Entrevues

Entrevue avec le Dr Marc-André Amyot, président de l’AMOLL

Dénoncer les lacunes de la réforme avant que tout s’écroule

Claudine Hébert  |  2017-07-26

Les mesures centralistes et dictatoriales du ministre de la Santé n’ont entraîné jusqu’ici que des effets pervers dans le système de santé, dénonce le Dr Marc-André Amyot, premier vice-président de la FMOQ et président de l’Association des médecins omnipraticiens de Laurentides-Lanaudière (AMOLL).

M.Q. — Qu’est-ce qui cloche dans la réforme du ministre de la Santé, Gaétan Barrette ?

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M.A. A. – Le ministre fait tout de manière triviale, impulsive et sans consulter les principaux intervenants, notamment les médecins de famille. Il essaie de changer en un très court laps de temps une situation que les technocrates du ministère de la Santé ont eux-mêmes créée au cours des 25 dernières années. Ce genre de réforme devrait pourtant être faite avec des discussions, avec une ouverture d’esprit de part et d’autre. Ce qui n’est pas le cas. On se demande quel est le véritable objectif de toutes ces lois centralistes et dictatoriales, dont la prochaine loi 130. Toutes ces mesures législatives mettent le ministre, et non les patients, au cœur du système de santé. Pour le moment, ces lois passent bien dans les grands médias parce que le ministre Barrette sait très bien les communiquer en les présentant à son avantage. Dans les faits, elles ne servent qu’à sa réélection, et non à la population. On s’en va vers un mur.

M.Q. — Qu’est-ce que le grand public n’a pas encore vu dans toutes ces mesures ?

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M.A. A. – Actuellement, le ministre vide les centres hospitaliers de leurs omnipraticiens pour les envoyer en première ligne. Il faut, dit-il, atteindre la cible de 85 % de prise en charge de la population par les médecins de famille. Cela entraîne d’énormes lacunes, notamment dans les services d’urgence et en hospitalisation, principalement dans les petits établissements hospitaliers en région où les omnipraticiens sont souvent appelés à hospitaliser les patients, à leur nom, faute d’un nombre suffisant de spé­cialistes sur place.

M.Q. — Avez-vous un exemple ?

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M.A. A. – Prenons le Centre hospitalier de Saint-Eustache, où les effectifs promis en matière de médecins spécialistes sont toujours attendus. Avant les mesures du ministre, l’établissement pouvait compter sur neuf équipes d’hospitalisation qui se partageaient de 140 à 160 lits. Aujourd’hui, l’hôpital n’en compte plus que six. Cette baisse se traduit par une surcharge de travail pour les équipes en place. Comment cet établissement parvient-il tant bien que mal à éviter le pire ? Grâce à la flexibilité des omnipraticiens qui acceptent de modifier leurs horaires et d’accroître leur disponibilité ainsi que le nombre de patients hospitalisés à leur nom. Ce sont eux qui, voulant offrir les meilleurs services et améliorer la qualité des soins aux patients, viennent à la rescousse d’un système sur le point de s’écrouler. Pourtant, le ministre s’attribue tout le mérite de la situation. C’est d’une grande tristesse. Toutes ces mesures — dont l’atteinte à tout prix et sans flexibilité, de la cible d’inscription de 85 % de la population d’ici le 31 dé­cembre 2017 — vont finir par avoir des répercussions sur l’accès aux soins.

M.Q. — Que voulez-vous dire ?

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M.A. A. – Pour favoriser l’atteinte de la cible d’inscription, nous avons suggéré au ministre Barrette de laisser les médecins procéder à la « préinscription » des patients. Plusieurs d’entre nous, moi le premier, considérons cette option comme la plus efficace pour atteindre la cible de 85 % ou au moins pour vider les guichets d’accès à un médecin de famille de façon structurée et organisée.

M.Q. — Qu’est-ce que la préinscription ?

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M.A. A. – Actuellement, nous rencontrons dans nos cabinets beaucoup de personnes qui n’ont pas du tout besoin de voir un médecin dans l’immédiat. Cependant, pour être inscrites, elles doivent se présenter à la clinique et être vues par un médecin de famille. Elles ne viennent en fait que pour le jour où elles auront vraiment besoin de nous voir. Si le ministre acceptait que l’on préinscrive ces gens sans les rencontrer immédiatement, cela nous permettrait de donner priorité aux patients vulnérables qui, eux, ont besoin de nous consulter. Malheureusement, encore une fois, nous avons essuyé un refus catégorique de sa part. C’est un autre bel exemple de situation insensée que l’on doit dénoncer à la population.

M.Q. — Comment comptez-vous montrer toutes ces lacunes à la population ?

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M.A. A. – En novembre dernier, à l’AMOLL, nous avons embauché un conseiller en communication. Il travaille avec nous une dizaine d’heures par semaine. C’est un jeune de la région, doté d’un sens politique et stratégique, qui connaît les médias régionaux et les médias sociaux sur le bout de ses doigts. Il a élaboré pour nous un plan de communication pour établir les grandes orientations et les objectifs à atteindre. Il a également mis sur pied une stratégie de communication interne pour les membres de l’AMOLL et une stratégie externe pour les médias, la population et nos partenaires. Je recommande fortement à mes autres collègues présidents d’associations affiliées à la FMOQ de recourir à un tel professionnel.

M.Q. — Pourquoi ?

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M.A. A. – Nous sommes avant tout des médecins, des cliniciens, nous pratiquons dans les cabinets pour prendre en charge des patients, à l’urgence, dans les services de consultation sans rendez-vous, nous faisons de l’accès adapté. Bref, nous soignons des gens. Nous ne sommes pas des experts en communication. Notre conseiller, lui, est outillé pour nous aider, notamment à dénoncer ces situations qui commencent déjà à nuire à la qualité des soins, les situations qu’entraînent les mesures centralisatrices du ministre et à les faire connaître à nos membres et à la population.
Sur le plan interne, notre conseiller en communication se révèle également d’une grande utilité pour transmettre à nos membres ce qui se passe au sein du conseil d’administration de l’AMOLL et les informer des actions que l’on pose pour les défendre. C’est lui qui rédige maintenant les bulletins d’informations envoyés aux membres. Et jusqu’ici nos membres sont contents d’être mieux informés. Nous les tenons entre autres au courant de l’exercice auquel procède l’AMOLL pour améliorer ses pratiques de gouvernance.

M.Q. — La gouvernance est justement le sujet de l’heure dans beaucoup d’organisations publiques et privées sur la planète. Que fait l’AMOLL à cet égard ?

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M.A. A. – L’automne dernier, nous avons fait appel à une firme d’experts, l’Institut sur la gouvernance des organisations publiques et privées (IGOPP). Nous lui avons demandé de dresser nos points forts et nos faiblesses en matière de gouvernance. Parmi nos points forts, l’IGOPP a souligné la représentativité et la diversité du CA composé de médecins en obstétrique, en soins palliatifs, à l’urgence ainsi que d’hommes, de femmes, de jeunes. Bref, nos quatorze membres représentent bien les médecins de notre grande région. L’IGOPP nous a toutefois signalé que notre CA n’était pas assez connu des membres et ne communiquait pas suffisamment, ce qui pouvait amener ces derniers à avoir une mauvaise perception de l’association. Nous avons corrigé cette lacune principalement par la publication de nos bulletins.
Cet exercice sur la gouvernance, effectué en toute transparence, nous permet aussi de revoir les notions de droit de vote et de membres en règle, deux points qui devaient être modernisés. Au cours de la dernière année, nous avons également mené plusieurs sondages auprès de notre CA et de nos membres, une consultation publique, un projet complet de révision des statuts et une diffusion de tous ces éléments sur notre site Web. Le mandat de l’IGOPP, qui a déjà des répercussions fort positives sur notre association, prendra fin cet automne.

M.Q. — finalement, que retenez-vous de cet exercice sur la gouvernance ?

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M.A. A. – Nous avons toujours agi de bonne foi, mais notre association présentait des lacunes bien réelles dont nous n’étions pas conscients. En les corrigeant, nous sommes beaucoup mieux outillés pour faire face à l’avenir et aux défis que représente la gouvernance. Nous comptons d’ailleurs faire connaître les conclusions de notre exercice aux autres associations.