dit Me Belzile.

Six CISSS de plus

En ce qui concerne les CISSS, il y en aura six de plus que prévu. Le nombre d’établissements du réseau qui s’élevait à 182 passera à 34, plutôt qu’à 28.

La Montérégie a gagné deux CISSS, ce qui lui en fera trois au total. Les Îles-de-la-Madeleine auront leur propre CISSS, indépendant de celui de la Gaspésie. La Capitale-Nationale, pour sa part, possède dorénavant deux établissements non fusionnés en plus de son CISSS universitaire. Pour finir, l’Institut Philippe-Pinel de Montréal demeure indépendant. « Le ministre a fait des concessions, mais les CISSS restent des établissements dont les dimensions sont encore démesurées », constate le chef du Service juridique.

La manière dont tout le processus s’est déroulé est navrante, déplore Me Belzile. « Le succès d’une réforme repose sur la transparence et la collaboration. Dans le cas du projet de loi 10, ces éléments ont fait défaut. En soi, la Fédération n’était pas contre l’abolition des agences de santé ni contre la réforme des structures du réseau. Le problème a été la façon de faire. La surprise qu’a été l’amendement apporté par le ministre de la Santé en témoigne. »

La FMOQ a toujours été ouverte au changement, estime l’avocat. « Les modifications qui ont le mieux réussi sont celles où le gouvernement a traité la Fédération comme une importante collaboratrice. » //