Entrevues

Entrevue avec le Dr Michel Vachon, président de l’association de Montréal

Les obstacles à l’inscription de patients

Emmanuèle Garnier  |  2016-08-25

L’Association des médecins omnipraticiens de Montréal (AMOM), dirigée par le Dr Michel Vachon, a récemment organisé un colloque pour déterminer les raisons pour lesquelles certains médecins inscrivent peu de patients et pour trouver des solutions.

* Le nom exact de la loi est Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée.

M.Q. – Quels sont les principaux obstacles à l’inscription de patients ?

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M.V. — Nous avons recensé, dans notre colloque sur l’inscription, plusieurs types d’embûches. Il y a par exemple celles qui sont liées au champ de pratique. Bien des médecins ont mentionné que les CLSC, surtout ceux qui ont un service de consultation sans rendez-vous à haut débit, possèdent un gros potentiel d’inscription. Cependant, le manque flagrant de soutien administratif nuit à l’inscription. Dans les unités de médecine familiale, le problème vient plutôt du fait que le patient pense qu’il n’a plus de médecin après le départ du résident. À l’autre bout du spectre, il y a aussi des médecins en fin de carrière qui ne voient pas d’avantages à inscrire des patients.

M.Q. — Y a-t-il d’autres facteurs ?

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M.V. — Il faut aussi tenir compte du fait que les médecins ne peuvent pas inscrire les patients des centres d’hébergement et de soins de longue durée ni les enfants de 0 à 5 ans suivis par un pédiatre. Beaucoup de patients ne sont ainsi pas inclus dans les statistiques, mais pourraient l’être.
Parmi les autres obstacles, il y a également la circulation d’informations erronées. Plusieurs médecins pensent, à tort, que le fait de suivre un grand nombre de patients risque de faire baisser leur taux d’assiduité.

M.Q. — La question du taux d’assiduité fait beaucoup réagir les médecins, non ?

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M.V. — Le concept du taux d’assiduité est aberrant. Pourquoi pénaliser un médecin parce que son patient a librement choisi d’aller consulter ailleurs ? Le patient peut travailler à Montréal et vivre à Rosemère où il a son médecin de famille. S’il a un problème de santé urgent pendant la journée, il peut décider d’aller voir un omnipraticien près de son lieu de travail. Est-ce que l’on doit alors pénaliser son médecin de famille qui était peut-être disponible et aurait pu le traiter ? C’est inconcevable de punir les omnipraticiens pour des situations sur lesquelles ils n’ont absolument aucun contrôle.

M.Q. — Y a-t-il d’autres raisons qui freinent l’inscription de patients ?

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M.V. — Il y a des omnipraticiens qui ont peur de l’engagement à long terme que constitue la prise en charge d’une clientèle. Ils craignent la paperasse, les appels téléphoniques des patients, une moins grande liberté, moins de flexibilité pour prendre leurs vacances, le contrôle du gouvernement et des pénalités éventuelles. Certains médecins comprennent mal ce qu’est l’inscription. Ils travaillent par exemple au service de consultation sans rendez-vous et voient un patient diabétique qui leur demande de vérifier leur glycémie et de leur represcrire ses médicaments. Selon les règlements du Collège des médecins du Québec, le médecin qui a examiné, traité un patient ou lui a fait passer des examens doit effectuer le suivi médical nécessaire à moins de s’être assuré qu’un autre professionnel puisse le faire à sa place. Ces médecins vont donc revoir le patient diabétique un mois plus tard. Alors, pourquoi ne pas l’inscrire, puisqu’il faut le suivre ?

M.Q. — Qu’est-ce qui peut être fait pour aider les médecins à suivre plus de patients ?

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M.V. — Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) doit aussi faire son effort. Il nous demande d’inscrire 85 % de la population, mais il doit au moins nous donner les ressources nécessaires. Par exemple, actuellement, la clinique-réseau doit être ouverte douze heures par jour pendant la semaine et huit heures par jour la fin de semaine et les jours fériés. Mais le plateau technique ferme à 15 h ainsi que la fin de semaine et les jours fériés.
Dans certains CLSC, par ailleurs, les médecins ne disposent pas encore d’un soutien administratif adéquat. Cela devrait cependant venir selon les discussions qu’il y a eu entre le MSSS et la FMOQ. Le travail du ministère est de nous donner les ressources voulues, que ce soit sur le plan du plateau technique ou des consultations spécialisées. Ce qui a été promis n’a toujours pas été livré.

M.Q. — Allez-vous intervenir auprès de vos membres pour les encourager à inscrire plus de patients ?

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M.V. — Oui. L’une des solutions mentionnées au colloque était de parler aux médecins sur une base personnelle. C’est bien d’envoyer des courriels et des lettres, mais ce n’est pas aussi efficace que le contact de personne à personne. On a, à l’Association, six chefs de secteur qui essaient de rencontrer les omnipraticiens. Ils ont fait une pyramide dans chacune des régions et doivent s’occuper d’un certain nombre de cliniques. Ils connaissent les chefs des GMF et des cliniques. On essaie donc d’augmenter l’interaction de personne à personne.
Il faut cependant dire que le climat de mécontentement causé par le ministère nous donne beaucoup de travail sur le terrain. Le ministre nous dit que si on n’atteint pas ses objectifs ou qu’on ne se conforme pas à ses directives, il va réduire notre rémunération. S’il arrêtait de nous taper sur la tête, cela irait probablement beaucoup mieux.

M.Q. — Avez-vous pris d’autres mesures pour inciter les omnipraticiens à accroître leur clientèle ?

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M.V. — On a aussi lancé sur notre site Internet la vidéo de Me Pierre Belzile, directeur des Services juridiques de la FMOQ, sur la loi no 20*, dont tous les articles pourraient être en vigueur en 2018 si la cible d’inscription n’a pas été atteinte (www.amom.net). Entre le moment où le projet de loi no 20 nous a frappés en plein visage en novembre 2014 et celui où il a été adopté en novembre 2015, le ministère a doublé le nombre des articles qu’il contenait. C’est pour cette raison que j’ai demandé à Me Belzile de nous résumer les enjeux pour que l’on sache exactement ce qui pourrait arriver. On avait l’impression que cette loi sortait de nulle part. Personne n’avait été avisé que des ajouts importants seraient apportés au projet de loi juste avant son adoption. Il faut que les médecins le sachent.

M.Q. — Est-il difficile de joindre les membres ?

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M.V. — Oui, mais on essaie de trouver toutes sortes de façons de le faire. On envoie des écrits par la poste, des courriels ainsi que notre infolettre, le Flash-AMOM, et notre journal L’Omni à nos membres. On utilise aussi le bouche-à-oreille et on fait des réunions.
Depuis un an, on a travaillé fort pour mettre notre site Web à jour. La vidéo de Me Belzile sur la loi no 20, par exemple, a été vue 844 fois. On est sur Facebook et sur Twitter où l’on a 692 abonnés.

M.Q. — Vous allez aussi organiser une rencontre entre vos membres et le Dr Louis Godin, président de la FMOQ.

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M.V. — Effectivement. On va organiser une rencontre d’information et d’échange vers la mi-septembre. On va mener un sondage pour savoir ce que les médecins de famille considèrent comme important, ce qui les touche et ce qu’ils aimeraient avoir comme information.
Les rencontres avec le président de la Fédération sont toujours très courues. On espère donc qu’on va aller chercher une bonne partie des médecins sur le terrain.

M.Q. — Sentez-vous de la pression de la part de vos patients ?

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M.V. — Nos bons patients vont demeurer nos bons patients. Au début, quand Gaétan Barrette est devenu ministre, des gens à l’urgence nous lançaient des remarques comme : « Ah ! Enfin, on va avoir quelqu’un qui va vous serrer la vis ! » Mais cette agressivité-là est en train de se transformer en compréhension. Quand on ajoute des patients à 19 h à notre horaire, ils nous disent : « Vous êtes toujours ici ? Ce n’est pas vrai que vous ne faites rien et que vous n’êtes pas disponible comme le dit le ministre. » Il y a une prise de conscience qui se produit.
Les médecins de famille que je côtoie travaillent très fort. Il n’y a rien de parfait, mais il y a beaucoup d’activité en première ligne. De dire qu’on ne travaille pas, c’est à la fois faux et injuste.