Droit au but

Le travail d’équipe former une équipe « sur mesure » – IV

Christiane Larouche et Isabelle Paré  |  2017-07-27

Il existe une très grande variabilité du fonctionnement général des équipes de première ligne et des modalités d’intégration des autres professionnels. Cette situation met en évidence le besoin de formation et de soutien des professionnels. Dans ce 4e article de notre série portant sur le travail d’équipe1-3, nous aborderons la composition de l’équipe de première ligne en fonction des besoins des patients.

Me Christiane Larouche, avocate, travaille au Service juridique de la FMOQ. Mme Isabelle Paré est conseillère en politique de santé et chercheuse à la FMOQ. Elle est titulaire d’un doctorat (Ph. D.) en science politique.

Place à l’amélioration

Les soins rendus par une équipe interprofessionnelle sont désormais reconnus comme l’un des attributs d’une première ligne performante. Cependant, la gestion des nombreux changements législatifs et organisationnels et le climat de tension sociopolitique vécu par les médecins de première ligne au cours des dernières années n’ont pas facilité la modification des pratiques professionnelles face en ce qui a trait au travail en équipe.

Des études nationales et internationales analysent la transformation des soins primaires à partir de certains indicateurs qui permettent de comparer la performance du Canada et d’au­tres pays et celle du Québec et des autres provinces. Bien qu’elle ait progressé de façon considérable, la performance du Canada peut s’améliorer à plusieurs égards. À titre d’exemple, une enquête internationale menée en 2015 par le Fonds du Commonwealth auprès de médecins de famille de dix pays a révélé une amélioration de la performance du Canada, parti­culièrement en ce qui concerne l’adoption des dossiers médicaux électroniques4. Cependant, l’enquête révélait que le Canada demeure sous la moyenne des dix pays participants pour 19 des 28 indicateurs de soins retenus, notamment quant à l’accès aux soins primaires pendant et après les heures de travail, à la coordination des soins, à l’adoption des technologies de l’information et à la mesure de la performance4. Fait à noter, les médecins qui travaillent suivant un modèle de prestation de soins en équipe affichaient de meilleurs résultats quant à la coordination des soins et aux délais d’accès avant et après les heures de travail usuelles5.

De la pratique individuelle à la pratique de groupe

Plutôt que d’offrir des soins médicaux à chacun de ses patients sur une base individuelle, le médecin qui travaille en équipe choisit de collaborer avec d’autres personnes, tant sur le plan administratif que professionnel, dans le but d’offrir des services complets à une population de patients. Le travail en équipe présuppose donc que les besoins et les préférences des patients sont placés au cœur des actions et des décisions de l’équipe, notamment par rapport aux rôles et aux responsabilités de chacun.

Les changements dans les façons de faire et l’améliora­tion des pratiques ne sont cependant possibles qu’à la condition de suivre certaines étapes bien définies. L’analyse des besoins de la patientèle et la révision des processus cliniques et administratifs font partie de ces étapes. Les ateliers de formation continue créés par la FMOQ sur l’accès adapté et sur l’embauche d’une infirmière (accessible gratuitement sur la plateforme Caducée) montrent l’importance de bien analyser les particularités de la clientèle afin de former une équipe adéquate et de répartir les responsabilités entre les partenaires.

Former une équipe

La littérature semble indiquer que l’intégration des soins et des services de différentes disciplines au sein d’une équipe aurait des effets positifs sur l’état de santé des patients, particulièrement ceux qui souffrent de maladies chroniques ou de problèmes complexes6,7. Cette approche permettrait également d’augmenter la capacité de prendre un plus grand nombre de patients, améliorerait l’accessibilité et réduirait à plus long terme les coûts des soins de santé8.

La composition de l’équipe idéale dépendra du contexte de pratique. Selon les études, un certain nombre de facteurs9 de­vraient être analysés à cette fin, dont :

h les besoins et les caractéristiques des patients ;

h les compétences de chaque membre de l’équipe ;

h les ressources disponibles ;

h la répartition des rôles et des responsabilités au sein de l’équipe.

Les médecins de famille et les infirmières ont des rôles prioritaires à jouer au sein des équipes de première ligne. Une petite équipe interprofessionnelle sera minimalement composée d’un médecin et d’une infirmière. Une plus grosse équipe intégrera plusieurs autres professionnels, dont une IPS-SPL, un pharmacien, un psychologue, un travailleur social, une diététiste, un kinésiologue, etc.

Une équipe trop petite risque de ne pas être en mesure d’offrir tous les services répondant aux besoins des patients. Il lui sera également difficile d’assurer l’accessibilité, la continuité et la qualité des soins aux patients10. Enfin, les partenaires seront rapidement débordés. Cependant, une équipe trop nombreuse peut avoir des difficultés à s’organiser et ne pas être efficiente8,10. En Ontario, des ressources mises au point par Qualité des services de santé Ontario pour soutenir la formation d’équipes de soins primaires performantes suggèrent la composition d’équipes de six à dix partenaires tout au plus11. Il serait donc judicieux que les grosses équipes créent des sous-équipes de travail pour assurer des liens étroits, continus et stables entre les partenaires8. Des cliniques ont eu la bonne idée de créer des sous-équipes de travail identifiées par une couleur distinctive affichée dans l’entrée de la clinique. Les patients savent qu’ils appartiennent à l’équipe bleue, rouge, jaune, etc. et ils sont ainsi toujours en relation avec les mêmes personnes, ce qui facilite grandement les communications et les suivis par les sous-équipes ainsi que le fonctionnement général de la clinique.

La qualité de la collaboration est également fortement associée au partage du même espace et du temps passé ensemble par les partenaires12. Le partage des mêmes lieux devrait faire place à plus qu’une simple relation de voisinage. Le partage des lieux doit unifier le groupe et entraîner des interactions et des consultations continues entre les professionnels13. La distinction entre la collaboration interprofessionnelle et le travail en équipe prend ici tout son sens. Le travail en équipe est une forme étroite de collaboration interprofessionnelle qui suppose qu’on travaille ensemble pour suivre une population de patients dans le même lieu.

Finalement, certains pourraient croire que les groupes de médecine de famille incarnent l’idéal des équipes interprofessionnelles (GMF)14. À partir du nombre de patients de chaque médecin, auquel il applique un certain nombre de facteurs de pondération, le ministère de la Santé et des Services sociaux détermine lui-même les ressources professionnelles dont le GMF bénéficiera. Cependant, cela ne veut pas dire pour autant que ces ressources vous permettront de créer votre équipe idéale pour répondre adéquatement aux besoins de la patientèle. En conséquence, soyez critique et demandez-vous quels sont les besoins de votre patientèle et ce que vous pouvez faire pour y répondre. L’atelier gratuit de la FMOQ intitulé : « Embaucher une infirmière » se voulait justement une amorce de réflexion en ce sens.

Figure 1

Comprendre les besoins de la patientèle

Connaître la patientèle et l’évolution de ses besoins dans le temps permettra aux membres de l’équipe de gérer adéquatement les processus administratifs et les soins et services cliniques au bénéfice des patients.

Outre les données pertinentes qu’il peut extraire des dossiers médicaux élec­troniques, le médecin de famille a accès à certaines données pour dresser un portrait de sa patientèle. Sur le site de la FMOQ, il peut consulter son profil de pratique sur la page « votre compte FMOQ » (figure 1) ainsi que l’outil diag­nosti­que qui concerne son profil de pra­tique (fi­gure 2). Les formations en ligne sur l’accès adapté et l’embauche d’une infirmière, sur la plateforme Caducée de la FMOQ, font plus amplement état de ces outils.

Afin d’évaluer si vous connaissez bien les besoins de votre patientèle, répondez aux questions du tableau. Les in­for­ma­tions que vous obtiendrez sont né­­ces­­saires à la compréhension des be­soins de votre patientèle. Elles permettront ainsi d’amorcer une réflexion sur les changements susceptibles d’apporter des améliorations à vos modes de fonctionnement, qu’il s’agisse du suivi des personnes atteintes de ma­ladies chroniques ou ayant des facteurs de risque particulier, des activités de prévention, des activités de prise en charge, etc. Le partage de ces informations avec les autres membres de l’équipe leur permettra d’apprendre à connaître vos patients et de contribuer à l’évaluation de leurs besoins au fil du temps.

Figure 2

En plus d’être une condition préalable à la répartition des activités cliniques au sein de l’équipe, le profil de la clientèle sera nécessaire pour effectuer les activités suivantes :

Tableau

h déterminer les ressources humaines, techniques et matérielles nécessaires à votre équipe pour une prise en charge complète et intégrée de vos patients ;

h analyser l’accessibilité aux soins et services de l’équipe et ajuster l’offre de services en conséquence ;

h mettre en place des mesures de suivi et d’amélioration de la qualité ;

h mettre en place des mesures d’évaluation de la satisfaction des patients ;

h établir la formation continue requise par les membres de l’équipe, etc.

Pour composer une équipe de travail, il faut définir et comprendre les besoins de nos patients, car ces informations sont tributaires de la taille et de la composition de l’équipe « sur mesure ». Dans le prochain article de cette série, nous discuterons du partage des rôles et des responsabilités au sein de l’équipe. //

Bibliographie

1. Larouche C. Le travail d’équipe, une compétence à développer– I. Le Médecin du Québec 2016 ; 51 (12) : 55-7.

2. Larouche C. Le travail d’équipe, réflexion sur l’efficacité – II. Le Médecin du Québec 2017 ; 52 (2) : 61-3.

3. Larouche C. Le travail d’équipe, avez-vous une vision claire et des objectifs précis ?– III. Le Médecin du Québec 2017 ; 52 (4) : 53-6.

4. Institut canadien d’information sur la santé. Enquête internationale 2015 du Fonds du Commonwealth sur les politiques de santé auprès des médecins de soins primaires, résultats du Canada. Ottawa : l’Institut ; 2016.

5. Institut canadien d’information sur la santé. Médecins de famille : la situation s’améliore pour les patients, mais le Canada tire encore de l’arrière. Ottawa : l’Institut ; 2016.

6. Jacobson PM. Synthèse des données probantes sur l’efficacité des équipes interprofessionnelles en soins primaires. Ottawa : Fondation canadienne pour l’amélioration des soins de santé ; 2012. 31 p.

7. Chen EH, Thom DH, Hessler DM et coll. Using the teamlet model to improve chronic care in an academic primary care practice. J Gen Intern Med 2010 ; 25 (suppl. 4) : S610-S614.

8. Zawora MQ, O’Leary CM, Bonat J. Turning team-based care into a winning proposition. J Fam Pract 2015 ; 64 (3): 159-64.

9. Dubois CA, Singh D. From staff-mix to skill-mix and beyond: Towards a systematic approach to health workforce management. Hum Ressour Health 2009 ; 7 : 87.

10. Conference Board du Canada. Improving primary health care through colla­boration, briefing 2-barriers to successful interprofessional teams. Ottawa : le Conference Board du Canada ; 24 octobre 2012. 12 p.

11. Qualité des services de santé Ontario. Guide d’introduction sur le travail d’équipe. Toronto : QSSO ; 2013.

12. Oandasan IF, Gotlib Conn L, Lingard L et coll. The impact of space and time on interprofessional teamwork in Canadian primary health care settings: implications for health care reform. Prim Health Care Res Dev 2009 ; 10 (2) : 151-62.

13. Alberta Health. Alberta’s primary health care strategy. Ottawa : gouvernement de l’Alberta ; 2014. 47 p.

14. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Programme de financement et de soutien professionnel pour les groupes de médecine de famille (GMF). Québec : le Ministère ; 2016. 55 p.