Entrevues

Entrevue avec le Dr Jacques Bouchard, président de l’Association de Québec

la région de Québec hausse ses propres cibles

Emmanuèle Garnier  |  2016-07-25

L’Association des médecins omnipraticiens de Québec (AMOQ) a décidé d’augmenter ses propres cibles d’inscription pour aider les régions qui n’atteindront pas les leurs. Son objectif pour le 31 décembre 2017 : inscrire 92 % de sa population.

M.Q. — L’AMOQ vise, pour la région de Québec, un taux d’inscription de la population non pas de 85 % d’ici 2018, mais de 92 %. Pourquoi ?

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J.B. – En ayant comme objectif d’inscrire 92 % de notre population, nous voulons donner un coup de pouce aux régions comme Montréal ou la Montérégie, où l’inscription de nouveaux patients est plus difficile. Comme l’application de la Loi no 20 va se faire de manière collective, je pense qu’il y a un effort collectif à faire.

M.Q. — Vous visez ainsi un taux d’inscription de 7 % supérieur aux cibles prévues. Cela veut dire que votre objectif pour décembre 2016 sera de 84 % et de 87 % pour juin 2017.

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J.B. – Effectivement. Je crois que toutes les régions qui sont près de leur cible ou l’ont atteinte devraient faire un effort supplémentaire. C’est notre vision à l’AMOQ, puisque collectivement la loi s’appliquera à nous tous si elle entre totalement en vigueur en 2018.

M.Q. — Est-ce que vos membres sont d’accord ?

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J.B. – Nous avons présenté ces objectifs lors de nos rencontres des « capitaines », qui sont des répondants très bien identifiés dans chacune des cliniques médicales GMF et non GMF et dans d’autres structures comme les unités de médecine familiale (UMF). Tout le monde a accepté la hausse des objectifs d’inscription.

M.Q. — Est-ce que les médecins de Québec répondent bien aux efforts que vous leur demandez ?

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J.B. – Le taux d’inscription était de 77 % le 25 mai dans notre région, alors que la cible nationale était de 74 % le 30 juin. Je vous avoue néanmoins que l’augmentation est peut-être un peu plus lente que ce que l’on espérait. Cela s’explique par le fait que la moyenne d’âge des médecins de la région de Québec est élevée. On se retrouve donc avec des départs à la retraite de médecins qui avaient de grosses clientèles de 2000 ou de 3000 personnes. Les équipes médicales font un très grand effort pour inscrire ces patients-là. À titre d’exemple, un collègue m’a dit : « On a réussi à prendre 1957 patients depuis six mois. C’est incroyable ! » C’étaient tous des patients laissés par le départ à la retraite d’un médecin. Cependant, le bénéfice net pour la cible d’inscription est de zéro. C’est donc difficile. On doit être deux fois plus stimulant pour passer par-dessus cela et continuer à demander à nos membres d’inscrire.

M.Q. — Vous donnez beaucoup d’informations à vos membres sur le projet de loi no 20 qui est devenu la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille.

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J.B. – En février dernier, lors de la Commission des présidents, à la FMOQ, j’avais dit : « La loi no 20, c’est bien beau, mais personne ne la connaît. Il faut absolument qu’on en diffuse le contenu ! » Le conseil d’administration de l’AMOQ, pour sa part, a demandé au directeur des Services juridiques de la Fédération, Me Pierre Belzile, de venir nous présenter cette loi et les répercussions qu’elle aura si elle entre complètement en vigueur en 2018. Après cette rencontre, le 18 mars, notre comité de mobilisation a repris la présentation de Me Belzile pour communiquer l’information dans notre bulletin, les Toutes dernières nouvelles. Nous y avons consacré cinq numéros spéciaux.

M.Q. — Quels sont les aspects que vous craignez le plus de l’ex-projet de loi no 20 ?

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J.B. – C’est sans contredit la perte d’autonomie des médecins de famille sur tous les plans. Que le ministre décide du nombre des patients que l’on doit prendre, c’est déjà préoccupant. Mais au-delà de cela, il y a son intrusion dans les heures d’ouverture des cliniques et dans l’organisation des services sur les territoires ciblés. Le ministre se confère également le pouvoir de décider du nombre de médecins dans un secteur particulier, que ce soit en établissement ou ailleurs.
Les répercussions de la Loi no 20 constituent l’enjeu le plus important que l’on ait à vivre actuellement. On pratique une profession libérale et on n’a jamais été habitués à vivre sous un régime où l’on nous dit quoi faire. Il est nécessaire, au contraire, de miser sur la gestion par les pairs. On a toujours réussi à s’entendre entre nous. C’est comme cela qu’on fonctionne pour la répartition des gardes en établissement. On peut se dire entre nous : « Es-tu capable de faire quelque chose ? Moi, je vais faire ceci. Qu’est-ce que tu en penses ? » Que quelqu’un nous impose une manière de faire par une loi, c’est très préoccupant et très dangereux pour l’autonomie professionnelle des médecins.

M.Q. — Y a-t-il d’autres aspects de la loi que vous craignez ?

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J.B. – Oui. Il y a l’application presque systématique d’une réduction de la rémunération, entre autres dans les cas de non-respect de l’obligation de pratiquer en établissement ou de non-atteinte du nombre ciblé de patients inscrits. Il n’y aura pas de réelle possibilité de se faire entendre par un comité paritaire.

M.Q. — De quelle manière votre réseau de « capitaines » vous aide-t-il dans vos efforts pour accroître le taux d’inscription ?

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J.B. – Notre réseau compte soixante-douze capitaines, ou représentants de cliniques, dont moi. On l’utilise pour l’échange d’informations. Le fait d’être capitaine permet d’obtenir de l’information privilégiée que ce soit sur l’ensemble des problèmes ou sur des nouvelles inhérentes aux activités de l’AMOQ ou de la Fédération.
On se rencontre trois ou quatre fois par année. Les réunions comportent toujours trois parties. Il y a d’abord la diffusion d’informations, puis une période de questions avec le Dr Louis Godin, président de la FMOQ, concernant les sujets d’actualité. La troisième partie est une période de réflexion en petits groupes pour en venir à des consensus ou avoir des idées concernant les meilleures façons de joindre les médecins, d’inscrire les patients, d’augmenter le taux d’assiduité. C’est là qu’a été lancé le concept d’inscrire un patient par semaine pour chaque médecin. Ces rencontres sont très populaires.

M.Q. — Quelles vont être vos prochaines démarches pour encourager les médecins à inscrire plus de patients ?

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J.B. – Pour accroître le taux d’inscription par clinique, on va remettre aux capitaines une liste anonymisée des médecins de leur clinique avec le nombre de patients inscrits par chacun. On a aussi présenté aux capitaines le fameux Rapport d’organisation des services de la patientèle inscrite (ROSPI) de la Régie de l’assurance maladie du Québec. On leur suggère de demander à chacun de leurs médecins une copie de sa propre patientèle pour pouvoir en discuter avec lui.

M.Q. — Comment le capitaine pourra-t-il utiliser ces éléments ?

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J.B. – L’effet de comparaison est un élément qui joue beaucoup chez les médecins. Si j’ai 300 patients et que mon confrère en a 600, cela amène à une certaine forme de réflexion personnelle. Est-ce que je suis capable d’en faire plus ? C’est surtout sur ce principe-là que l’on compte.

M.Q. — Sur quoi repose votre optimisme concernant l’atteinte de vos objectifs d’inscription ?

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J.B. – Je suis optimiste, notamment parce que les guichets d’accès à un médecin de famille ne sont quand même pas si remplis à Québec. Il y a autour de 35 000 à 37 000 patients pour un bassin de population de 700 000 à 750 000. Cela donne un taux de clientèle orpheline quand même relativement bas pour une ville. Je pense également que les nouvelles mesures qui entrent en vigueur vont stimuler les inscriptions, que ce soit la nouvelle nomenclature en établissement, la restructuration des guichets d’accès, où il y avait beaucoup de problèmes, ou la possibilité d’inscrire des blocs de patients. Il y a également eu l’arrivée des activités médicales particulières (AMP) en prise en charge. Beaucoup de médecins qui travaillaient en établissement ont décidé de changer leur pratique pour se consacrer un peu plus à la prise en charge. Ces différentes mesures vont porter leurs fruits. Je pense que leur effet va paraître dans les prochains mois, principalement à Québec. Je suis donc optimiste.