Nouvelles syndicales et professionnelles

Dossiers médicaux électroniques au Canada

poursuites et plaintes contre des médecins

Emmanuèle Garnier  |  2017-10-26

Entre janvier 2012 et décembre 2016, l’Association canadienne de protection médicale (ACPM) a reçu de la part de médecins 165 demandes d’assistance dans lesquelles un dossier électronique jouait un rôle déterminant.

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Dossiers médicaux électroniques et dossiers de santé sont de plus en plus répandus. Et, au Canada, ils commen­cent aussi à être au cœur de poursuites contre des médecins, de demandes d’enquête devant un ordre professionnel ou de reproches dans les hôpitaux.

Entre janvier 2012 et décembre 2016, l’Association canadienne de protection médicale (ACPM) a reçu de la part de médecins 165 demandes d’assistance dans lesquelles un dossier électronique avait un rôle déterminant. « Les décisions cliniques dans les dossiers médicolégaux reposent sur plusieurs éléments, notamment sur la qualité de l’outil utilisé – le dossier médical – pour noter l’information pertinente et les orientations cliniques », explique la Dre Lorraine LeGrand Westfall, directrice des Affaires régionales et chef de la protection des renseignements personnels de l’ACPM.

Dans plusieurs cas, le patient a subi un préjudice. Dans vingt affaires, il est resté avec une invalidité importante et dans 24, il est même décédé. Toutefois, 72 des patients n’ont pas eu de séquelles, et 53 n’ont conservé qu’une légère incapacité physique*.

Que s’est-il passé pour qu’il y ait eu des plaintes ou des recours juridiques liés à un dossier électronique ? Dans 12 % des demandes d’aide recensées par l’ACPM, le problème était associé à l’utilisation ou à la tenue du dossier sur le plan administratif. « Ce peut être, par exemple, le choix d’une option de prescription dans le menu déroulant qui n’était pas appropriée pour un patient ayant une insuffisance rénale. Le problème pouvait également venir de l’emploi de la fonction copier-coller d’une donnée erronée, ce qui perpétuait une erreur », explique la Dre LeGrand Westfall.

Dans 7 % des cas, le problème venait d’un dossier déficient ou inadéquat. « Par exemple, une donnée de laboratoire pouvait avoir été envoyée au mauvais endroit. Ou encore, elle n’était pas accessible au moment où le médecin a rencontré le patient, ce qui a pu l’empêcher de poser un diagnostic précis. »

La communication entre le médecin et le patient, ou sa famille, est également en cause dans huit demandes d’assistance faites auprès de l’ACPM. « Il s’agit ici de notes qui n’ont pas été rédigées au sujet d’informations communiquées par le patient ou sa famille. Si le médecin omet, par exemple, d’inscrire une allergie, cela devient un problème de communication. Cet oubli peut avoir des conséquences sur la prescription de médicaments ou mener à un diagnostic erroné. »

Dans quelques cas, la plainte liée au dos­sier électronique portait sur un diag­nos­tic. Le médecin n’avait pas bien éva­lué ou suivi adéquatement l’état du pa­tient. « Si des données comme la pression artérielle ne sont pas inscrites dans le dossier, il peut y avoir des répercussions sur le diagnostic et les traitements », indique la porte-parole de l’ACPM.

Dans quelques autres cas, le problème lié au dossier électro­nique relevait de la communication entre collègues. « Par ex­emple, le consentement verbal d’un patient n’a jamais été inscrit dans le dossier, ce qui a mené à une intervention incomplète. Dans un autre cas, un courriel a été envoyé au mauvais destinataire. »

Différents types de plaintes

L’ACPM a reçu de ses membres des demandes d’aide liées à un dossier électronique dans trois types de situations : des poursuites judiciaires, des demandes d’enquête auprès d’un ordre professionnel et des plaintes dans un hôpital.

Parmi les cas liés à un dossier médical électronique traités par l’ACPM, 19 % concernaient une poursuite devant les tribunaux civils. Comment se sont-ils terminés ? En cinq ans, l’Association a dû verser une compensation au demandeur dans 23 dossiers, soit dans 72 % des cas. Les autres ont été rejetés ou abandonnés.

Les demandes d’aide pour des plaintes devant un ordre professionnel de médecins au Canada ont été beaucoup plus nombreuses : 118. Les critères dans ces dossiers sont moins contraignants. Lors d’une poursuite judiciaire, le demandeur doit prouver qu’il y a eu à la fois une faute, un dommage et un lien de causalité entre les deux. « Devant un ordre professionnel, par contre, il n’est pas nécessaire de montrer que le patient a subi un dommage. Une plainte peut être déposée, par exemple, pour un problème de communication qui n’a pas causé de préjudice physique au patient », explique la Dre LeGrand Westfall.

Dans 81 % des dossiers, l’ordre professionnel a imposé au médecin, après enquête, une formation sur un sujet comme les communications, la tenue de dossier ou le suivi d’examens de laboratoire. Dans 14 % des cas, les médecins n’ont pas eu de reproches ou n’ont reçu que des recommandations. Très peu ont eu à faire face au conseil de discipline.

Dans les hôpitaux, par ailleurs, il n’y a eu que huit cas de plaintes au sujet d’un médecin et de son dossier électronique. Dans six de ces dossiers, les praticiens ont dû suivre une formation pour corriger un problème clinique ou une difficulté de communication, de tenue de dossier ou de gestion de la pratique.

Les 165 demandes d’aide liées à un dossier électronique qu’a recensées l’ACPM sur une période de cinq ans constituent en tout un très faible pourcentage des quelque 130 000 demandes d’assistance qu’elle a reçues de 2012 à 2016. Environ 0,001 % des cas. Très peu de ses 97 000 membres ont ainsi été touchés.

Trois facteurs importants

« Pour moi, il y a trois éléments importants qui sont réguliè­rement en jeu », indique la Dre LeGrand Westfall. Il y a d’abord la conception du système. « Le dossier répond-il bien aux be­soins du médecin ? Il y a des dossiers médicaux électroni­ques qui conviennent très bien à un cardiologue, mais moins à un médecin de famille. Si le dossier ne permet pas à un clinicien d’effectuer adéquatement son travail, cela peut éventuellement mener à des problèmes médicolégaux. »

Ensuite, l’interface est-elle conviviale ? Il faut qu’elle soit adaptée à la façon dont travaille le praticien. « Elle doit permettre de passer facilement d’un écran à l’autre et d’accéder aisément aux données pertinentes. Il ne faut pas se retrouver dans un gigantesque labyrinthe de fenêtres ouvertes pour obtenir les informations. Parce que c’est là qu’il y a très souvent un risque d’erreur. Le médecin ne pourra pas transférer une information ou n’aura pas accès aux données, car le système sera trop lent. »

Le troisième point est la formation. « Le médecin doit être bien formé pour pouvoir utiliser efficacement le dossier électronique », estime la Dre LeGrand Westfall. C’est ce qu’a aussi constaté, aux États-Unis, le Dr Andrew Gettinger, directeur général du Bureau de la qualité et de la sécurité cliniques du bureau du coordonnateur national. Lui-même a dirigé la mise en œuvre du dossier médical électronique à Dartmouth, au Massachusetts.

Aux yeux du Dr Gettinger, cité sur le site FierceHealthcare.com, un médecin qui emploie un dossier médical électronique sans formation est comme un pilote qui ne s’est pas entraîné sur un simulateur. « Si j’avais à faire à nouveau notre déploiement à grande échelle, j’investirais beaucoup plus de temps dans la création de simulations pour l’utilisation de dossiers médicaux électroniques ainsi que dans la configuration de notre logiciel. Je m’assurerais que nos cliniciens ont essayé davantage le système avant d’y recourir pour soigner les patients. »

Le dossier médical électronique est ainsi un outil clé dont l’utilisation ne doit pas être prise à la légère. « Qu’il soit en papier ou électronique, il constitue la pièce centrale de la communication et des informations sur les soins aux patients. S’il n’est pas adéquat ou géré de manière appropriée, il peut entraîner des conséquences sur le diagnostic, la prescription, le traitement et la communication avec les autres professionnels de la santé », indique la Dre LeGrand Westfall. //