Nouvelles syndicales et professionnelles

Cliniques médicales

un bon service à la clientèle ?

Emmanuèle Garnier  |  2016-01-27

Certains omnipraticiens, comme le Dr Michel Breton, estiment que les médecins de famille doivent se familiariser avec un nouveau concept : le service à la clientèle. En quoi est-ce que cela consiste dans leur cas ?

Drr Michel Breton

« Si votre dentiste offrait le même accès téléphonique et le même service à la clientèle que ceux que vous offrez dans votre clinique, resteriez-vous longtemps avec lui ? » Président de l’Association des médecins omnipraticiens de Laval, le Dr Michel Breton n’hésite pas à poser cette provocante question à ses membres.

« Il faut réfléchir à la qualité de notre service clientèle. Au Québec, on en est rendu à accepter l’inacceptable, affirme le médecin. Les patients disent : “Je suis arrivé à la clinique le matin à 8 heures, et il n’y avait plus de place. C’est normal, il était bien trop tard.’’ Cela n’a aucun sens ! »

Et que dire des heures que doivent pas­ser les patients au téléphone pour essayer de joindre la clinique ! « Cela n’a aucun sens quand on pense “service clientèle”. Si notre patient n’est pas capable de nous joindre, on a un problème, et il faut le régler. »

Mais pourquoi les médecins devraient-ils faire plus d’efforts ? Ils ont déjà plein de patients. « On peut se forcer, parce que la loi du marché nous y oblige, mais on peut aussi le faire parce qu’en tant que professionnels, c’est notre devoir de répondre à nos engagements », estime le Dr Breton.

Un bon accueil

Comment alors améliorer le service à la clientèle dans sa clinique ? On peut commencer par une réflexion de groupe avec toute l’équipe, propose Mme Sylvie Brazeau, qui a été sept ans directrice du service à la clientèle dans une entreprise d’informatique et est maintenant conseillère au Département régional de médecine générale (DRMG) de Laval pour le projet Accès adapté. « Il faut se poser des questions comme : Quelle image veut-on projeter auprès des patients ? Quelle expérience désire-t-on leur offrir quand ils se présentent dans notre clinique ? Qu’est-ce qui nous démarque ? Quels sont les services qu’on offre ? Qui sont nos patients ? D’où viennent-ils ? Si on a à améliorer nos services, on peut orienter certaines solutions en fonction de ces éléments de réflexion. »

« Si votre dentiste offrait le même accès téléphonique et le même service à la clientèle que ceux que vous offrez dans votre clinique, resteriez-vous longtemps avec lui ? »

– Dr Michel Breton

L’image désirée de la clinique ? Ce peut être celle d’un en­droit réconfortant, professionnel où les patients se sentent accueillis. Ce qui peut démarquer le cabinet ? « C’est le service à la clientèle, la façon dont la clinique est organisée. Est-ce facile de s’y retrouver ? Est-ce calme ? Est-ce qu’on trouve l’information rapidement ? Est-on bien reçu ? »

Il faut entre autres placer les personnes adéquates à l’accueil. Elles doivent être capables d’offrir un bon service au patient. Courtoisie, écoute, sourire, patience. Il faut également une uniformité. « On doit définir des standards de fonctionnement pour que le patient ait le même service, peu importe la personne qui lui répond », indique Mme Brazeau.

Bien gérer les appels téléphoniques

Le système téléphonique est un élément important. « Il faut se demander : Pour quels motifs les patients appellent-ils ? Est-ce que le service téléphonique répond à leurs besoins ? Est-ce qu’il donne priorité à la prise de rendez-vous ? »,demande Mme Brazeau qui donne des ateliers portant sur cet aspect précis.

Il faut aussi réfléchir au cheminement de l’appel. Est-ce que le patient est souvent mis en attente ? Doit-il passer par trois ou quatre options avant de parler à la réceptionniste ? Lorsqu’il attend, entend-il des messages intéressants ?

Souvent, toutefois, les appels téléphoniques s’abattent sur les cliniques comme une déferlante. Il y a quelque cinq ans, le Dr Breton et ses collègues ont fait faire une étude de tous les coups de fil que recevait leur cabinet, que le patient ait eu la ligne ou non. « Sur vingt jours ouvrables, il y a eu 84 000 ap­pels. C’était 4200 par jour. On était seize médecins à l’époque. »

Mme Sylvie Brazeau

Les responsables de la clinique ont alors réfléchi : cela ne servait à rien d’ajouter des lignes ou des téléphonistes. « Ce qu’il faut, c’est s’assurer que le client n’appelle qu’une seule fois. On a dit aux secrétaires : “Ne demandez jamais à la clientèle de rappeler. Gérer le problème sur-le-champ.’’ » Si la secrétaire n’a pas l’horaire d’un médecin, elle doit noter le numéro de téléphone du patient qui veut le rencontrer et le rappeler.

Des techniques comme le questionnement dirigé peuvent par ailleurs être utiles. Plutôt que de laisser le patient exposer la situation, la secrétaire lui demande d’emblée les informations dont elle a besoin pour mieux le diriger. « C’est une façon plus efficace de communiquer avec le patient », précise Mme Brazeau.

Les différentes technologies peuvent aussi venir en aide aux cliniques débordées par les appels. « Il existe actuellement des applications Web qui offrent aux patients un service de prise de rendez-vous et qui sont intégrées ou non au dossier médical électronique de la clinique. Certaines cliniques ont créé leur propre site Web pour le faire », mentionne Mme Brazeau.

« Il faut se poser des questions comme : Quelle image veut-on projeter auprès des patients ? Quelle expérience désire-t-on leur offrir quand ils se présentent dans notre clinique ? Qu’est-ce qui nous démarque ? »

– Mme Sylvie Brazeau

Être plus disponible

La disponibilité du médecin fait partie d’un bon service à la clientèle, estime le Dr Breton. « Il y a moyen d’être plus accessible. L’objectif c’est que tout patient qui pense avoir besoin de rencontrer rapidement son médecin puisse communiquer avec la clinique, où l’on analyse avec lui sa demande. S’il est nécessaire qu’il rencontre le médecin le jour même, on s’assure que cela se fasse », dit le Dr Breton.

Et si le médecin ne peut voir rapidement le patient ? D’autres solutions sont immédiatement envisagées. Un mécanisme « d’escalade des urgences » est alors appliqué. « Est-ce que le patient peut être reçu par un médecin du même groupe qui aurait une plage d’urgence libre ? Est-ce qu’il peut être vu par une infirmière IPS, une infirmière du GMF ou dirigé vers le service de consultations sans rendez-vous ? L’escalade des urgences est une grille de décision afin d’aider le patient, même si son médecin n’est pas disponible », explique Mme Brazeau.

Pour un médecin, l’une des meilleures ma­­nières d’être plus disponible est le recours à l’Accès adapté. « À Laval, le DRMG, avec lequel notre association collabore très étroitement, a depuis presque un an un projet dans lequel deux professionnels, dont Mme Brazeau, aident les médecins et leur équipe à passer à l’Accès adapté. Ils font le profil de la clinique et de la pratique médicale, évaluent la clientèle et présentent un plan d’action personnalisé pour faire la transition. Ils accompagnent également l’équipe dans la gestion du changement. » Depuis un an, 33 % des médecins de famille lavallois sont d’ailleurs passés à la méthode de l’Accès adapté.

Le dossier médical électronique est, par ailleurs, un autre moyen d’être plus performant. « C’est une mine d’or d’informations. Je pense que le médecin doit s’adapter à cet outil et vraiment l’utiliser de façon optimale », estime pour sa part, Mme Brazeau.

De la concurrence d’ici à 10 ans

Pour favoriser les changements, le Dr Breton a organisé l’automne dernier un colloque intitulé : « Passer du service aux établissements au service à la clientèle. » « L’idée du colloque était de faire une analyse du contexte passé qui a mené à la situation dans laquelle nous nous trouvons et à laquelle nous devons remédier », indique le président de l’AMOL. C’est au cours de cette rencontre, à laquelle participait Mme Brazeau, qu’il a posé à ses membres sa provocante question sur leur service à la clientèle. « De façon générale, les médecins étaient conscients qu’il y avait place à l’amélioration. »

Les médecins de famille doivent offrir un service qui vise l’excellence, estime le Dr Breton. « Le marché ne nous y force pas aujourd’hui, mais dans dix ans, ce sera différent. Si l’ensemble des médecins de famille atteint l’objectif d’inscrire 85 % de la population, quels patients inscriront les nouveaux omnipraticiens en 2018 ? » Le président de l’AMOL voit, dans un avenir pas si lointain, les jeunes médecins faire concurrence à leurs aînés et ouvrir leurs propres cabinets. « C’est le moment de prendre notre clinique en main et de regarder où l’on veut s’en aller. » //